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Jean-Marie Le Pen est mort à l'âge de 96 ans

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Le co-fondateur du Front national, mort ce mardi 7 janvier à 96 ans, a assuré une longévité certaine à l’extrême droite ces 50 dernières années. Sa stratégie bien rodée de dérapages a cependant toujours été une entrave à la conquête du pouvoir avant que Marine Le Pen ne prenne la tête du mouvement.

La fin d’une époque. Bien qu'en retrait de la vie politique depuis plusieurs années, l'empreinte de Jean-Marie Le Pen, le co-fondateur de Front national, mort le 7 janvier à l’âge de 96 ans est profonde sur le paysage électoral.

Le Menhir naît à la Trinité-sur-Mer en 1928 dans une famille de pêcheurs. Son père, conseiller municipal de cette ville du Morbihan, meurt en mer alors qu’il n’est âgé que de 13 ans. Devenu pupille de la nation, le jeune garçon qui se passionne pour la littérature, tente sans succès de rejoindre à 16 ans les Forces françaises de l’Intérieur, qui comptent notamment dans leurs rangs des soutiens de Charles de Gaulle.

Député à 27 ans avant de découvrir l'Algérie

À vingt ans, il quitte la Bretagne pour Paris pour s'inscrire à la faculté de droit d’Assas et y devient le président de la Corpo, le mouvement qui réunit toutes les associations de l’université. L'étudiant fait alors ses premières armes politiques et croise régulièrement le fer avec les militants de l’UNEF. Sans jamais adhérer à l’Action française qui soutient le rétablissement de la monarchie, le Breton vend régulièrement leur revue dans les rues de la capitale.

Hésitant entre le barreau et l’armée, le vingtenaire rejoint finalement le premier bataillon étranger de parachutistes en Indochine. Il y a fait alors la rencontre d’Alain Delon qui restera son ami.

Quelques mois plus tard, Jean-Marie Le Pen se lance en politique et se présente aux législatives de 1956 sous les couleurs de l’Union et Fraternité française, le syndicat de Pierre Poujade. Élu à la proportionnelle, il devient à l’âge de 27 ans l’un des plus jeunes députés. C’est le début d'une très longue carrière qui va durer presque 50 ans.

Jean-Marie Le Pen à Paris le 8 avril 1962
Jean-Marie Le Pen à Paris le 8 avril 1962 © AFP

Jean-Marie Le Pen interrompt cependant son mandat pour participer à la guerre d’Algérie quelques mois plus tard et notamment à la bataille d’Alger, l’un des épisodes les plus sanglants du confit. Des soupçons ont pesé sur sa participation active à la torture de militants du FLN.

"Nous avons torturé parce qu'il fallait le faire. Quand on vous amène quelqu'un qui vient de poser vingt bombes qui peuvent exploser d'un moment à l'autre et qu'il ne veut pas parler, il faut employer des moyens exceptionnels pour l'y contraindre", raconte-t-il auprès du journal Combat en 1962.

Une maison de disques spécialisée dans les marches militaires

L'élu niera ensuite avoir participé à des exactions, portant plusieurs fois plainte contre des journalistes l’en accusant, tout en défendant l'usage de la torture dans ses Mémoires.

En 1963, le député devient le directeur de campagne de Jean-Louis Tixier Vignancourt pour la présidentielle de 1965. Cet ancien avocat de Louis-Ferdinand Céline, membre de l’Action française et frappé pendant 10 ans d’indignité nationale pour avoir participé au régime de Vichy, récolte 5,5% des voix.

Alors que leur collaboration explose quelques semaines après le premier tour, Jean-Marie Le Pen, qui a perdu son mandat de parlementaire se lance dans la musique en créant sa maison de disques spécialisée dans la musique militaire.

En 1972, d’anciens camarades d’Assas qui font partie d’Ordre nouveau lui proposent de prendre la tête d’un tout jeune parti qui veut s'inspirer de MSI, un parti italien fondé par des proches de Mussolini. L'entrepreneur accepte et devient le co-président du Front national.

"La droite qui ose dire son nom"

En guise de test, il se présente à la présidentielle en 1974 et ne récolte que 0,75% avec son slogan "La droite qui ose dire son nom". Peu importe. Jean-Marie Le Pen va faire de cette minuscule boutique électorale un véritable objet politique.

Si son score est famélique, il le fait connaître de toute l’extrême gauche qui en fait alors une cible. En 1976, une bombe détruit son appartement parisien. "Ma femme et mes 3 filles" dont Marine Le Pen, "nous nous sommes retrouvés à la rue en pleine nuit", explique-t-il dans ses Mémoires.

La mort de son ami Hubert Lambert, le richissime entrepreneur qui a fait fortune dans les ciments, lui permet quelques mois plus tard de s'installer dans sa villa de Montretout à Saint-Cloud. Il hérite officiellement de cet hôtel particulier et de toute sa fortune quelques années plus tard.

Jean-Marie Le Pen et sa famille à Saint-Cloud le 1er mai 1974
Jean-Marie Le Pen et sa famille à Saint-Cloud le 1er mai 1974 © AFP

Désormais dégagé de toute préoccupation financière, le Menhir se consacre à plein temps à la politique. Après ne pas être parvenu à réunir les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à la présidentielle de 1981, la décennie qui s’ouvre marque les premiers succès électoraux du FN.

Dreux, son premier succès politique

Dix ans après sa création, Dreux et ses 30.000 habitants accordent 10% de ses suffrages à la liste FN aux élections cantonales avant de faire un très bon score aux municipales.

Dans cette cité industrielle en déclin, dans laquelle se concentrent des populations immigrées précaires, le slogan "un million d’immigrés, c’est un million de chômeurs", fait mouche. Sans hésiter, la droite locale (RPR) fusionne sa liste avec celle du candidat du FN, Jean-Pierre Stirbois, qui devient adjoint au maire et s'entoure de 10 conseillers municipaux.

Jean-Marie Le Pen à Dreux le 6 septembre 1983
Jean-Marie Le Pen à Dreux le 6 septembre 1983 © GABRIEL DUVAL / AFP

Jean-Marie Le Pen profite de cette séquence médiatique pour adresser un courrier à François Mitterrand à l’Elysée, dénonçant sa discrétion dans les médias. La méthode paie: en quelques semaines, il enchaîne les plateaux les plus prestigieux, du 20-Heures de TF1 à L’Heure de vérité. C'est dans cette émission que les Français découvrent pour la première fois ses filles, derrière lui, pendant son interview.

Playboy et ménage

Cette médiatisation lui permet en 1984 de devenir député européen. Mais c'est pour une toute autre raison que Jean-Marie Le Pen fait les gros titres.

Sa femme Pierrette, qui vient de le quitter pour un journaliste qui écrivait un biographie sur son mari, lui intente un procès. Son avocat est à l'époque Gilbert Collard. Alors que Jean-Marie Le Pen refuse de lui verser une pension alimentaire, il déclare dans Playboy: "si elle a besoin d'argent, elle n'a qu'à faire des ménages." En guise de réponse, son épouse pose nue dans le magazine, déguisée en soubrette.

À la faveur de l'instauration du scrutin proportionnel porté par François Mitterrand, Jean-Marie Le Pen fait son retour à l'Assemblée nationale, aux côtés de 33 autres députés FN - une première dans l’histoire de la 5è République. Pour son retour au Palais-Bourbon, le Breton frappe fort et accuse Jacques Chirac, alors Premier ministre, d'avoir créé autour de son parti une "espèce d'apartheid politique" en pensant qu'il pouvait "transmettre le SIDA".

Au Palais-Bourbon, les parlementaires frontistes se concentrent principalement sur la préférence nationale pour les Français au chômage, le rétablissement de la peine de mort et un durcissement de l’accès à la nationalité française.

La stratégie de la provocation

Trois ans plus tard, Jean-Marie Le Pen tient des propos qui le suivront tout le reste de sa carrière. Interrogé sur RTL au sujet des chambres à gaz, il déclare qu’elles sont “un point de détail de l'histoire de la deuxième guerre mondiale".

Ses provocations verbales seront sa marque de fabrique alors qu’il a été condamné à de nombreuses reprises par la justice pour injures publiques, provocation à la haine ou encore pour violences.

Cette sortie ne l’empêche de faire un excellent score à la présidentielle de 1988 où il récolte 14,4% des voix. Conscient que les voix de Jean-Marie Le Pen pourrait lui permettre de l’emporter face à François Mitterrand, Jacques Chirac le rencontre secrètement lors de l’entre-deux-tours. Sans succès. Le frontiste ne donne aucune consigne de vote à ses électeurs avant de perdre son groupe à l'Assemblée quelques mois plus tard.

"Lepénisation des esprits"

Relativement discret dans les années suivantes, Jean-Marie Le Pen fait son retour sur la scène nationale en 1995. Il récolte 15% des voix au premier tour de la présidentielle tandis que son parti remporte les municipales à Toulon, Marignane et Orange avant Vitrolles en 1997.

Jean-Marie Le Pen à Lyon le 15 janvier 1998
Jean-Marie Le Pen à Lyon le 15 janvier 1998 © GERARD MALIE / AFP

Ces différents succès marquent le début d’une expression qui fera ensuite florès : celles de la "lepénisation des esprits" utilisée par Robert Badinter, pour regretter son influence dans le débat public.

Si ce thème est l’une des constantes du parti depuis sa création, les convictions de Jean-Marie Le Pen sont relativement mouvantes. D’abord farouchement libéral et pro-européen, l'élu dénoncera ensuite "le mondialisme" appelant à défendre la souveraineté française.

La surprise du second tour en 2002

En 1998, le dauphin de Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret, qui souhaite faire du FN un "parti de gouvernement", est exclu. Cet intime de Jean-Marie Le Pen lance son propre parti, le mouvement national républicain, et emmène dans ses bagages la plupart des cadres frontistes.

Avec un coup dur personnel : Marie-Caroline, et son mari, Philippe Olivier, préfèrent eux aussi partir. Sur TF1, Jean-Marie Le Pen parle alors des "femmes qui ont l'habitude de suivre leur mari ou leur amant plutôt que leur père".

Le parti entame donc la présidentielle de 2002 dans un piteux état. Dans une campagne marquée par les questions d’insécurité, le Front national parvient à la surprise générale à se qualifier au second tour en récoltant 16,9% des voix. Si son patron perd très largement au second tour face à Jacques Chirac, après qu’un million de personnes sont descendues dans la rue, il reconnaît des années plus tard avoir été soulagé par sa défaite.

Jean-Marie Le Pen à Paris le 27 avril 2002
Jean-Marie Le Pen à Paris le 27 avril 2002 © Joël SAGET / AFP

"J’ai envisagé avec une certaine angoisse qu'il y ait une déferlante populiste. Je ne suis pas spécialement un homme politique qui a la réputation d'être peureux mais je sais évaluer le danger. Quand vous vous retrouvez dans l'hypothèse d'être président de la République alors que vous n'avez pas l'appareil pour le faire, vous ne trouvez pas que ça puisse susciter légitimement une impression d'angoisse? Si ce n'est pas le cas, c'est que vous êtes un branleur", explique-t-il à Society des années plus tard.

Exclu de son propre parti

En 2007, pour sa dernière campagne présidentielle, Jean-Marie Le Pen, concurrencé par Nicolas Sarkozy qui multiplie les déplacements et les propositions sur l’immigration, appelle à préférer "l’original à la copie". Il ne récolte que 10% des voix, son plus mauvais score depuis l'élection présidentielle de 1974.

En 2011, Jean-Marie Le Pen quitte la présidence du FN après plus de 4 décennies. C’est Marine Le Pen qui en devient présidente, au grand dam de son fidèle compagnon de route, Bruno Gollnisch.

Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen le 30 mars 2012 à Nice
Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen le 30 mars 2012 à Nice © Boris HORVAT / AFP

S’ouvre alors une décennie de relations orageuses avec sa fille qui cherche à normaliser le mouvement politique et à en faire un outil de la conquête du pouvoir.

Entre provocations verbales, désaccord sur la ligne politique impulsée par le numéro 2 du Front national d’alors, Florian Philippot et soutien à sa petite-fille, la députée Marion Maréchal, Jean-Marie Le Pen est finalement exclu du Front national en 2016. De quoi lui permettre cependant de suivre l’arrivée de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale en 2017.

"De la sympathie pour Éric Zemmour"

En 2019, sans se retirer officiellement de la vie politique, il quitte son mandat de député européen. En août 2020, l'ancien élu lance un fonds de photos et de vidéos qui retracent son propre parcours politique.

Trois ans plus tard, victime d’un malaise cardiaque, le cofondateur du FN décide de se faire beaucoup plus discret. Exit le journal hebdomadaire qu’il tient sur YouTube depuis des années tout comme les rendez-vous avec la presse.

Dans sa dernière prise de parole en novembre 2021 pour BFMTV, Jean-Marie Le Pen affirme soutenir sa fille dans la course à la présidentielle, tout en expliquant "avoir de la sympathie pour Éric Zemmour". Il observe quelques mois plus tard à distance son ancien parti parvenir à faire élire 89 députés aux législatives avant une nouvelle vague en juillet 2024 avec 126 élus.

"Mandat de protection"

Très affaibli physiquement ces derniers mois, le Menhir n’a pas assisté au procès du RN actuellement en cours. Accusé comme sa fille Marine Le Pen d’avoir détourné des fonds du Parlement européen destinés à payer des assistants parlementaires, les juges estiment alors qu’il n’est pas en état "d’assister" aux débats devant le tribunal de Paris.

Jean-Marie Le Pen à Saint-Cloud le 2 février 2022
Jean-Marie Le Pen à Saint-Cloud le 2 février 2022 © JOEL SAGET / AFP

Sa dernière apparition correspond à la diffusion d’une vidéo sur laquelle on le voit chanter tout sourire aux côtés des musiciens d’un groupe de de rock néonazi. "Jean-Marie Le Pen est capable de réciter du Musset, mais peut ne pas savoir en quelle année nous sommes", explique Marine Le Pen à BFMTV, se disant garante "de la protection de la santé et de l'image" de son père. Fin novembre, la patronne des députés RN évoque “son amour” pour lui et reconnaît des “inquiétudes”.

Depuis le mois de février, le confondateur du mouvement était "sous mandat de protection", une mesure comparable à une tutelle.

Marie-Pierre Bourgeois