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100 millions d'euros pour les chercheurs étrangers: les syndicats dénoncent un calendrier "indécent"

Le directeur de recherche émérite Francis Rondelez tient une pancarte lors d'une manifestation "Stand Up For Science" en soutien aux scientifiques américains à Paris le 3 avril 2025. Photo d'illustration

Le directeur de recherche émérite Francis Rondelez tient une pancarte lors d'une manifestation "Stand Up For Science" en soutien aux scientifiques américains à Paris le 3 avril 2025. Photo d'illustration - Alain JOCARD / AFP

Les syndicats de l'enseignement supérieur et de la recherche se disent favorables à l'accueil de chercheurs étrangers, notamment américains, en difficulté. Mais ils déplorent qu'un investissement pour les attirer soit annoncé alors que leur budget est revu à la baisse et leurs finances dans le rouge.

Une annonce qui fait grincer des dents les enseignants-chercheurs. Depuis les murs de la Sorbonne, Emmanuel Macron a annoncé l'investissement de 100 millions d'euros "supplémentaires" pour attirer en France les chercheurs étrangers, pour attirer en France les chercheurs notamment américains ciblés par Donald Trump et son administration.

Coupes de milliards de dollars de financement, licenciements massifs de scientifiques dans les organes fédéraux, menaces ouvertes à l'encontre des universités... La liste n'a cessé de s'allonger au fil des semaines outre-Atlantique. "Face aux menaces", "l'Europe, oui, doit devenir un refuge", a déclaré Emmanuel Macron en marge de la conférence "Choose Europe for Science" reprenant le slogan de la plateforme "Choose France for Science" lancée par le gouvernement en avril dernier.

Si la solidarité via l'accueil des chercheurs étrangers, notamment américains, est un principe essentiel aux yeux des syndicats français de l'enseignement supérieur et de la recherche, ses contours et le contexte de sa mise en place sont décriés.

"La concomitance de ces annonces est choquante"

Premier point d'achoppement? Le calendrier de cette annonce. "Je comprends que l'on se donne les moyens d'accueillir, car c'est une nécessité, mais les chercheurs sont un petit peu amers. La temporalité rend l'annonce difficile à entendre", nous explique Virginie Saint-James, secrétaire générale du syndicat Sup'Recherche-UNSA.

L'écosystème universitaire a vu son budget pour l'année 2025 être raboté d'un milliard d'euros selon la loi de finance adoptée début février. Puis, il y a quelques jours, le 25 avril par décret, le gouvernement a de nouveau rayé 400 millions d'euros supplémentaires dans l'optique d'effectuer des économies.

"La concomitance de ces annonces est choquante, indécente", estime Anne Roger, secrétaire générale du Snesup-FSU, contactée par BFMTV.com qui dénonce "deux poids deux mesures".

"C'est vraiment méprisant pour nous", déplore-t-elle.

Depuis plusieurs mois, les universités tirent la sonnette d'alarme face aux "grandes difficultés" budgétaires qu'elles rencontrent. 60 universités sur 75 ont voté un budget en déficit, rapportait Le Monde en février. Au total, il manquerait 8 milliards à l’enseignement supérieur et à la recherche, selon le Snesup-FSU cité par L'Humanité en mars dernier.

"Une des plus grandes universités françaises, Paris-1 Panthéon-Sorbonne doit trouver 13 millions d'euros d'économie", illustre la secrétaire générale de Sup'Recherche-UNSA. "Nombre de mes collègues n'ont même pas l'argent pour faire venir le jury pour les thèses", abonde-t-elle.

L'annonce d'Emmanuel Macron "pose problème alors qu'on nous demande des économies de bouts de chandelles", estime Virginie Saint-James.

"Pas capables de payer nos propres vacataires"

Au-delà de l'effet d'annonce, les enseignants-chercheurs s'inquiètent des conditions d'accueil de ces scientifiques américains.

"On n'est même pas capables de payer nos propres vacataires et on essaie de faire croire qu'on va accueillir dans de bonnes conditions des chercheurs américains?", s'interroge sur France 24 Olivier Berné, astrophysicien au CNRS, fondateur du collectif Stand-Up for Science France en soutien aux chercheurs américains.

Ce dernier explique que dans son équipe 40% sont des contractuels et que dans le domaine des sciences de l'univers du CNRS, "environ un quart des chercheurs sont précaires".

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"C'est quand même mieux d'accueillir quand on est dans une bonne situation. Est-ce que les chercheurs américains seront vraiment intéressés pour s'installer dans un système universitaire délabré?", abonde Virginie Saint-James.

Outre le manque de moyens humains alors que le nombre d'étudiants augmentent, les universités constatent aussi des difficultés matérielles. Selon un communiqué de la CGT-FERC Sup, qui dénonçait en amont la tenue du sommet Choose Europe for Science, "le bâti universitaire est en phase de délabrement accéléré", "57%" sont des "passoires énergétiques" et "un tiers de bâtiments" sont "vétustes".

Un risque de mise en compétition des scientifiques

Autre crainte: la mise en concurrence des chercheurs américains et français. "Je ne sais pas comment vont pouvoir cohabiter des personnes qui travaillent sur le même projet mais qui ne sont pas payées de la même manière", avance la secrétaire générale du Snesup-FSU.

Pour exemple, l'université Aix-Marseille qui s'était positionnée dès début mars pour devenir un asile scientifique prévoit dans son programme "Safe place for science" d'allouer une enveloppe de 600 à 800.000 euros par chercheur sur trois ans. Au total, elle compte accueillir au total entre 20 et 30 scientifiques.

"Le salaire moyen d’un enseignant–chercheur en France s’élève à 63.000 euros brut" par an, précise la CGT FERC Sup dans son communiqué.

Dès le 20 mars - deux jours après le lancement de la plateforme "Choose France for Science" par le gouvernement - plus de 2.000 chercheurs ont alerté dans une tribune publiée dans Libération le risque d'accueillir " une poignée de 'stars'".

"Être à la hauteur de ce moment de bascule planétaire ne peut consister à usurper le nom de 'Stand Up for Science' pour accueillir une poignée de 'stars' sur des contrats aux noms prestigieux reproduisant ainsi la gestion de la pénurie par la mise en compétition des scientifiques", ont-ils déclaré.

La secrétaire générale du Snesup-FSU, Anne Roger, déplore de plus l'approche individuelle de l'initiative au niveau national alors que "la recherche est collective". Elle regrette "l'idée que l'excellence serait ailleurs, comme si en France on n'avait pas ces talents".

Outre le regret que cette annonce intervienne à un moment où le secteur connaît un "sous-financement chronique", les "atteintes quasi incessantes à la liberté académique", en rappelant les polémiques sur le wokisme à l'université, sont aussi dénoncées.

"D’un côté on prétend être le grand défenseur de la liberté académique et de l’autre on enfonce un peu plus l’université. Il faut avoir conscience que même si on n’est pas au niveau des États-Unis, ce glissement vers les attaques aux libertés existe aussi dans notre pays", déclare l'astrophysicien au CNRS, Olivier Berné.

La secrétaire générale du Snesup-FSU, Anne Roger, appelle à continuer de protéger "le service public de la recherche", son "indépendance" et sa "liberté".

Juliette Brossault