BFMTV
Rassemblement national

"Un intérêt des deux côtés": la visite de Jordan Bardella en Israël, une nouvelle étape pour le RN

Jordan Bardella à Tonneins le 10 novembre 2024

Jordan Bardella à Tonneins le 10 novembre 2024 - Thibaud MORITZ / AFP

Le déplacement en Israël du président du Rassemblement national (RN), accompagné de Marion Maréchal ce mardi 25 mars, a des allures de victoire pour son mouvement qui n'avait encore jamais été invité à Tel-Aviv. Mais cette visite fait grincer des dents les représentants de la communauté juive.

Un voyage très politique. Pour la toute première fois dans l'histoire du Rassemblement national (RN), son président Jordan Bardella va s'envoler pour Israël ce mardi aux côtés de la députée européenne Marion Maréchal. Ce déplacement a des allures de victoire pour le parti, qui n'a pas ménagé ses efforts ces dernières années pour effacer son passé.

"Marine Le Pen a tout fait pour montrer que notre mouvement n'était pas antisémite. Et la vérité est devenue réalité. On est très contents de cette visite", se réjouit le député Franck Allisio, membre du groupe d'amitié France-Israël à l'Assemblée auprès de BFMTV.com.

"On ne parlait pas au RN"

L'invitation marque un tournant pour le parti à la flamme, cofondé par un ancien Waffen-SS et dirigé pendant 38 ans par Jean-Marie Le Pen condamné pour avoir tenu à plusieurs reprises des propos antisémites.

"L'idée pendant longtemps, c'était que s'il n'y avait pas un intérêt supérieur d'Israël à parler au RN, on ne leur parlait pas. Cela ne coûtait pas grand-chose et évitait des problèmes avec la communauté juive française", décrypte l'ancien président d'une association juive.

En 2006, Marine Le Pen alors simple députée européenne avait espéré pouvoir venir à Tel-Aviv au sein d'une délégation parlementaire mais le gouvernement israélien avait fait savoir qu'il ne la laisserait pas rentrer sur le territoire. 11 ans plus tard, Nicolas Bay, alors secrétaire général du RN, avait, lui, bien réussi à se rendre en Israël mais en toute discrétion.

La situation a cependant profondément changé ces dernières années, sous l'impulsion de Marine Le Pen, à la recherche de respectabilité.

"Décoller l'étiquette antisémite du parti"

Dès 2011, lors de son arrivée à la tête du mouvement, elle se lance ainsi dans une longue opération pour "décoller l'étiquette antisémite du parti", décrypte un cadre du mouvement. Longtemps, la manœuvre n'a pas grand succès en dépit de l'exclusion de Jean-Marie Le Pen en 2015.

Jusqu'aux attaques du 7-Octobre 2023 perpétrées par le Hamas et l'explosion des actes antisémites en France. Lorsque Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet proposent une "grande marche civique" dans les semaines qui suivent, Jordan Bardella et Marine Le Pen sautent sur l'appel et sont les premiers à confirmer leur présence.

En dépit des grincements de dents d'une partie de la gauche, de la macronie et du boycott de La France insoumise qui refuse de marcher aux côtés du RN, l'opération a tout d'un succès pour le parti à la flamme.

"Nous sommes exactement là où nous devons être", explique alors Marine Le Pen lors du départ de la marche.

Un ministre israélien en poisson-pilote

De quoi faire oublier que, quelques jours plus tôt, Jordan Bardella "ne pensait pas" que Jean-Marie Le Pen "était antisémite", avant de finalement rétropédaler. Plusieurs épisodes continuent d'ailleurs de troubler comme la présence dans les rangs du RN du député Frédéric Boccaletti, un ex-libraire qui longtemps tenu une boutique spécialisée dans les ouvrages antisémites et négationnistes.

Le profil de plusieurs candidats lors des législatives en 2024 choque encore, entre l'une prise en photo avec une casquette ornée d'une croix gammée ou une autre qui parle de "son ophtalmo juif".

Mais les polémiques n'empêchent les rapprochements avec Israël, soucieux de trouver de nouveaux alliés sur la scène internationale, après le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en novembre dernier.

"Il ne faut pas être naïf. C'est un intérêt bien compris des deux côtés. Dans le contexte actuel, toutes les situations sont bonnes à prendre pour Israël et le RN est évidemment ravi", regrette un député PS, également membre du groupe d'amitié France-Israël.

Avec en poisson pilote le ministre de la Diaspora Amichaï Chikli. C'est lui qui a convié Jordan Bardella et Marion Maréchal à venir en Israël pour disserter notamment sur la lutte contre l'antisémitisme. Grand fan du Premier ministre Viktor Orban, cet Israélien venu de la droite religieuse n'est pas connu du grand public mais se considère comme un ambassadeur des droites radicales.

Appels du pied

Amichaï Chikli a rencontré Marine Le Pen au printemps 2024 lors d'une rencontre entre les droites souverainistes européennes à Madrid. Quelques semaines plus tard, il explique sur les ondes de la radio publique israélienne que son élection serait "excellente pour Israël".

En février dernier, Jordan Bardella le rencontre à son tour à Washington lors d'un déplacement qui a tourné court. Le président du RN a annulé son discours après un salut qu'il a qualifié de "geste nazi" de l'ex-conseiller de Donald Trump Steve Bannon. Quelques semaines plus tôt, c'était à Marion Maréchal de le croiser lors d'un colloque à Bruxelles.

"On attendait tous une invitation de sa part parce qu'on a eu beaucoup de contacts avec lui mais on n'a pas boudé notre plaisir quand elle est arrivée", confie un proche de Marine Le Pen.

Avec en toile de fond l'espoir que la communauté juive, estimée à environ 400.000 personnes en France, apporte ses suffrages au RN en 2027. Si aucune étude ne permet de déterminer le vote des personnes de confession juive en France, l'étude de certains bureaux de vote donne traditionnellement des indications.

Malaise parmi les représentants de la communauté juive

Dans le nord et à l'est du parc parisien des Buttes-Chaumont ou dans le quartier de la "Petite Jérusalem" à Sarcelles (Val-d'Oise), le score de Marine Le Pen a stagné lors de la présidentielle de 2022, restant trois à quatre fois plus faible que son score national. Éric Zemmour, lui, a effectué une nette poussée.

À Sarcelles par exemple, le candidat Reconquête avait réalisé au premier tour un score de 11,55 % nettement au-dessus de sa moyenne nationale (7,07%).

Ce malaise vis-à-vis de Marine Le Pen se retrouve également au sein des représentants de la communauté juive. Cette invitation "n'engage pas les institutions juives de France", a assuré Yonathan Arfi, le président du CRIF, le conseil représentatif des institutions juives de France sur RMC ce lundi.

"Aujourd'hui, on sent bien que ce sujet est instrumentalisé pour mettre en scène un RN nouveau dans une stratégie de conquête du pouvoir", a encore tancé celui qui a toujours refusé d'inviter Marine Le Pen au dîner annuel du CRIF.

Boycott de rabbins européens

Quant à Yossef Murciano, le président de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), il dénonce "une présence choquante" autour "d'éminents membres d'un parti fondé par des Waffen-SS qui se retrouvent au final à échanger sur la lutte contre l'antisémitisme".

"Franchement, qu'il y ait un désaccord entre les représentants d'une communauté et les gens qui sont vraiment dans la vie quotidienne, ça n'étonne personne. Ça ne veut pas dire grand-chose d'autre que la déconnexion des élites", avance l'un des conseillers de Marine Le Pen.

Preuve cependant que la venue de Jordan Bardella et Marion Maréchal fait grincer des dents au-delà de l'Hexagone: plusieurs rabbins européens, conviés à participer à la conférence dans laquelle interviendra le patron du RN, ont décidé de boycotter l'événement. Bernard Henri-Lévy a, lui, annulé une conférence en Israël.

Réponse du patron du parti sur BFMTV lundi matin: "il y a beaucoup de nos compatriotes de confession juive qui considèrent" que les propos des représentants des institutions juives "sont des propos politiques, politisés, qui font fi de la réalité de ce qui est en train de se passer en France".

Marie-Pierre Bourgeois