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Politique

Gilets jaunes: les classes moyennes supérieures, grandes trompées du macronisme? 

Emmanuel Macron

Emmanuel Macron - Michel Euler / POOL / AFP

Elles ont été les premiers soutiens, la première rampe de la campagne d'Emmanuel Macron, à qui, pour l'essentiel, elles restent fidèles dans cette période de hautes turbulences. Mais les classes moyennes supérieures pourraient bien sortir perdantes des arbitrages envisagés pour apaiser la crise des gilets jaunes. Une option très risquée politiquement pour le chef de l'Etat.

Les classes moyennes supérieures ont été parmi les premières à se montrer sensibles au profil d'Emmanuel Macron, l'un de ses plus gros réservoirs de voix lors de l'élection présidentielle, et constituent, encore aujourd'hui, la frange de la population qui lui est le plus fidèle au milieu des turbulences. Cependant, elles pourraient bien faire les frais demain des mesures prises pour calmer la colère sociale et politique incarnée par les gilets jaunes.

Il s'agit pour le moment de pistes mais la rumeur est insistante. Tout d'abord, le bruit d'un possible maintien de la taxe d'habitation pour les 20% des ménages les plus aisés surnage au-dessus de la cacophonie gouvernementale. De surcroît, le think tank Terra Nova souffle l'idée de réformer les droits de succession, pour les augmenter concernant les foyers privilégiés. 

S'entendre sur les termes 

Joint par nos soins, l'économiste Pierre Madec, affilié à l’Observatoire français des conjonctures économiques et corédacteur d'un rapport consacré aux réformes socio-fiscales en 2008-2016, intégré au Portrait social de la France en 2018 de l'Insee, rappelle que l'expression de "classes moyennes supérieures" a quelque chose de mouvant. "Il y a plus d'hétérogénéité en haut qu'en bas", explique-t-il. Il importe avant tout de considérer des "caractéristiques socioéconomiques" plutôt que les revenus pour s'entendre sur les termes. En effet, dit-il, "on n'aura pas le même reste-à-vivre avec un même niveau de revenu suivant qu'on est propriétaire ou locataire, qu'on habite à Paris ou en province". 

Ainsi, les plus riches parmi les foyers les mieux lotis ont enregistré ces derniers temps "des gains très importants comme la suppression de l'ISF ou l'instauration du prélèvement forfaitaire unique", note Pierre Madec. Mais ces cas ne sont qu'une minorité des 20% des foyers qui pourraient voir leur taxe d'habitation maintenue. Pour ce qui est des classes moyennes supérieures, dont la situation n'a rien de comparable à celle des plus privilégiés, l'équation est bien différente.

D'après l'analyse de l'économiste, les classes moyennes supérieures n'ont bénéficié que de certaines mesures autour des cotisations salariales. Des efforts supplémentaires, comme un alourdissement des droits de succession ou le maintien de la taxe d'habitation, pourraient "avoir un vrai impact" sur elles, affirme Pierre Madec. 

Une idylle à bout de souffle 

L'impact serait donc économique, social et potentiellement familial pour ces couches de la population. Concernant l'exécutif, le retour de bâton menace d'être politique. Car, les classes moyennes supérieures sont bien le cœur du réacteur du macronisme. Alexis Massart, politologue spécialiste de la droite et du centre, directeur de l'Ecole Européenne de Sciences Politiques et Sociales de Lille, se souvient auprès de nous de l'importance dans l'électorat d'Emmanuel Macron à la présidentielle de "cadres supérieurs et de professions intermédiaires, dans des proportions similaires à François Fillon".

Il évoque un électorat "assez aisé, d'un niveau d'étude assez élevé". L'expert remarque d'ailleurs que ces classes bien installées socialement sont "toujours avec Emmanuel Macron aujourd'hui, solidifiées autour de lui par le ras-le-bol devant le mouvement des gilets jaunes, et son impact sur les chiffres d'affaire". Mais l'idylle s'estompe. 

"S'il s'attaque à son socle électoral..."

"Vu les pistes envisagées, les premières victimes appartiendraient paradoxalement à ce cœur de l'électorat d'Emmanuel Macron", appuie Alexis Massart, qui observe encore: "S'il 's'attaque' à son socle électoral, ça va devenir compliqué". En soi, le chercheur estime que si les classes supérieures liées au chef de l'Etat pourraient éventuellement comprendre un détour, elles ne toléreraient ni zigzag, ni virage: 

"Emmanuel Macron n'arrive pas assez à raconter l'histoire. Le projet global manque de visibilité. Si le projet en question comporte des efforts supplémentaires mais repart ensuite dans le sens de réformes (NDLR: de réformes voulues par son électorat), ça pourrait mieux s'entendre pour les classes aisées." 

La question de l'opposition 

Or, l'exécutif s'est bien gardé jusqu'ici de faire ce récit. Il faut dire qu'Emmanuel Macron pare au plus pressé. "Il traite au jour le jour la crise qu'il traverse", constate Alexis Massart. Et si le président de la République se permet de songer à se retourner en quelque sorte contre les intérêts des classes moyennes supérieures qui l'ont porté là où il est, c'est qu'il jouit tout de même d'une garantie. "Emmanuel Macron est sécurisé par la quasi disparition des oppositions traditionnelles. Et derrière, c'est Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen", développe le politologue. Celui-ci pointe cependant: "Ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera pas forcément demain". "Rien ne dit qu'une formation de droite ou de gauche classique ne puisse pas se reconstruire", souligne Alexis Massart. En cas de montée en puissance de l'opposition, Emmanuel Macron pourrait regretter d'autant plus d'avoir risqué l'isolement. 

Robin Verner