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Présidentielle

Comment les "meilleurs ennemis" Macron et Orban s'utilisent pour faire campagne dans leurs pays

Le Premier ministre hongrois  Viktor Orban et le président français Emmanuel Macron, près de Ljubljana (Slovénie) le 6 octobre 2021

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban et le président français Emmanuel Macron, près de Ljubljana (Slovénie) le 6 octobre 2021 - Ludovic MARIN © 2019 AFP

Pour son premier déplacement en Hongrie, Macron va longuement échanger avec Orban tout en rencontrant ses opposants. La séquence est hautement politique, à quelques jours du début de la présidence tournante de l'UE et à 4 mois de la présidentielle.

Aller à la rencontre du Premier ministre hongrois, Vicktor Orban, ouvertement en conflit avec l'Europe, tout en multipliant les signes de ses désaccords politiques à moins de trois semaines du début de la présidence française tournante de l'Union européenne. C'est la ligne choisie par l'Élysée pour son tout premier déplacement en Hongrie depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron.

A commencer par un arrêt au cimetière juif de Kozma Utca et le recueillement sur la tombe de la philosophe Ágnes Heller. Décédée en 2019, cette spécialiste de Karl Marx avait été reçue par le président français en 2018 à Paris.

S'opposer à Zemmour et Le Pen en rendant hommage à une figure de l'opposition

Principale figure de l'opposition au régime de Viktor Orban, cette intellectuelle qui avait fuit l'URSS en 1956, après avoir participé à l'insurrection de Budapest, avait été chaleureusement saluée par Emmanuel Macron à l'annonce de sa mort.

"Elle était une combattante de l'antitotalitarisme, pour la liberté, pour l'Europe (...), une femme libre et une guerrière", avait déclaré la présidence dans un communiqué.

Difficile de ne pas voir dans cette visite sur sa tombe une pique lancée à Éric Zemmour et à Marine Le Pen, tous deux reçus par Budapest à l'automne dernier, et qui considèrent le Premier ministre hongrois comme une source d'inspiration.

"La Hongrie de 2021, sous la conduite de Viktor Orban, se place à la pointe du combat pour la liberté des peuples, ce combat si essentiel dans un monde en proie aux tentations totalitaires, ce combat sans lequel il n'y a pas de liberté des personnes", s'était d'ailleurs félicitée la candidate du Rassemblement national en octobre dernier au micro de BFMTV lors de son déplacement en Hongrie.

"Un adversaire politique mais aussi un partenaire européen"

Si le message contre le dirigeant hongrois se veut clair, il n'empêchera pas Emmanuel Macron de déjeuner une heure plus tard avec Viktor Orban puis de faire ensemble une conférence de presse. "C'est un adversaire politique, mais un partenaire européen", n'a d'ailleurs pas manqué de souligner Emmanuel Macron dans son discours sur les grandes lignes de sa présidence tournante.

"Quelles que soient nos sensibilités politiques, nos choix, nous devons travailler ensemble pour notre Europe", a encore ajouté le chef de l'État.

Si les deux hommes n'ont cessé de croiser le fer ces dernières années, ils ont en effet tous deux à coeur à ce que la rencontre se déroule sous de bons auspices.

Des intérêts bien compris

Du côté du Hongrois, alors que les relations avec l'Union européenne sont particulièrement tendues et que la Cour de justice européenne rendra un arrêt sur d'éventuelles nouvelles sanctions en janvier, l'heure est à la rondeur. Face à de nombreuses entorses à l'état de droit, l'Union européenne a décidé de bloquer le versement des subventions du plan de relance européen. Une mauvaise nouvelle pour ce pays en grande difficulté économique qui pourrait souhaiter montrer un visage plus accomodant.

Pour Paris, toutes les volontés autour de la table seront les bienvenues lors de la présidence tournante européenne pour faire avancer des sujets chers à Emmanuel Macron.

La Hongrie est "demandeuse sur la régulation des géants du numérique (...), sur le mécanisme carbone aux frontières, sur la sécurité des frontières extérieures. Elle a aussi voté en faveur d'un salaire minimum européen et elle est favorable à une défense européenne", a expliqué l'Élysée dans Les Échos.

"Meilleurs ennemis"

"Les débats sont réels, mais Macron et Orbán s'utilisent pour des raisons domestiques. Comme ils sont en pleine campagne (des élections législatives ont lieu en avril prochain en Hongrie NDLR), le discours “meilleurs ennemis” leur sert d'autant plus. En accueillant Macron, Orbán montre son importance européenne et prouve qu'il n'est pas isolé", analyse la politologue Eszter Petronella Soós, spécialiste des affaires hexagonales pour Slate.

Dans un agenda marqué du sceau du "et en même temps", Emmanuel Macron enchaînera avec un entretien avec le maire de Budapest et des représentants des partis politiques hongrois dont Peter Marki-Zay, candidat unique de l'opposition qui espère renverser le Premier ministre hongrois aux prochaines élections.

Pour finir ce déplacement, le président rencontrera trois autres dirigeants des pays de l'Est: le Polonais Mateusz Morawiecki, le Slovaque Eduard Heger et le Tchèque Andrej Babiš lors du sommet du groupe de Visegrad. Ce rendez-vous permettra de prendre la température de ces pays, dont certains, comme la Pologne, sont aussi en conflit ouvert avec l'Union européenne.

Prendre le pouls des autres pays d'Europe de l'Est

En profond désaccord avec les gouvernements hongrois et polonais, Paris se verait bien comme un agent apaisant.

"Ce serait une profonde erreur de pousser ces pays vers une sortie de l'Union européenne", a ainsi expliqué le président lors de sa conférence de presse jeudi dernier.

C'est qu'Emmanuel Macron se verrait bien finir son quinquennat auréolé d'un succès sur la scène européenne, en pleine campagne présidentielle. Si les oppositions ont dénoncé cet agenda, regrettant que la présidence tournante commence 4 mois avant le premier tour, elle a l'avantage de permettre au chef de l'État de peaufiner sa stature internationale, loin des manœuvres politiques. Un outil non négligeable pour convaincre à nouveau les Français.

Marie-Pierre Bourgeois