"Emprise", mobile et larmes: le dernier face-à-face entre Gisèle Pelicot et son ex-mari au procès des viols de Mazan

"Je suis quelqu'un d'optimiste, je préfère garder le meilleur de Dominique Pelicot." Depuis près d'une heure, ce mardi, Gisèle Pelicot est pressée par les avocats de la défense. A-t-elle été manipulée? Était-elle sous l'emprise? Le serait-elle pas encore aujourd'hui?
"Il n'y avait pas de vie anormale, je n'ai pas été manipulée dans ma vie de tous les jours. Je ne serais pas restée pendant 50 ans", rétorque-t-elle fermement à chaque question.
Alors que le dernier accusé venait d'être interrogé par la cour criminelle du Vaucluse, Gisèle Pelicot a été invitée à se présenter à la barre. La veille, elle avait accepté de répondre, une dernière fois dans ce procès, aux questions des avocats de la défense. Me Nadia El Bouroumi est la première à se lever. De son ton habituellement offensif, l'avocate de deux des 50 co-accusés estime que Gisèle Pelicot est plus clémente, dans son discours, avec son ex-mari qu'avec ses clients.
"Aujourd'hui encore, il est tellement fort, vous arrivez à le pardonner et à lui donner des circonstances atténuantes", s'emporte Me Nadia El Bouroumi.
"Le procès de la lâcheté"
"Vous pleurez quand on évoque l’enfance de Dominique Pelicot", poursuit Me El Bouroumi. "Vous n'avez rien exprimé de méchant contre lui. Je pense que vous êtes victime d'emprise et de viol."
La stratégie de défense, comme celle de nombreux autres avocats de ce procès, est claire: en insistant sur cette position supposément ambigüe de la victime, il s'agit avant tout de faire de Dominique Pelicot un monstre, un "démon" comme le dira le dernier accusé à être jugé, un manipulateur, qui a menti aux hommes qu'il a fait venir dans sa chambre à coucher pour violer sa femme, leur faisant croire qu'elle était consentante.
"Je n'ai jamais pardonné à monsieur Pelicot", rétorque sèchement Gisèle Pelicot. La septuagénaire rappelle son sentiment de trahison. À ceci près que son ex-mari a reconnu les faits la concernant, tout comme une poignée d'accusés, qu'elle dit avoir accepté "de regarder dans les yeux". De fait, sa colère est bien tournée vers les 50 hommes "derrière" elle, dira-t-elle en se tournant en les montrant du doigt.
"Pas un moment, ils n’ont arrêté leur geste. Pas un moment, ils ont dénoncé", attaque Gisèle Pelicot dénonçant le "procès de la lâcheté".
Gisèle Pelicot sait qu'elle ne peut pas effacer 50 ans de vie commune, ne voulant pas nier les bons moments. Elle ne semble plus attendre grand-chose des explications de son ex-mari, ses avocats ne lui poseront d'ailleurs aucune question. Encore une fois, Dominique Pelicot, interrogé dans l'après-midi, pleure dans le box, davantage sur son propre sort que celui de sa famille.
Et ne dit rien. Il sait que la cour attend de lui un mobile, une explication à la mise en place de ce schéma criminel, lui qui est accusé d'un meurtre et d'un viol en 1991 et d'une tentative de viol en 1999.
"Soumettre une femme insoumise"
"On m’a demandé d’avoir un peu d’humanité, des mobiles qui m’auraient poussé à faire ça", déclare-t-il d'emblée. "J’ai vécu des choses dans mon enfance, ce ne sont pas des excuses, mais des faits." Dominique Pelicot fait une nouvelle fois référence au viol qu'il dit avoir subi à l'âge de 9 ans et le viol, auquel il aurait été contraint de participer à l'âge de 14 ans. Deux événements qui auraient créé son "fantasme". "Les douleurs viennent après... ça a créé une fissure que j'ai gardée."
Dominique Pelicot, assis dans son box le dos voûté, évoque ses relations avec les femmes compliquées par ces deux événements. "J’ai eu deux dieux dans ma vie: ma mère jusqu’à 18 ans et quelqu'un d’autre pendant 50 ans. (...) Si j’en suis arrivé à faire ce que j’ai fait par l’intermédiaire de personnes, qui ont volontairement accepté ce que je proposais, c’est pour soumettre une femme insoumise. C’était mon fantasme, égoïste, sans la faire souffrir." Et d'insister sur le fait que son ex-femme n'est pas quelqu'un de manipulable.
Comme depuis le début de cette affaire, le septuagénaire n'épargne aucun de ses co-accusés. "Sans moi, ils ne seraient pas là et sans eux, je ne serais pas là", lance-t-il face aux 50 hommes qui réagissent vivement. Pas question de manipulation pour l'accusé principal de ce procès. Et c'est bien ce point d'accord entre les ex-époux Pelicot que la défense veut exploiter, au point d'embarquer les enfants du couple dans le débat. Et de rappeler que Gisèle Pelicot n'a pas voulu se prononcer sur les abus incestueux dont sa fille Caroline dit avoir été victime. Cette dernière lui a d'ailleurs reproché "d'avoir pris le parti" de son ex-mari.
"Si je l’avais fait, je le dirais. Je le dis droit dans les yeux, je ne l’ai jamais touchée", assure, encore une fois, Dominique Pelicot face à Caroline Darian qui ne peut contenir sa colère. "Tu mens, tu mens, tu n'as pas le courage de dire la vérité, même concernant ton ex-femme. Tu mourras dans le mensonge", lui lance-t-elle. Gisèle Pelicot, elle, ne réagit pas.