Agression d'Yvan Colonna: deux membres du "commando Erignac" réclament aussi leur transfert en Corse

Alain Ferrandi (à gauche) et Pierre Alessandri (à droite) ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat de Claude Erignac en février 1998. - AFP
"Ça a été un choc." Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, les deux autres membres du "commando Erignac" n'en diront pas plus au sujet de la violente agression qu'a subie Yvan Colonna le 2 mars dernier à la prison d'Arles. Leurs sentiments sont de "l'ordre de l'intime", réagissent simplement leurs avocats, qui insistent: les deux hommes, détenus à la prison de Poissy, dans les Yvelines, ne veulent en aucun cas se servir de cette agression pour justifier leur demande de transfèrement vers la Corse.
Alain Ferrandi, 62 ans, et Pierre Alessandri, 63 ans, sont incarcérés depuis 1999. En 2003, ils ont tous deux été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat du préfet Claude Erignac le 6 février 1998 - le premier étant le chef du commando, le "co-instigateur", le second devait couvrir Yvan Colonna en cas de problème. Depuis plusieurs années, comme le berger de Cargèse, ils demandent inlassablement leur rapprochement près de leur famille en Corse. Demandes à chaque fois rejetées.
Tous deux sont aujourd'hui "conscients de la gravité des faits" qui leur sont reprochés, mais réclament "le respect du droit".
Statut de "DPS"
Si la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit des dispositions pour le rapprochement familial des prévenus, c'est-à-dire des personnes dans l'attente de leur jugement, le texte ne précise rien concernant les personnes définitivement condamnées. Une circulaire de 2012 précise que les demandes sont toutefois examinées par le directeur interrégional des services pénitentiaires, sauf dans certains cas où la compétence revient au ministre de la Justice.
C'est le cas pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. En cause, leur inscription - comme Yvan Colonna jusqu'ici - au répertoire des "détenus particulièrement signalés", "DPS", qui regroupe environ 350 détenus.
"Ce statut se justifie par la vie carcérale du détenu", fait savoir Me Françoise Davideau, l'avocate d'Alain Ferrandi. "Il est lié à l'attitude du détenu en prison et des risques qu'il peut représenter." En clair, les multiples critères d'inscription au régistre "DPS" sont en lien avec le comportement du détenu, le possible risque d'évasion qu'il représente et le risque d'atteinte à l'ordre public qu'elle pourrait engendrer ou, dans ce cas précis, qu'un retour en Corse pourrait provoquer.
"Ce qui crée le trouble aujourd'hui, c'est qu'ils ne soient pas en Corse", tranche Me Davideau. "Mon client a 61 ans, il est grand-père, il n'a pas d'ambition politique, il a des convictions mais qui restent dans son cercle intime. Le risque d'un trouble à l'ordre public relève du fantasme du ministère public."
Situation "caduque"
Alain Ferrandi a fréquenté pas moins de 14 établissements pénitentiaires depuis 1999. Pierre Alessandri a été incarcéré à la prison de Bois-d'Arcy, de la Santé à Paris, de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, entre plusieurs passages à Fresnes ou Fleury-Merogis. Tant que les deux détenus restent sous ce statut "DPS", leur transfèrement vers la prison de Borgo, en Haute-Corse, est impossible. Le seul centre pénitentiaire sur l'île n'est en effet pas équipé pour accueillir ce type de prisonniers car l'inscription à ce répertoire implique des mesures de surveillance renforcées.
Le détenu doit être seul dans une cellule située à proximité du poste de garde, il est en permanence accompagné lors de ses déplacements à l'intérieur de la prison, l'escorte est renforcée à l'extérieur. La nuit, il est censé être réveillé toutes les quatre heures. L'établissement est lui équipé d'un système de vidéosurveillance renforcé qui filme en permanence tous les lieux collectifs de la prison.
"En 2018, puis en 2019 et encore en 2020, la commission locale qui rend un avis consultatif sur le maintien ou non de ce statut s'est prononcée en faveur d'une levée du statut", rappelle Me Eric Barbolosi, l'avocat de Pierre Alessandri.
À chaque fois pourtant, l'inscription de son client, qui doit être renouvelée à chaque année civile, a été faite sur décision du ministre de la Justice. La dernière fois, c'était en décembre 2020, pour l'année 2021, sur décision cette fois du Premier ministre - Eric Dupond-Moretti ayant été écarté des enquêtes et des affaires en lien avec ses anciennes activités d'avocat, lui qui a été le conseil d'Yvan Colonna.
Les avocats dénoncent une décision "purement politique"
Mes Davideau et Barbolosi dénoncent aujourd'hui une situation "caduque" pour leurs clients alors qu'aucune commission ne s'est tenue pour l'année 2022. En rattrapage, en février, "contrairement aux trois années précédentes", la commission, composée d'un représentant des services pénitentiaires, des services de police ou de gendarmerie et d'un juge d'application des peines entre autres, s'est prononcée contre la levée du statut de DPS pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.
Hasard du calendrier, un débat contradictoire sur cette décision a eu lieu le 2 mars, quelques heures seulement après l'agression d'Yvan Colonna.
"L'inscription au registre des DPS dans ce dossier est purement politique", dénonce Me Barbolosi.
"Il s'agit d'un prétexte pour ne pas les transférer et les punir un peu plus. Comme par hasard, aujourd'hui, la commission nous dit qu'il faut maintenir cette inscription. La réalité, c'est que les services du Premier ministre ont réuni cette commission car ils savaient qu'elle irait dans leur sens. On ne peut que s'étonner de ce hasard."
L'inscription de Colonna levée
En octobre dernier, répondant à une question du député de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, Jean Castex avait assuré qu'il suivrait la décision de la commission. "L'État conservera à l'égard de la Corse sa totale impartialité", affirmait le chef du gouvernement lors d'une séance de questions au gouvernement dans l'Hémicycle. "Au contraire, il souhaite s'engager avec les élus de l'île sur le chemin d'un développement comme il le fait avec l'ensemble des territoires de la République."
"Nous prendrons en toute objectivité et toute impartialité les décisions qui s'imposent", faisait alors valoir le Premier ministre.
Une semaine après la violente agression subie par Yvan Colonna, étranglé et étouffé par un co-détenu, le Premier ministre a annoncé par voie de communiqué décider la radiation d'Yvan Colonna du répertoire des détenus particulièrement signalés.
"Cette décision, prise dans le cadre du décret n° 2020-1293, se fonde sur la particulière gravité de la situation de santé de M. Colonna et s’appuie sur l’avis rendu ce jour par la commission de la maison centrale d’Arles", précise-t-on à Matignon.
Aménagement de peines
Rien n'a changé en revanche pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Depuis mai 2017, ils peuvent tous deux prétendre à une libération conditionnelle. De facto, s'ils l'obtenaient, la levée de leur inscription au répertoire des DPS serait automatique. Le second a obtenu à deux reprises en octobre 2019 puis en juillet 2021 un aménagement de peine. À deux reprises, le parquet avait fait appel. À deux reprises, la cour d'appel avait infirmé la décision prise par le tribunal d'application des peines antiterroriste (Tapat).
Le 25 février dernier, Alain Ferrandi a lui aussi obtenu du Tapat un aménagement de peines. Comme Pierre Alessandri, il entendait retourner en Corse, travailler dans une exploitation agricole et rentrer le soir à la prison de Borgo. Un régime de semi-liberté probatoire pendant deux ans qui aurait pu être effectif dès le 14 mars si le parquet national antiterroriste n'avait pas fait appel. Une nouvelle audience doit se tenir le 21 avril prochain.
Contactés par BFMTV.com, Matignon et le ministère de la Justice n'ont pas répondu à nos sollicitations.