Mort de Jean-Marie Le Pen: "détail de l'histoire", haine raciale... Une vie de condamnations

Une carrière de six décennies marquée du sceau de la justice. Jean-Marie Le Pen, qui est mort ce mardi 7 janvier à l'âge de 96 ans à Garches (Hauts-de-Seine), a été condamné à plus d'une trentaine de reprises. Cette culture de la provocation lui a permis pendant des années de jouer la carte de la figure hors du système politique et médiatique.
Plusieurs des propos du cofondateur du Front national ont marqué l'histoire de la vie politique contemporaine, à commencer par ses propos sur le "détail de l'histoire". En 1987, celui qui est alors député FN est interrogé sur le positionnement de certains membres de son entourage qui minimisent l’utilisation par les nazis des chambres à gaz pour exterminer les juifs dans les camps de concentration.
Exclu du Front national en 2015
Réponse de Jean-Marie Le Pen à quelques mois de l'élection présidentielle: "je n'ai pas étudié spécialement la question mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la seconde guerre mondiale".
Ces propos interviennent quelques mois à peine après la fin du procès de Klaus-Barbie, le chef de la Gestapo à Lyon qui avait été condamné à la réclusion à perpétuité pour crime contre l’humanité.
De quoi choquer l’ensemble de la classe politique, y compris dans son propre camp qui enchaîne alors une série de départs. "En 40 ans de vie publique, c'est la plus grosse connerie qui soit sortie de ma bouche", confie-t-il alors à l'un de ses proches Lorrain de Saint-Affrique, comme le rapporte l’historienne Valérie Igounet dans Histoire du négationnisme.
Jean-Marie Le Pen a beau exprimer des années plus tard des regrets, il réitère à plusieurs reprises ses propos en 1997, en 2008, en 2009 et enfin en 2015 sur BFMTV - ce qui lui vaut l’exclusion de son mouvement.
Ces mots lui permettent de donner des gages à une partie de son électorat d'alors “notamment imprégné de la mémoire de la seconde guerre mondiale”, comme l'explique Mathias Bernard, professeur d’histoire contemporaine l'Université Clermont-Auvergne dans la revue Vingtième siècle.
"Monsieur Durafour-crématoire"
Il est condamné à plusieurs reprises pour ses propos: une première fois en 1988 en référé puis une seconde fois en 1991 pour banalisation de crimes contre l'humanité avant d’être à nouveau condamné en 1999.
Un an à peine après sa première sortie sur le "détail de l’histoire", Jean-Marie Le Pen évoque lors d'une université d'été du FN le ministre Michel Durafour, alors en charge de la Fonction publique, en l’appelant "Monsieur Durafour-crématoire". La réplique vise à blesser politiquement ce transfuge de la droite dans le gouvernement de Michel Rocard. Quelques jours, cet élu avait appelé à "exterminer" le FN.
Tenu devant des militants de son parti, le calembour avait fait rire à l’époque toute la salle et fait les gros titres des journaux, quelques semaines à peine après avoir obtenu 14% des voix à la présidentielle. De quoi rester dans la tête des Français.
Poursuivi pour injure publique envers un ministre, le député d’extrême droite est condamné en première instance après d’être relaxé puis d’être définitivement condamné en 1993.
En 2004, Jean-Marie Le Pen avance dans les colonnes du sulfureux magazine Rivarol que "l'occupation allemande n’avait pas été particulièrement inhumaine même s'il y a eu des bavures, inévitables dans un pays de 555.000 km²".
Plutôt discret médiatiquement après avoir échoué à se présenter dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, historiquement plutôt favorable au FN, la polémique lui permet de créer un nouveau scandale médiatique.
Il est condamné définitivement par la Cour d’appel de Paris pour contestation de crimes contre l’humanité en 2012 tout en le relaxant des faits d’apologie de crime de guerre.
Des condamnations sur les sujets migratoires
En 1984, l’élu d’extrême droite qualifie de "danger mortel" "l’hégémonie tenant à l’explosion démographique du tiers-monde et en particulier du monde islamo-arabe qui, actuellement, pénètre notre pays".
Ces phrases lui offrent l'opportunité de surfer sur le succès de son slogan "un million de chômeurs, c'est un million d’immigrés de trop" qui avait frappé les esprits lors des législatives en 1978. Elle donne aussi corps à l’un des marqueurs du FN: la lutte contre l’immigration. D’abord condamné pour délit de provocation à la discrimination raciale, Jean-Marie Le Pen est finalement relaxé par la cour de Cassation.
Il est cependant condamné pour des chefs identiques en 2005 pour avoir déclaré au Monde que "le jour où nous aurons en France, non plus 5 millions mais 25 millions de musulmans, ce seront eux qui commanderont".
Un an plus tôt en 2004, le cofondateur du RN, alors député européen, avance auprès de l'hebdomadaire Rivarol qu'avec "25 millions de musulmans chez nous, les Français raseront les murs". Il est condamné en 2008 par la Cour d'appel de Paris pour incitation à la discrimination.
Rebelote pour des propos tenus à Nice en juillet 2013. En déplacement dans les Alpes-Maritimes, Jean-Marie Le Pen accuse "les quelques centaines de Roms" présents sur le territoire "d'avoir une présence urticante et disons odorante".
Relativement discret pendant la présidentielle de 2012, où il n’est plus candidat pour le FN pour la première fois depuis 1974, cette sortie rappelle à son parti qu’il ne compte pas disparaître du paysage politique. Il est condamné en appel pour provocation à la haine et à la discrimination.
Une condamnation pour violences
En 1997, en pleine campagne des législatives après la dissolution lancée par Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen vient soutenir sa fille Marie-Caroline Le Pen candidate dans les Yvelines, à Mantes-la Jolie. À peine sorti de sa voiture, il est visé par des slogans hostiles de la part de militants de gauche, entraînant une bagarre immédiate.
Hors de lui, il plaque violemment contre un mur Annette Peulvast-Bergeal, la maire socialiste d’une commune voisine, également candidate.
"Je n'ai jamais eu peur d’un autre homme, ni même de plusieurs", fanfaronne-t-il alors sous l’œil de la caméra de France 2 avant de se jeter à nouveau dans la mêlée et de lancer à un manifestant: "j'vais te faire courir, moi, tu vas voir, le rouquin, là-bas. Hein ? Pédé!"
L’épisode lui coûte un an d'inéligibilité et à 8.000 francs d’amende en seconde instance (soit environ 1.200 euros NDLR) pour violences sur personne dépositaire de l’ordre public. Bruno Mégret, alors numéro 2 du FN, qui cherche à faire du mouvement un “parti de gouvernement”, ne digère pas la scène et claque la porte un an plus tard, après s’être vu infliger de multiples humiliations.
Des procédures judiciaires aussi en tant que partie civile
Jean-Marie a aussi été parfois été de l’autre côté en portant lui-même plainte pour diffamation contre l’ex Premier ministre Michel Rocard qui l’accuse en 1992 d’avoir torturé des militants de l’indépendance en Algérie.
Si le cofondateur du FN gagne en première instance et nie farouchement les faits, Michel Rocard est blanchi en appel.
La question de l’implication éventuelle de l’homme d’extrême droite dans des cas de torture est remise sur la table lors d’une longue enquête du Monde sortie quelques semaines après l’accession au second tour de Jean-Marie Le Pen à la présidentielle.
Le quotidien faisait état, sur la foi de témoignages concordants, de sa participation à la torture pendant la guerre d’Algérie. Attaqué en diffamation par le politique, la justice avait reconnu "la crédibilité certaine" des faits rapportés par le journal.
Jean-Marie Le Pen est également sur le banc des parties civiles des années plus tard pour contester son exclusion du RN en 2015 après avoir réaffirmé publiquement que les chambres à gaz utilisées lors de la seconde guerre mondiale était "un détail de l’Histoire". Une semaine plus tard, il refuse de qualifier le Maréchal Pétain de "traître".
C’en est trop pour Marine Le Pen, en pleine entreprise de dédiabolisation, alors accompagnée par son lieutenant Florian Philippot. Attaquant en référé la procédure, il obtient finalement de rester président d’honneur du parti.
Dernier épisode judiciaire en date avant sa mort: le procès des assistants parlementaires du RN, un dossier dans lequel Jean-Marie Le Pen, parmi 26 autres prévenus dont Marine Le Pen, est soupçonné d’avoir détourné de l’argent du Parlement européen au bénéfice du parti. Très affaibli physiquement, Jean-Marie Le Pen n’a pas assisté à son procès à l’automne 2024 et le parquet n’a requis aucune peine contre lui.