Réouverture de Notre-Dame de Paris: pourquoi la bataille des vitraux continue

La réouverture de Notre-Dame ces samedi 7 et dimanche 8 décembre, relancera-t-elle la bataille des vitraux? C'est à cette occasion que devait être annoncé le nom du lauréat du concours lancé par Emmanuel Macron, pour la création de vitraux contemporains destinés à habiller six baies, du bas-côté sud de Notre-Dame.
Mais le nom du lauréat du concours très controversé se fait attendre. La Tribune de l'art, très impliquée contre ce projet, avance qu'il n'y a "pas eu de vainqueur clair".
Pour l'heure, les vitraux de Viollet-Le-Duc, épargnés par l'incendie, ont été remis en place après avoir été nettoyés et restaurés. Et les défenseurs du patrimoine sont toujours vent debout contre ce projet qu’ils jugent inutile.
Laisser une "trace de cet événement"
Tout commence en décembre 2023. À l'occasion d'une visite sur le chantier de Notre-Dame, Emmanuel Macron annonce le remplacement des "grisailles" (vitraux décoratifs aux motifs géométriques) de Viollet-Le-Duc.
"C'est avec mon plein accord que nous allons lancer un concours qui permettra aux artistes contemporains de soumettre, sur la base d'une commande qui va être passée, une œuvre figurative", déclare alors Emmanuel Macron.
La demande émane de l'archevêque de Paris, Monseigneur Laurent Ulrich, soucieux de "marquer dans le bâtiment restauré une trace de cet événement".

La réaction des défenseurs du patrimoine ne se fait pas attendre, ils s’interrogent sur la pertinence de ce projet, alors que les vitraux sont intacts et que la cathédrale a par ailleurs été restaurée dans l’état du XIXe.
"Quel est le sens de restituer le dernier état historique connu de la cathédrale (avant le 15 avril 2019), celui de Viollet-le-Duc, pour priver l’édifice d’un élément essentiel voulu par celui-ci", s'interroge Didier Rykner, directeur de la rédaction de La tribune de l'art, dans une pétition lancée dès décembre 2023, sur change.org, déplorant une décision unilatérale, "sans aucun égard pour le code du patrimoine ni pour la cathédrale Notre-Dame de Paris".
"Je précise que je ne suis pas opposé aux vitraux contemporains dans des édifices anciens", soulignait sur BFMTV en septembre dernier, Didier Rykner. Pour l'historien de l'art, Emmanuel Macron veut, avec ces vitraux "marquer son quinquennat", faute d'avoir pu imposer une flèche moderne.
Avis défavorable
Le projet est en effet d'installer des vitraux contemporains dans six chapelles du bas-côté sud de la nef (côté Seine) pour remplacer des vitraux du 19e siècle, créés par l'architecte Eugène Viollet-le-Duc. Selon l'appel d'offre, ces vitraux, de style figuratif, doivent laisser passer "une lumière neutre de même nature, couleur et intensité, que celle aujourd’hui dispensée par les verrières actuelles". Ils doivent en outre "exposer, à travers une sobre figuration, la diffraction de l’événement de la Pentecôte".
L’hostilité à l’égard des grisailles de Viollet-le-Duc n’est pas récente. Comme l’évoque le magazine Beaux-Arts dans un hors-série sur l’exposition Notre-Dame de Paris, la querelle des vitraux 1935-1965, à la Cité du vitrail de Troyes, dès 1935, il avait été envisagé de remplacer ces vitraux jugés ternes et tristes. Des artistes verriers avaient alors été mobilisés pour dessiner de nouveaux vitraux, mais le projet avait fini par être abandonné en raison de la guerre. Comme aujourd’hui, la polémique avait été féroce.
Après le lancement du concours en mars 2024, la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture émet en juillet "un avis défavorable à la dépose des vitraux de Viollet-le-Duc". Cet avis, consultatif, à l'unanimité de ses 40 membres experts, s'appuie sur le fait que les vitraux n'ont pas été abîmés par l'incendie, et qu'ils sont classés.
Leur remplacement contrevient aux règles de la charte de Venise, charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments, dont la France est signataire et qui proscrit depuis 1965 le remplacement d’éléments anciens dès lors qu’ils ne sont pas endommagés.
Viollet-Le-Duc au musée
Pour le frère Marc Chauveau, membre du comité de sélection pour les vitraux contemporains, interrogé par Le Monde, "l’avis de la commission du patrimoine donne des arguments tout à fait recevables. (...) Et elle est dans son rôle en faisant appliquer la Charte de Venise. Mais la Charte de Venise, c’est 1964."
S’ils sont déposés, les vitraux de Viollet-Le-Duc rejoindront un nouveau musée, baptisé le Musée de l'œuvre de Notre-Dame. Ce que les détracteurs du projet trouvent également "absurde" dans la mesure où les verrières de Viollet-Le-Duc "n'ont d'intérêt qu'in situ". C'est ce que souligne Didier Rykner, dans sa pétition, qui a recueilli à ce jour près de 240.000 signatures.
Cela ne suffit cependant pas à arrêter le projet et le 4 septembre dernier, le ministère de la Culture annonce dans un communiqué, le nom des finalistes.
"À l’issue de la première phase de la consultation pour la création de vitraux contemporains destinés à la cathédrale Notre-Dame de Paris dans six chapelles du bas-côté sud de la nef, huit candidatures sont retenues pour la deuxième phase consistant à proposer un projet", indique le ministère.
Action en justice
Après la défection d'un des candidats, le plasticien Pascal Convert, "par respect" pour la Commission du patrimoine, comme l'évoquait Le Monde en septembre dernier, huit artistes et verriers sont encore en compétition parmi lesquels le plasticien Daniel Buren et la vitrailliste Flavie Serrière Vincent-Petit. Ils avaient jusqu'au 4 novembre pour remettre leur projet.
L'association Sites & monument, signataire de la pétition, assurait dès septembre 2024 sur son site se "préparer à mener le combat judiciaire", appelant aux dons pour tenter de faire annuler le projet. Si l’action en justice échoue, il est prévu que les vitraux contemporains soient installés en 2026.
"Il appartient maintenant au président de la République de décider ce qu'il désire faire sur cette question", soulignait le 1er décembre dernier sur France Inter Monseigneur Ribadeau-Dumas, l'archiprêtre de la cathédrale.
"Notre-Dame ne peut pas se permettre d'avoir quelque chose qui ne soit pas à sa hauteur. Soit c'est très très beau, soit ça ne l'est pas." Le destin des vitraux de Viollet-le-Duc n'est donc pas encore tout à fait scellé.