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TOUT COMPRENDRE - Comment LaREM a chamboulé la campagne des régionales en Paca

Le président de la région PACA Renaud Muselier au siège de LR, le 4 mai 2021

Le président de la région PACA Renaud Muselier au siège de LR, le 4 mai 2021 - AFP / Stéphane de Sakutin

Depuis l'annonce par Jean Castex du retrait de la liste macroniste au profit de celle du LR Renaud Muselier, la droite fragilisée a réussi à retourner la situation à son avantage, contraignant LaREM à maintenir sa liste.

"C'est un sketch!" Tel est le résumé que nous fait un stratège macroniste de la situation politique en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Et comme c'est via Telegram, il l'agrémente d'un émoji pleurant de rire. Il faut dire que, depuis moins d'une semaine, les élections régionales en PACA sont le théâtre d'un curieux vaudeville dans lequel, initialement, la droite se voyait brusquement plumée par La République en marche.

En l'espace de quelques jours, après moult dramaturgie chez Les Républicains, le parti de Christian Jacob a finalement réussi à préserver une grande partie de sa vaisselle. Le président sortant de la région, Renaud Muselier, est rentré dans le rang et LaREM se retrouve "à poil". Petit récapitulatif d'un scénario qui pourrait encore rebondir d'ici le 17 mai, date butoir de dépôt de liste des candidats.

• Négociations en coulisses

Cela faisait déjà plusieurs semaines que Renaud Muselier lorgnait un désistement de LaREM en sa faveur avant le premier tour. Il sait que face à lui, la liste du Rassemblement national conduite par l'ex-LR Thierry Mariani bénéficie d'une dynamique qui la place en tête dans les sondages. Six ans après la victoire sur le fil de Christian Estrosi face à Marion Maréchal, le président sortant craint que le barrage ne prenne l'eau de partout.

Car voilà, la situation de la droite n'est plus la même. Prise en étau entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, elle se bat pour sa survie, et bon nombre de ses dirigeants - en particulier le baron sudiste Eric Ciotti - ne veulent pas entendre parler du moindre accord avec LaREM de peur d'être définitivement absorbés. Une alliance est pourtant ce que Renaud Muselier, ancien chiraquien appartenant à l'aile modérée de LR, croit nécessaire pour contenir la poussée du RN.

"Je sais qu'il faut additionner et qu'on gagne toujours à rassembler. Je sais qu'il faut se dépasser. (...) Le bon sens voudrait que la majorité présidentielle me soutienne", va-t-il jusqu'à déclarer sur BFMTV le 28 avril, affirmant qu'il travaille "très bien" avec certains membres du gouvernement, tels que Bruno Le Maire ou Élisabeth Borne.

En coulisses, les négociations impliquent deux autres éminences locales de la droite Macron-compatible: le maire de Toulon Hubert Falco et celui de Nice, Christian Estrosi. Côté Élysée, c'est le conseiller ex-LR Thierry Solère qui est à la manœuvre, tandis que le patron du groupe LaREM à l'Assemblée nationale, le député des Alpes-de-Haute-Provence Christophe Castaner, joue de son entregent dans une région où lui-même s'était désisté en 2015.

• Le 2 mai, Castex dégaine

C'est finalement à Jean Castex, Premier ministre issu de LR et longtemps élu dans les Pyrénées-Orientales, qu'il revient d'officialiser le deal. Il annonce le retrait de la liste LaREM en région PACA, conduite par la secrétaire d'État aux Personnes handicapées Sophie Cluzel. "La majorité présidentielle répond très favorablement à l'initiative de Renaud Muselier", déclare-t-il dans les colonnes du Journal du Dimanche du 2 mai.

"Sophie Cluzel et des représentants de la majorité parlementaire vont intégrer le dispositif conduit par Renaud Muselier", poursuit le chef du gouvernement.

À droite, cette sortie fait l'effet d'une bombe. Le scénario tant craint d'un effacement au profit conjoint de LaREM et du RN est en train de se réaliser. Plusieurs poids lourds de LR condamnent immédiatement l'annonce, à commencer par Eric Ciotti, Bruno Retailleau et Julien Aubert, lequel prévient que si une telle alliance devait voir le jour, il quitterait sa liste. Dans la matinée, Christian Jacob affirme dans un communiqué que Renaud Muselier "ne pourra pas bénéficier de l'investiture LR" en PACA.

"La peur de perdre des uns, ajoutée au cynisme des autres, n’a jamais fondé une ligne politique. Le premier tour doit être celui de la clarté et de la fidélité à ses convictions, ses engagements et ses alliés naturels", écrit-il.

Avec ce soutien dès le premier tour à Renaud Muselier, LaREM espère conjurer le mauvais sort que lui avaient réservé les élections municipales de 2020. À l'époque, les marcheurs ont opté pour une stratégie consistant à défendre leur étiquette avant de précipiter des fusions de listes çà et là durant l'entre-deux tours. Ces accords, peu convaincants, ont échoué dans des villes comme Bordeaux ou Lyon, conquises par les écologistes.

• Le 3 mai, la tension monte

Renaud Muselier a beau marteler qu'il n'y aura aucun "accord d'appareil" avec LaREM, la droite est abasourdie par sa décision. Pour les tenants de la ligne dure, le président de la région PACA est un traître qu'il faut exclure du mouvement. D'autres, comme Christian Jacob ou François Baroin, sont tourneboulés. Avec Renaud Muselier, ces anciens "bébé Chirac" ont fait leurs armes ensemble lors de la présidentielle de 1995.

Les pontes de LaREM se délectent et semblent avoir atteint leur objectif: "bordéliser" la droite à un an de l'élection de 2022, la fracturer davantage encore qu'elle ne l'était afin d'absorber ce qu'il lui reste d'électorat modéré pas encore acquis à Emmanuel Macron.

Cette stratégie comporte toutefois un risque, celui de faire prospérer le RN en démotivant des électeurs n'ayant aucune envie que leur vote aille dans l'escarcelle du chef de l'État. Plusieurs macronistes en sont conscients: ce deal peut précipiter la victoire de Thierry Mariani, alors même que son objectif était de grossir le socle de Renaud Muselier. Par ailleurs, certains cadres LR, comme le maire de Cannes David Lisnard, brandissent la menace d'une liste dissidente qui ne ferait qu'ajouter à la confusion... et donner du grain à moudre au RN.

Dès le lundi 3 mai, Renaud Muselier insiste lors d'une conférence de presse à Nice sur le fait que sa liste est "d'abord celle de la majorité régionale actuelle". Et de poursuivre en excluant toute présence, dans cette liste, de "détenteurs de mandats nationaux".

Cette précision laisse entendre que Sophie Cluzel, à moins de démissionner du gouvernement, ne pourra pas être de la partie. Au départ, elle espérait a minima mener la liste départementale du Var en tandem avec Hubert Falco. Les incertitudes se multiplient.

• Le 4 mai, LR fait revenir Muselier au bercail

Lors de la réunion du comité stratégique de LR mardi matin au siège du parti, rue de Vaugirard, l'ambiance est électrique. "Tu as des amis malfaisants", y lance Christian Jacob à Renaud Muselier, faisant allusion à Hubert Falco et Christian Estrosi.

"Tu es mon ami, mais tu ne peux pas être celui qui met une balle dans la tête de la droite", lui glisse François Baroin.

La pression sur les épaules de Renaud Muselier est maximale. En sortie de réunion, vers 11 heures, il tente néanmoins de donner le change face à la presse, non mécontente de voir ces régionales se corser un peu.

"C'est moi qui décide, ce n'est pas le Premier ministre, ce n'est pas le président de la République, ce n'est pas ma formation politique", déclare-t-il avant de conclure: "Je suis un homme libre!"

Pour LaREM, ça commence à sentir le roussi. Après des heures d'attente, Renaud Muselier publie un communiqué ambigu, dans lequel chacun peut se targuer de retrouver ses petits. Il n'y fait plus mention de l'interdiction faite à des ministres ou parlementaires marcheurs de rejoindre son équipe.

Après de nombreux allers-retours, LR obtient la promesse qu'aucun ministre ou élu LaREM ne figurera sur les listes. Vers 20h30, le parti apporte finalement son soutien au président de la région PACA, avec le sentiment d'avoir mis Emmanuel Macron échec et mat. Le soir-même sur LCI, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal assure pourtant qu'il y aura des candidats estampillés En Marche derrière Renaud Muselier.

• Le 5 mai, Falco claque la porte

La confusion est à son comble et la trêve à LR fragile. Au lendemain de l'intense journée de tractations auxquelles s'est livrée la droite, la présence ou non de Sophie Cluzel dans les rangs de la liste LR demeure un sujet de débat. Christian Jacob en fait un casus belli, Renaud Muselier veut se préserver des marges de manœuvre.

Un autre événement, à défaut de surprendre, secoue la droite locale de PACA: le maire de Toulon, Hubert Falco, annonce au Figaro qu'il quitte son parti. "Je ne renie rien, je ne critique rien, mais je décide de reprendre ma liberté", déclare ce proche du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Dans un communiqué, il dénonce le "sauve-qui-peut" et le "rétrécissement de la ligne" de LR, "qui en oublie les enjeux essentiels auxquels il doit répondre".

Il estime que "ne pas être favorable à l'union, alors que la menace de l'arrivée au pouvoir du Rassemblement National n'a jamais été aussi forte, revient à faire son jeu". Dans la foulée, Hubert Falco affirme auprès de BFMTV ne pas exclure "de travailler avec Emmanuel Macron".

Le soir, au 20H de France 2, Renaud Muselier répète pour sa part qu'il n'y a "jamais eu d'accord" avec LaREM. Il confirme par ailleurs, conformément a ce qui avait été tranché par la commission nationale d'investiture de LR, qu'aucun ministre ne pourrait figurer sur sa liste. De quoi définitivement acculer Sophie Cluzel à la démission, ce qu'elle n'avait jamais envisagé.

Xavier Bertrand entre dans la danse en pilonnant LaREM dès le dimanche en enjoignant LR à ne s'allier ni à LaREM, ni au RN. Il en remet une couche le mercredi dans une interview au Figaro, dans laquelle il qualifie Emmanuel Macron de "calculateur froid" et de "destructeur".

• Le 6 mai, Estrosi dit adieu

Plus prévisible que le départ de Hubert Falco, celui de Christian Estrosi entraîne néanmoins une perte lourde pour LR au niveau local. Compagnon de route devenu adversaire farouche d'Eric Ciotti, son rival des Alpes-Maritimes, le maire de Nice annonce sa "décision pénible", lui aussi, dans les colonnes du Figaro. Il y dénonce "la dérive d'une faction qui semble avoir pris en otage la direction du parti".

Selon l'édile, les atermoiements de LR ont fini "par banaliser Marine Le Pen et le Rassemblement national".

Dans l'entretien, Christian Estrosi dit aussi vouloir constituer une nouvelle formation politique "moderne rassemblant la droite et le centre autour d'un vrai projet où l'on ne passe pas son temps à parler de soi en bureau politique mais d'industrie, d'environnement, de sécurité, d'immigration contrôlée". L'aboutissement logique d'un processus entamé dès le 31 août 2020, lorsque l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy appelle sa famille politique à passer "un accord avec Emmanuel Macron".

• Le 7 mai, le retour d'une liste LaREM?

Chez les marcheurs, les langues se délient. Beaucoup reprochent à la frange ex-LR de la macronie d'avoir joué les apprentis sorciers. En particulier Thierry Solère, perçu comme responsable de ce fiasco qui rend LaREM sans domicile fixe en PACA. "L'idée est bonne, mais elle est mal née", glisse un ministre auprès de BFMTV.com. Car, à supposer que des marcheurs soient finalement accueillis par Renaud Muselier, ce serait au prix d'un abandon de tout signe d'appartenance trop ostentatoire au camp Macron.

C'est dans ce marasme que Sophie Cluzel, invitée de France Info ce vendredi, déclare que "la majorité présidentielle sera représentée au premier tour" en région PACA.

"L’objectif était de construire dans la clarté, (...) on a eu un combat de coqs parisiens", a déploré la secrétaire d'État aux Personnes handicapées.

Rappelons que selon un sondage Ifop révélé par Le Point le 14 avril, la liste Cluzel était créditée de 13% des intentions de vote au premier tour, derrière la principale liste de gauche, Renaud Muselier et, donc, Thierry Mariani qui pointait en tête avec 33%. Les négociations vont se poursuivre jusqu'au 17 mai, mais il y a fort à parier que tout cet imbroglio finisse, en définitive, par bénéficier au RN.

Jules Pecnard Journaliste BFMTV