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Procès

"Magouilleur de première", médecin "doué": qui est Frédéric Péchier, l'ex-anesthésiste jugé pour 30 empoisonnements à Besançon?

Frédéric Péchier arrive au tribunal judiciaire de Besançon, le 8 mars 2023

Frédéric Péchier arrive au tribunal judiciaire de Besançon, le 8 mars 2023 - ARNAUD FINISTRE

Ce lundi 8 septembre s'ouvre devant la cour d'assises du Doubs le procès de Frédéric Péchier, ancien anesthésiste accusé d'avoir empoisonné 30 patients, dont 12 mortellement. Décrit à la fois comme brillant et manipulateur, il constitue pour l'heure une personnalité énigmatique.

Besançon, 6 mars 2017. La tension est palpable entre les murs de la très réputée clinique Saint-Vincent, alors que l'un de ses anesthésistes est placé en garde à vue. Les faits qui lui sont reprochés sont graves: la blouse blanche, considéré comme un médecin brillant, est soupçonnée d'avoir empoisonné sept patients. Deux en sont morts.

Très vite, l'enquête prend de l'ampleur. L'anesthésiste, un quadragénaire nommé Frédéric Péchier, est mis en examen pour "empoisonnement avec préméditation" et placé sous contrôle judiciaire. Il n'est pas impossible que d'autres cas soient identifiés, prévient d'emblée la justice.

Huit ans plus tard, ce lundi 8 septembre, c'est un procès hors norme, prévu pour durer plus de 3 mois, qui s'ouvre devant la cour d'assises du Doubs. Frédéric Péchier doit répondre de 30 empoisonnements de patients, âgés de 4 à 89 ans, dont 12 mortels.

À l'audience, l'étude de la personnalité de l'ex praticien, décrit à la fois par son entourage comme attentionné, doué et manipulateur, constituera l'un des moments clés de ce procès. D'autant qu'il dément formellement l'ensemble des faits qui lui sont reprochés.

"Le vilain petit canard"

En 2017, l'affaire Péchier a tout d'une déflagration dans les couloirs de la clinique Saint-Vincent et de la polyclinique de Franche-Comté où il est accusé d'avoir empoisonné des patients entre 2008 et 2017. Comment un docteur, qui s'est engagé à haute et intelligible voix à ne jamais "provoquer délibérément la mort" d'un patient en prêtant le serment d'Hippocrate, peut-il se voir reprocher des faits d'une telle gravité?

Né en janvier 1976 à Angoulême, Frédéric Péchier baigne dès son plus jeune âge dans le monde médical, son père étant anesthésiste au CHU de Poitiers, son grand-père médecin généraliste et sa mère cadre infirmier.

S'il affirme s'être épanoui dans un environnement familial "idyllique", au sein d'un milieu social plutôt aisé, Frédéric Péchier confie à la psychologue, qui l'a suivi entre 2014 et 2016, avoir déjà eu l'impression d'être "le vilain petit canard" de la famille, relatant une enfance marquée par l'absence affective de son père. Une relation qui pourrait expliquer au moins en partie le profil dépressif de l'anesthésiste.

Deux tentatives de suicide

L'ancien médecin possède, de fait, de lourds antécédents psychiatriques. Frédéric Péchier, atteint de la sarcoïdose, une maladie inflammatoire de cause inconnue, tente par deux fois de se suicider, dont une première fois en 2014. Le psychologue qui le suit alors estime que ce passage à l'acte s'explique par un "surmenage professionnel". Il décrit alors son patient comme "anxieux" et "déprimé" et "à l'époque pas apte à travailler".

L'ancien anesthésiste s'est d'ailleurs régulièrement auto-prescrit des antidépresseurs entre 2015 et 2017. Une période durant laquelle les "événements indésirables graves" inexpliqués augmentent justement à la clinique Saint-Vincent tandis que Frédéric Péchier se trouve au cœur de conflits avec des confrères et consoeurs.

En 2021, alors mis en cause dans cette affaire, l'ancien anesthésiste tente pour la deuxième fois de mettre fin à ses jours. Dans un message envoyé à sa mère quelques jours avant sa seconde tentative de passage à l'acte, il dit vouloir en finir, mais "souhaite mourir innocent".

Un homme bienveillant, selon ses proches

Les psychiatres qui l'ont rencontré disent n'avoir décelé aucune pathologie mentale au docteur Péchier. Selon l'expertise menée en décembre 2017, le quadragénaire ne présente pas une personnalité narcissique, et n'est en recherche ni de gloire ni de "grandiosité". La contre-expertise réalisée par Daniel Zagury ne relève pas non plus d'anomalie mentale chez l'ex anesthésiste. L'expert élimine aussi une potentielle paranoïa.

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"Contrastée", c'est ainsi que la personnalité de l'ancien anesthésiste est présentée. D'un côté, ses proches tirent le portrait d'un homme gentil, bienveillant, passionné par son métier et sans recherche de reconnaissance ou de valorisation. Ils évoquent un père attentionné, proche de ses trois enfants nés de son union avec sa femme dont il divorce au cours de l'instruction.

Mais d'autres proches évoquent un autre aspect de sa personnalité. Son frère parle de lui comme d'"un ours", entouré d'un cercle familial restreint. Il insiste également sur son côté "asocial".

"Magouilleur de première"

Dans son cercle professionnel, Frédéric Péchier divise. De nombreux médecins et infirmières se mettent d'accord pour dire de l'ancien anesthésiste qu'il est "disponible", "sérieux", "très compétent" voire "doué". Certains lui vouent une telle confiance qu'ils le choisissent pour leur propre anesthésie ou celle de leurs proches.

L'anesthésiste star de Besançon est pour d'autres professionnels de santé un sujet de crispation. Pour certains, Frédéric Péchier est un homme qui "parle beaucoup", "étale sa réussite professionnelle". Son "complexe de supériorité" est également cité, ainsi que son côté "magouilleur de première".

Une fraude à l'assurance et une affaire de triche dans un club de golf sont par ailleurs identifiées au cours de l'instruction. Des faits que Frédéric Péchier dément.

Des actes de "vengeance"?

Concernant le mobile, l'accusation écarte l'hypothèse du "pompier pyromane", ces soldats du feu qui allument des incendies pour pouvoir les éteindre, et défend plutôt la thèse de la vengeance. Concrètement, Frédéric Péchier aurait voulu se venger de confrères avec lesquels il était en conflit pour des questions de planning, d'argent ou d'ego.

"Vous avez un médecin qui par vengeance, telle une obsession, a voulu exprimer sa vengeance par un meurtre. C'est pire que tout", pointe Me Philippe Courtois, avocat d'une famille.

"Il n'y a rien de pire que de mourir de la main d'un médecin, et encore pire, volontairement."

Une consoeur suspecte d'avoir été visée

Parmi les dizaines de victimes potentielles identifiées, une consoeur du praticien, le soupçonne d'avoir voulu l'empoisonner en 2016.

Catherine Nambot doit alors se faire opérer, avec Frédéric Péchier comme anesthésiste, mais en raison d'un changement de dernière minute, la poche d'anesthésie qui était prévue à Catherine Nambot revient à une autre femme.

Or, cette dernière est victime d'un arrêt cardiaque pendant l'opération et n'en sort pas vivante. Suffisant pour que Catherine Nambot suspecte que l'anesthésiste ait voulu l'empoisonner. D'autant que son mari, lui aussi anesthésiste, avait eu une dispute avec Frédéric Péchier un peu plus tôt.

Interrogé sur cette affaire, Frédéric Péchier affirme n'avoir ni pollué les poches, ni avoir essayé de porter atteinte à sa consoeur.

"Je n'ai empoisonné personne"

Face à ces accusations, Frédéric Péchier clame depuis le début son innocence, se disant victime d'un complot et se murant bien souvent dans le silence.

"Je n'ai jamais empoisonné personne! Je suis innocent, et je me bats pour que cela soit reconnu", affirme-t-il dans une interview accordée au Parisien en 2023.

Une thèse qu'il défend notamment dans son livre Le Temps qu'il lui reste, Dans la tête de Frédéric Péchier, dit '"l'anesthésiste de Besançon", paru le 4 septembre dernier aux éditions Michalon.

Frédéric Péchier "ne supporte pas la contradiction. Ce qu'il veut, c'est avoir un public à qui il expose 'sa vérité'", tranche Me Frédéric Berna, avocat de plusieurs parties civiles, auprès de BFMTV. "Il se dit être victime, mais il n'apporte pas la moindre preuve d'un tiers responsable", nous confie de son côté, Me Philippe Courtois, avocat de la famille d'un plaignant.

L'ex-anesthésiste est désormais impatient de voir son procès enfin débuter. "Ça fait huit ans qu'il attend ça. Il ne travaille plus depuis huit ans, il a divorcé, il a tout perdu", assure, toujours à BFMTV, son avocat, Me Randall Schwerdorffer. "À part sa liberté, on ne peut pas lui prendre plus." Frédéric Péchier encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Il reste présumé innocent.

Charlotte Lesage