Attentat masculiniste déjoué: qu'est-ce que la mouvance "incel", de laquelle se revendique le suspect?

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À Saint-Etienne (Loire), les autorités ont déjoué un attentat en interpellant un jeune homme de 18 ans qui se revendiquait comme masculiniste, mardi 1er juillet en fin de journée. Lors de son arrestation, le suspect portait deux couteaux sur lui, a appris BFMTV d'une source proche du dossier, confirmant une information de l'AFP.
Une information judiciaire a été ouverte pour "association de malfaiteurs terroristes en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes" et "atteintes aux personnes", a confirmé le Parquet national antiterroriste (Pnat), auprès de BFMTV.
Le suspect, qui a ensuite été placé en détention provisoire, dit appartenir à la mouvance "Incel". "C'est une mouvance qui s'est construite en réaction aux mouvements féministes et queer", explique, auprès de BFMTV.com, Alice Apostoly, experte sur le sujet et codirectrice de l'Institut du Genre en Géopolitique.
Les hommes qui se revendiquent de cette mouvance "cherchent à maintenir un ordre social misogyne qui leur confère une place dominante", ajoute-t-elle.
Chez les masculinistes, une "victimisation constante"
Née dans les années 1980 en Amérique du Nord, l'idéologie masculiniste repose sur une opposition de principe face aux avancées féministes. Dès cette époque, "il y a l'idée que le féminisme est allé trop loin, qu'il signe le délitement de l'ordre social dès lors que les femmes se sont plus dans leurs foyers", explique Alice Apostoly, qui parle d'une "victimisation constante" chez les masculinistes.
"Toutes les avancées féministes sont perçues comme des attaques. Le principe central de cette idéologie, c'est que l'homme est victime du féminisme", détaille l'experte.
La mouvance "Incel" (contraction de "INvoluntary CELibate", en français "célibataires involontaires"), qui s'adresse à des hommes souvent très jeunes, n'est que l'une des déclinaisons de cette nébuleuse masculiniste. Son discours s'articule autour d'une idée centrale: "les femmes refusent aux hommes la sexualité à laquelle ils devraient avoir droit", selon un bulletin du Parquet de Paris sur le terrorisme d'ultradroite paru en 2021, que BFMTV a pu consulter.
"Bodycount" et "80/20"
Les "Incels" s'appuient sur plusieurs grands credos: d'une part, chaque personne a un "bodycount", soit un nombre de personnes avec qui elle a eu des relations sexuelles. Pour une femme, plus ce nombre est élevé, moins elle produira d'ocytocine (l'hormone de l'attachement) et donc moins elle aura de "valeur", revendiquent les discours masculinistes. Une théorie "totalement fausse", répond Alice Apostoly.
Autre concept qui traverse l'idéologie "Incel", le "80/20": "C'est l'idée que 80% des femmes vont être en compétition pour avoir des relations avec 20% des hommes, qui sont considérés comme les plus masculins", précise encore la codirectrice de l'Institut du Genre en Géopolitique.
Pour le reste des hommes, donc, aucune chance de sortir du célibat, d'après ce principe. Encore un "constat" que les masculinistes reprochent aux féministes: c'est depuis que leurs combats ont commencé à porter leurs fruits que les femmes, qui peuvent à présent disposer librement de leurs corps, se détournent des hommes considérés comme "moins masculins", soit une grande majorité d'entre eux.
Un public de plus en plus jeune
Depuis leur apparition, les idées masculinistes se sont diffusées via plusieurs canaux, que ce soit sur des forums, par des associations de pères divorcés, ou encore à travers certaines personnalités politiques. "Ce n'est pas un phénomène isolé mais une stratégie politique qui a des relais puissants à droite et à l'extrême-droite", explique Alice Apostoly, qui souligne d'ailleurs que les pics d'activité de ces mouvements correspondent la plupart du temps à des percées de l'extrême-droite.
Aujourd'hui, les mêmes stéréotypes genrés sont réutilisés en ligne et ont une vie sur les réseaux sociaux. Ce qui explique que le public qu'ils touchent soit de plus en plus jeune. "Ce qui est préoccupant, c'est que ces discours se diffusent très rapidement en ligne. Or, on sait que les jeunes passent en moyenne trois heures par jour sur les réseaux, et qu'il s'agit de leur seule source d'information."
"Sur certains réseaux sociaux, il suffit de 10 minutes environ pour qu'un utilisateur identifié comme un homme se voie proposer du contenu masculiniste", note Alice Apostoly.
D'après l'experte, si un recul de l'adhésion à ces stéréotypes sexistes est en recul dans la population générale en France ces dernières années, elle augmente au contraire chez les hommes âgés de 18 à 24 ans.
Entre 2014 et 2021 au Canada et aux États-Unis, au moins 9 attaques d'incels ont été dénombrées faisant au moins 52 morts et 63 blessés. En France, un homme âgé de 26 ans acquis à l'idéologie "Incel" a également été arrêté en mai dernier à Bordeaux (Gironde), soupçonné d'avoir projeté une tuerie de masse motivée par sa haine des femmes.