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Police-Justice

L'Affaire Grégory, 33 ans de mystère et de rebondissements

Cinq membres de l'entourage de la famille de Grégory Villemin ont été placés en garde à vue ou auditionnés librement ce mercredi. De quoi relancer l'une des affaires criminelles les plus mystérieuses de ces dernières décennies.

Les superlatifs ne manquent pas, pour qualifier l'Affaire Grégory, du nom du petit garçon retrouvé assassiné un soir d'octobre 1984 dans une rivière des Vosges. C'est l'une des affaires criminelles les plus mystérieuses du siècle écoulé, mais aussi l'un des plus spectaculaires naufrages judiciaires et médiatiques. Près de 33 ans après les faits, trois gardes à vue et deux auditions de proches de la famille Villemin viennent ce mercredi relancer cette enquête hors normes. En fin de journée, les auditions des grands-parents de l'enfant étaient terminées, mais les gardes à vue des trois autres personnes se poursuivaient. 

Le jour du crime

Le 16 octobre 1984 à 21h15, le corps sans vie du petit Grégory Villemin, âgé de 4 ans, est retrouvé dans les eaux froides d'une rivière des Vosges: la Vologne. L'enfant, retrouvé jambes et mains liées à l'aide d'une cordelette, son bonnet enfoncé sur ses yeux, avait été signalé disparu par sa mère, Christine Villemin, peu avant 18 heures. Avant sa disparition, l'enfant jouait sur un tas de sable devant la maison familiale de Lépanges-sur-Vologne, à près de 7 kilomètres de l'endroit où il sera retrouvé mort dans la soirée. 

Un coup de téléphone le jour du meurtre

Le jour de la mort du petit Grégory, l'oncle de l'enfant a reçu l'appel anonyme d'un corbeau qui menaçait la famille Villemin depuis plusieurs années. "J'ai pris le fils du chef. Je l'ai mis dans la Vologne", explique la voix au téléphone. "Le chef" était le surnom donné à Jean-Marie Villemin, le père. 

  • Une lettre anonyme le lendemain

Le lendemain, le 17 octobre, les parents de Grégory Villemin reçoivent une lettre anonyme évoquant la mort de l'enfant. "J'espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance", peut-on lire sur la lettre adressé au père, Jean-Marie Villemin, comme le rappelle L'Est républicain. La lettre a été postée à Lépanges-sur-Vologne le jour du crime, à l'heure où l'enfant disparaissait.

L'inculpation de Bernard Laroche

Plusieurs personnes de l'entourage du petit Grégory ont été successivement suspectées du meurtre. Tout d'abord, Bernard Laroche, le cousin du père, Jean-Marie. Sur fond de jalousies familiales et d'après plusieurs expertises graphologiques analysant la lettre du corbeau, Bernard Laroche est inculpé le 5 novembre 1984 et incarcéré. Il est remis en liberté le 4 février 1985, après la rétractation de sa belle-soeur, Murielle Bolle, qui avait témoigné contre lui de manière accablante.

L'adolescente de 15 ans avait raconté qu'elle était allée chercher l'enfant en voiture avec Bernard Laroche, que celui-ci était descendu de voiture près de la rivière et était revenu sans l'enfant. Elle avait finalement expliqué avoir menti, disant avoir été effrayée par les gendarmes. 

L'assassinat de Bernard Laroche

Convaincu de sa culpabilité, Jean-Marie Villemin, le père de Grégory, abat son cousin Bernard Laroche d'un coup de fusil de chasse, le 29 mars 1985. Le 16 décembre 1993, Jean-Marie Villemin sera condamné pour ce meurtre à 5 ans de prison, dont un avec sursis. Il sera libéré quelques jours après, ayant purgé l'essentiel de sa peine en détention préventive, de mars 1985 à décembre 1987.

La mère soupçonnée à son tour

En juillet 1985, la propre mère de l'enfant a été soupçonnée, car des collègues avaient affirmé l'avoir vue poster une lettre la veille de la mort de l'enfant, ce qui aurait pu laisser penser qu'elle était le corbeau. Des graphologues l'avaient aussi désignée comme possible maître-chanteur. Christine Villemin sera totalement innocentée en février 1993, au terme d'un non-lieu retentissant pour "absence totale de charges", une formule inédite aux accents d'excuse et d'aveu d'erreur judiciaire. Elle est restée au total 11 jours en prison.

Une enquête à rebondissements

  • L'enquête, d'abord assurée par les gendarmes entre 1987 et 1993, a ensuite été confiée à la police, avant que les gendarmes reprennent à leur tour l'affaire, en 2008. Ils ont alors été saisis par la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Dijon, au moment de la réouverture de l'instruction. Dès 2009, une cellule nationale d'enquête par la gendarmerie a même été créée afin de mener des investigations approfondies.

L'affaire n'a jamais été prescrite, alors qu'à l'époque des faits les délais étaient de 10 ans, car une suite d'actes judiciaires a permis de prolonger les délais jusque-là. Le 30 juin 2004, l'Etat a été condamné à verser 35.000 euros à chacun des parents de Grégory pour dysfonctionnement de la justice.

La piste de l'ADN

L'affaire a été rouverte en 1999, puis en 2008, pour tenter de confondre d'hypothétiques traces d'ADN retrouvées notamment sur le pantalon du petit garçon et sur les cordelettes ayant servi à lui attacher les jambes et les mains. Certains mélanges génétiques ont pu être isolés, et étaient en cours de comparaison avec les prélèvements de 280 personnes figurant dans le dossier. 

Le 3 décembre 2008, la cour d'appel de Dijon, saisie par les époux Villemin, ordonne la réouverture de l'enquête pour une nouvelle recherche d'ADN. La précédente analyse, en 2000-2001, n'avait rien donné. Le 24 avril 2013, le procureur général de la cour d'appel de Dijon, Jean-Marie Beney, présente les résultats non concluants des dernières analyses ADN et annonce que le dossier n'est pas clos, mais que d'un point de vue scientifique, "l'espoir" de trouver le coupable "s'éloigne". Un espoir ravivé par les interpellations et les auditions de ce mercredi. 

Un nouveau chapitre s'ouvre

Dans un communiqué envoyé ce mercredi après-midi, le parquet général de Dijon évoque deux pistes pour expliquer les nouvelles interpellations et auditions. L'une concerne les analyses d'écriture des lettres anonymes.

"Des comparaisons d’écriture, menées au regard des évolutions les plus récentes dans la discipline, ont été effectuées sur certains documents offrant un intérêt plus marqué", fait valoir le parquet.

  • L'autre porte sur des éléments "dont certains avaient déjà attiré l’attention des enquêteurs et des magistrats dans le passé sans pouvoir être véritablement exploités". D'après les informations de BFMTV, ce sont notamment les études graphologiques qui ont justifié ces nouvelles interpellations. 

l'affaire grégory en cinq dates

16 octobre 1984: le corps de Grégory Villemin est découvert dans la Vologne.

29 mars 1985: Bernard Laroche, un temps suspecté, est tué par son cousin Jean-Marie Villemin, le père de l'enfant.

3 février 1993: non-lieu pour Christine Villemin, la mère de l'enfant, suspectée elle aussi.

16 décembre 1993: Jean-Marie Villemin condamné à 5 ans de prison dont 1 avec sursis pour le meurtre de Bernard Laroche.

14 juin 2017: trois membres de la famille Villemin sont placés en garde à vue et deux autres proches auditionnés librement.

Charlie Vandekerkhove avec AFP