BFMTV
Police-Justice

Loi sur le suivi des détenus condamnés pour terrorisme: la crainte d'une "justice prédictive"

Prison (PHOTO D'ILLUSTRATION)

Prison (PHOTO D'ILLUSTRATION) - Kenzo Tribouillard / AFP

La proposition de loi sur les mesures de suivi à l'encontre des détenus condamnés pour des faits de terrorisme, et qui seront prochainement libérés, a été votée définitivement par l'Assemblée nationale.

Les députés ont voté définitivement ce lundi la proposition de loi portant sur les mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine. Ce texte controversé va mettre en place, pour une période maximale de dix ans, des mesures de suivi des personnes condamnées pour des faits de terrorisme, alors que 150 d'entre eux seront libérés d'ici à 2022.

Le texte a déjà été adopté jeudi dernier par le Sénat. Ne manquait plus que la validation des députés. La proposition de loi prévoit que le procureur pourra requérir des mesures de sûreté à l'encontre des personnes condamnées à une peine d'au moins 5 ans pour des infractions en lien avec des faits de terrorisme, allant de l'interdiction de paraître dans certains lieux ou de rencontrer certaines personnes, au port du bracelet électronique, en passant par un pointage régulier auprès des services de police ou de gendarmerie.

Cette mesure de sûreté vise uniquement à protéger la société d'un individu qui est toujours dangereux. On est sur de l'humain, ce n'est pas mécanique, a défendu ce lundi matin sur France Info la députée LaREM Yaël Braun-Pivet.

Des dispositifs déjà existant

Le texte est qualifié de "populiste" chez les opposants. "C'est une loi qui trahit une forme de démagogie législative, tranche l'avocat Vincent Brengarth. Ce nouveau texte laisse penser qu'aucune mesure ne serait prise pour des personnes condamnées pour des faits de terrorisme." Depuis 2015, les personnes condamnées ou impliquées dans des dossiers terroristes sont inscrites au Fijait, le fichier des auteurs d'infractions terroristes, qui implique notamment que ces personnes se présentent tous les trois mois aux autorités. En 2017, ce sont les Micas qui ont vu le jour. Ces mesures de contrôle administratif et de surveillance visent également le suivi des auteurs d'infractions terroristes.

On nous dit que les dispositifs actuels ne sont pas suffisants, mais avons-nous examiné l'efficacité du Fijait? Avons-nous examiné l'efficacité des Micas?, interroge Me Brengarth. Est-ce qu'il ne vaut mieux pas trouver la source d'amélioration de ces mesures?

De l'avis de l'avocat, les personnes condamnées pour des infractions terroristes le sont déjà par des peines lourdes, "des peines exhorbitantes par rapport au droit commun", avec des mesures de suivi. "Ces détenus sont soumis à un régime de détention exceptionnel, où ils sont parfois isolés, parfois regroupés", abonde Me Matthieu Quinquis, membre de la commission pénale du Syndicat des avocats de France, qui déplore notamment l'exclusion de ces personnes d'un aménagement des peines, qui permettrait "pourtant un accompagnement de ces détenus".

"Justice prédictive"

La seconde difficulté serait intellectuelle. "Il s'agit d'un nouveau renversement philosophique, estime Me Matthieu Quinquis. Notre droit pénal dit que l'on est puni pour ce qu'on a commis, par pour ce qu'on est ou ce qu'on va commettre." La proposition de loi veut en effet limiter le risque de récidive. Selon le Centre d'analyse du terrorisme, le taux de récidive des djihadistes français partis combattre entre 1988 et 2006 en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine ou en Irak est de 60%. D'autres études donnent des chiffres beaucoup moins importants.

Nous tombons dans une justice prédictive, regrette l'avocat parisien.

Lourde peine, justice prédictive qui empêcherait alors toute possibilité de réinsertion. "Au nom du principe de précaution, l'État de droit accepte de mettre entre parenthèse le droit de certains individus", plaide Me Vincent Brengarth. "On leur a mis des étiquettes qui justifient leur mise au ban et qui leur laissent peu d'espoir, abonde Me Matthieu Quinquis. Quel que soit leur comportement, il sera suspect soit parce qu'ils approuveront un message politique, soit parce qu'on considérera qu'ils sont dans une stratégie de dissimulation."

Le message qu'on leur envoie, c'est: terroriste un jour, terroriste, toujours, conclut l'avocat.

A l'issu de ce vote de lundi, le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand (LREM) a annoncé qu'il saisissait le Conseil constitutionnel de ce texte pour vérifier la "conciliation" entre "prévention des atteintes à l'ordre public" et respect "des libertés constitutionnellement garanties".

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV