Hollande veut un parquet financier central, les magistrats dubitatifs

La magistrature a accueilli frileusement l'annonce de François Hollande. - -
François Hollande veut voir trembler les délinquants en col blanc. En mauvaise posture après le scandale Cahuzac, le président de la République a annoncé mercredi une série de mesures pour moraliser la vie politique. Parmi elles, la volonté de créer un parquet financier à compétence nationale pour renforcer la lutte contre la grande délinquance économique et financière. Une mesure accueillie très froidement par la magistrature. Explications.
>> Qui traite aujourd'hui ces infractions?
Actuellement, le traitement des infractions économico-financières est décentralisé, contrairement aux affaires de terrorisme, toutes conduites depuis Paris.
Lorsque le degré de complexité d'une affaire de corruption ou de fraude fiscale nécessite des moyens d'investigations importants voire transnationaux, elle est transférée dans une JIRS (Juridiction inter-régionale spécialisée), qui regroupe des magistrats spécialisés. Au nombre de huit, ces juridictions ont été créés en 2004, mais manquent de moyens et d'effectifs.
Au JIRS de Paris par exemple, le nombre de juges d'instruction est passé de 13 à 8 entre 2007 et 2012.
>> Que veut changer François Hollande?
Le chef de l’État veut créer un parquet financier avec une compétence nationale, chargé d'agir sur les grandes affaires de corruption et de fraudes fiscales.
A la tête de ce nouveau parquet, un procureur spécialisé, nommé –comme tous les procureurs de la République- par la Garde des Sceaux. L'objectif est que ce magistrat "conduise et coordonne toutes les enquêtes sur ces graves infractions, ce qui aura le mérite à la fois de la concentration des moyens et de l'efficacité des procédures".
>> Pourquoi l'idée déplaît-elle à de nombreux magistrats?
Certains reconnaissent que ce pôle national permettrait de traiter plus rapidement et plus efficacement les affaires économico-financières. "On éviterait ainsi d'avoir des procédures judiciaires concernant une même bande organisée ouvertes dans différentes juridictions", estime le juge d'instruction Jean-Luc Bongrand, du pôle financier de Paris, et trésorier de l'AFMI (Association française des magistrats instructeurs). "Mais cela ne règle pas le problème des moyens. Or, on étouffe!"
Les magistrats s'inquiètent également de la proximité entre l'exécutif et le procureur qui serait à la tête de ce parquet.
"Depuis cinq ou six ans, les ouvertures d'information judiciaire ont été complètement muselées. Les juges d'instruction sont beaucoup moins saisis qu'avant par le parquet, on sent une mainmise beaucoup plus forte de l'exécutif", estime Isabelle Perrin, juge d'instruction au TGI de Toulouse et secrétaire générale de l'AFMI.
Certains craignent que dans le cadre d'affaires "sensibles", l'exécutif puisse faire pression pour qu'il n'y ait pas d'ouverture d'information judiciaire. Et un magistrat de citer l'exemple Bettencourt. "Le procureur Courroye avait tout fait pour ne pas saisir un juge d'instruction dans l'affaire Bettencourt. Son amitié avec Nicolas Sarkozy n'y était pas étrangère."
Autre problème actuel soulevé par Eric Bocciarelli, secrétaire général du syndicat de la magistrature, "en matière de fraude fiscale, les procureurs de la République doivent obtenir l'autorisation du ministre du Budget pour lancer des investigations, le FISC ayant le pouvoir de trouver un accord avec les fraudeurs sans passer par la justice. Ce frein est complètement anormal, et doit être réformé, avant même de penser à créer un parquet financier."
Sur ce point, François Hollande ne s'est pas prononcé.
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|||Comprendre la justice
Lorsqu'un parquet, dirigé par un procureur de la République, est prévenu par la police d'une possible infraction, il décide de classer sans suite ou de poursuivre. En cas de poursuites, s'il estime que l'affaire est complexe, il saisit un juge d'instruction en ouvrant une information judiciaire. Ce juge mène une enquête à charge et à décharge, et dispose de plus de moyens d'investigations que le parquet.
Le parquet est nommé par la Chancellerie afin d'avoir une politique pénale uniformisée. L'exécutif estime ainsi qu'en nommant ces magistrats, il s'assure qu'ils aillent tous dans le sens de sa volonté politique et respecte ses priorités en matière de poursuites.