Une "attaque contre le patrimoine": colère des scientifiques contre un texte menaçant la biodiversité américaine

Un pygargue à tête blanche, lors d'un tournoi de gold, en Floride, aux États-Unis, le 9 décembre 2023. - Douglas P. DeFelice / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
C'est une proposition qui "menace un demi-siècle de progrès". L'administration de Donald Trump a proposé ce mercredi 16 avril d'assouplir la définition du "mal" fait aux espèces en danger. Le président américain veut ainsi exclure la protection de leur habitat, actuellement dans la loi.
Le ministère suggère de modifier cette définition pour la cantonner au seul fait de tuer ou blesser intentionnellement un animal, sans tenir compte de la dégradation ou de la destruction de son habitat naturel.
Auprès d'AP, Drew Caputo, avocat de l'association environnementale Earthjustice, affirme que la loi actuelle "reconnaît le concept de bon sens selon lequel la destruction d'une forêt, d'une plage, d'une rivière ou d'une zone humide dont dépend la survie d'une espèce constitue un préjudice pour cette espèce".
Ce changement de loi "menace un demi-siècle de progrès dans la protection et la restauration des espèces menacées", déplore-t-il.
Un "abandon" des espèces en danger
Les scientifiques sont inquiets. Comme nombre d'entre eux le rappellent auprès des médias américains ce jeudi: la destruction ou même la modification de l'habitat est la première menace pour les espèces.
Pour Noah Greenwald, directeur des espèces menacées au Center for Biological Diversity, cette proposition "enlève l'essence de la loi sur les espèces en danger". "Si l'on dit que 'faire du mal' ne comprend pas une dégradation ou une modification significative de l'habitat, alors les espèces menacées sont vraiment abandonnées", déplore-t-il auprès d'AP.
"Il n'existe aucun moyen de protéger les animaux et les plantes de l'extinction sans protéger les lieux où ils vivent, et pourtant l'administration Trump ouvre les vannes à une destruction incommensurable de l'habitat", ajoute-t-il.

Le spécialiste cite l'exemple des chouettes tachetées, des grizzlis ou des panthères de Floride. Il estime que ces animaux sont actuellement protégés justement car la loi interdit la dégradation de leur habitat. "Mais si la nouvelle législation est adoptée, une personne qui exploite une forêt ou construit un lotissement ne sera pas gênée tant qu'elle pourra dire qu'elle n'avait pas l'intention de nuire à une espèce menacée", regrette Noah Greenwald.
"Je pense qu'il y aura beaucoup plus de place pour que les entreprises forestières exploitent leur habitat sans se soucier de quoi que ce soit", martèle-t-il.
La biodiversité d'Hawaï particulièrement menacée
La situation préoccupe notamment à Hawaï, lieu important pour la biodiversité. Hawaï est le seul État américain à avoir une forêt tropicale humide et abrite de nombreuses espèces endémiques. Selon la National Fish and Wildlife Foundation, l'archipel compte également plus d'espèces menacées que n'importe quel autre État.
Selon Maxx Philipps, directrice du Center for Biological Diversity pour Hawaï et les îles du Pacifique, à AP, la suppression du concept d'habitat dans la législation accélérerait la crise d'extinction d'Hawaï. Elle cite, par exemple, le cas de minuscules abeilles indigènes qui pollinisent les plantes des dunes côtières.
L'archipel abrite également la plus grande réserve marine du monde avec une faune marine luxuriante, dont des dauphins, des poissons tropicaux et plusieurs espèces de coraux. Maxx Philipps s'inquiète particulièrement pour les tortues marines vertes, qui pourraient perdre leur habitat en raison de l'urbanisation du littoral. "L'habitat, c'est la vie, n'est-ce pas?", interroge-t-elle auprès d'AP.
99% des espèces répertoriées actuellement protégées
La loi sur les espèces en danger aux États-Unis a été promulguée en 1973. Selon Brett Hartl, directeur des affaires gouvernementales au Centre pour la diversité biologique, elle a joué un rôle crucial dans la protection de plus de 1.700 espèces à travers le pays, souligne-t-il auprès de NPR.
D'après CBSNews, la loi a permis de préserver 99% des espèces répertoriées. Parmi elles, figurent notamment des espèces emblématiques comme l'alligator d'Amérique ou le pygargue à tête blanche, symbole des États-Unis.

"Il s'agit d'une attaque en règle contre le patrimoine américain", dénonce auprès de CBS Andrew Wetzler, vice-président du Natural Resources Defense Council.
Des associations prêtes à engager des poursuites
La proposition de l'administration Trump est contestée par l'association écologiste Earthjustice, qui a fait valoir qu'un propriétaire qui viderait une mare sur son terrain ne pourrait plus être poursuivi pour la mort de poissons appartenant à une espèce protégée.
"Cette proposition permettrait aux industries forestière, pétrolière et minière ainsi qu'à l'État ou aux particuliers, de détruire l'habitat d'espèces protégées, même si les dégâts font du mal à ces espèces", dénonce l'association dans un communiqué.
"L'administration Trump tente de réécrire la biologie fondamentale", selon Earthjustice. "Comme chacun de nous, les espèces en danger ont besoin d'un endroit sûr pour vivre".
Les citoyens ont un délai de 30 jours pour soumettre leurs commentaires avant que la proposition ne soit finalisée. "Nous sommes prêts à engager des poursuites pour faire en sorte que l'Amérique n'abandonne pas sa faune en danger", prévient Earthjustice.
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