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"Je suis usée": des Franciliens racontent l’épuisement causé par les problèmes de transport

Les rames et quais bondés sont très souvent le quotidien des usagers en Ile-de-France.

Les rames et quais bondés sont très souvent le quotidien des usagers en Ile-de-France. - BERTRAND GUAY © 2019 AFP

Les dysfonctionnements répétés dans les transports en commun poussent à bout certains des usagers en Ile-de-France. Des voyageurs épuisés se sont confiés à BFMTV.com et partagent les conséquences psychologiques des problèmes rencontrés quotidiennement.

Quais de métro et arrêts de bus saturés, transports bondés, quand ils ne sont pas retardés voire annulés... Les transports en commun franciliens sont au bord de la saturation depuis plusieurs mois. Une dégradation du service qui ne touche plus seulement les lignes connues pour leurs dysfonctionnements ou leur sur-fréquentation, comme la ligne 13 du métro ou les RER B et D, mais aussi désormais d'autres lignes de métro et de nombreuses lignes de bus.

Aux soucis techniques, se sont ajoutés d'autres problèmes: la pénurie de conducteurs, mais aussi la fréquence des transports, qui n'est pas revenue partout au niveau d'avant la crise du Covid-19.

Pour certains usagers, ces perturbations génèrent un "stress lié aux transports en commun", explique à BFMTV.com le psychiatre, professeur des universités-praticien hospitalier et chef de Service à Henri-Mondor, Antoine Pelissolo. Un stress "avec des degrés variables du 'normal' au 'pathologique'", ajoute le psychiatre.

Isabelle, une Parisienne de 50 ans, était rongée par l’incertitude de ne pas savoir quand son bus allait arriver face aux retards successifs affichés, craignant aussi qu’il ne s’arrête à mi-chemin "pour régulation". Ce sentiment lui provoquait "des pulsions de colère très importantes", raconte-t-elle.

Cette cadre, qui souffre d’un handicap invisible, prend le bus quotidiennement pour relier son domicile du 11e arrondissement à son lieu de travail, dans le 6e. Quand tout se passe bien, son trajet dure une quarantaine de minutes. Mais en général, elle compte 1 heure à 1h30, le soir notamment. Une fois chez elle, il lui faut "20 minutes pour décompresser", raconte-t-elle, "il ne faut pas trop me parler".

Chaque jour, ce stress généré par l’incertitude s’ajoutait à ses journées de travail et se manifestait chez elle par une forme d'agressivité. Dans le bus, "je poussais les personnes, j’ai parfois écrasé volontairement les pieds des usagers, confie-t-elle. J’avais envie d’insulter le chauffeur, mais rassurez-vous, je ne l’ai jamais fait."

"J’en étais à avoir des pulsions, à vouloir me mettre sous les roues du prochain bus à cause du retard, glisse-t-elle. Cela m’a fait peur, on se dit qu’on est en craquage." Mais aujourd’hui, elle affirme aller mieux grâce à la méditation.

D’après le psychiatre Antoine Pelissolo, "l’incertitude est très anxiogène et peut provoquer un épuisement proche de la dépression, de même que la fatigue physique".

"Les transports en commun peuvent être une source de stress importante surtout du fait des incertitudes sur les horaires, même sans forcément de grandes perturbations. Les aménagements mis en place ces dernières années, comme l’annonce précise des horaires de passage des métros ou des bus, sont des éléments plus favorables, mais des pannes ou incidents imprévus peuvent arriver à tout moment et sont donc des facteurs de risque pour le stress quotidien", explique encore le spécialiste.

"Le corps lâche"

"Je suis usée, stressée et les comportements de certains usagers me font venir les larmes". Mireille, 62 ans, habite en banlieue sud parisienne. Chaque jour, elle emprunte un bus qui la conduit en gare de Massy-Palaiseau puis prend le fameux RER B. La loterie des transports épuise cette usagère des transports en commun depuis 25 ans. Chaque matin, "quand je me lève, j’appréhende de savoir comment ça va se passer", souffle-t-elle.

Dans ces bus et rames de RER bondés, "le corps lâche, j’ai déjà ressenti des vertiges car c’est oppressant, on ressent le stress autour de soi, on se sent enfermé". La boule au ventre n’est jamais bien loin quand vient l’heure de prendre les transports. Surtout les mardis et jeudis "où il y a le plus de problèmes" et le soir à 18 heures, "c’est là où il y a le plus de monde", constate Mireille.

Du lundi au vendredi, la sexagénaire anticipe ses déplacements. Elle arrive à 8 heures à Paris sur son lieu de travail qu’elle prend à 9 heures. Une marge importante qui parfois ne suffit pas. En septembre dernier, elle est arrivée "tremblante, les larmes aux yeux" après un énième problème sur le RER B qui l’a contrainte à changer d’itinéraire. Elle affirme cependant n’avoir jamais eu de problèmes avec son employeur à cause des transports.

Une hyperanxiété accentuée par les transports

Ce stress et cette usure liés aux dysfonctionnements des transports en commun peuvent-ils conduire au burn-out? Selon Antoine Pelissolo, "il est rare que les problèmes dans les transports en eux-mêmes suffisent à déclencher des états pathologiques graves". C’est le plus souvent une accumulation de différents facteurs qui peuvent les provoquer: "des tendances anxieuses préalables, le stress des transports, des problèmes professionnels", égrène-t-il.

"Pour les transports, si on additionne des durées longues et fatigantes et des conditions difficiles (perturbations nombreuses, grèves, environnement défavorable) on peut se trouver proche de la rupture", ajoute le psychiatre.

On peut alors parler "d’hyperanxiété". "Si d’autres facteurs personnels sont associés, l’évolution vers de véritables dépressions est parfois possible", alerte-t-il.

Tension nerveuse importante, irritabilité voire impulsivité, troubles du sommeil, de la concentration ou encore hypervigilance, le stress lié aux transports en commun se manifeste sur la santé mentale des usagers à différents niveaux. Des symptômes qui peuvent être physiques avec des douleurs, sueurs, vertiges, troubles digestifs, précise le spécialiste.

Des stratégies pour supporter

Plus qu'un vertige, une usagère de la ligne 13 a déjà fait "quatre malaises à cause des rames bondées. On était entassés, j'étais écrasée, je suffoquais à cause de la chaleur. On a l'angoisse qui monte, car on a l'impression de mourir quand on fait ces malaises".

Depuis, elle a mis en place des stratégies. "Maintenant je reste à côté des portes", souligne celle qui ressent un pic d'angoisse face aux quais bondés. Une foule "qui se reporte sur les itinéraires de substitution en cas d'incident sur la ligne", souffle l'usagère qui a déjà vu des personnes à bout en venir aux mains.

Dans les transports en commun, tout le monde ou presque peut être concerné par ces pics de stress.

"Les personnes ayant certains symptômes anxieux ou phobiques sont plus sensibles au stress lié à l’environnement", rapporte le docteur. Les personnes ayant déjà subis des accidents et des agressions également avec "la manifestation de stress post-traumatique (flashbacks, cauchemars, panique, évitement)". Les personnes âgées semblent aussi plus touchées, comme les femmes. "Mais les deux sexes peuvent être concernés", insiste le professionnel.

Les jeunes aussi concernés

Certains jeunes pâtissent aussi des perturbations dans les transports. Manon, étudiante de 21 ans, ressent une injustice en arrivant en cours après une heure, voire deux en cas de perturbations, de transports dans les jambes. La jeune femme vit en Essonne. Chaque jour, elle emprunte un bus, deux RER et un métro, "la ligne 9, mais il y a rarement des problèmes", pour se rendre à l’école.

"On a beau anticiper, il y a toujours un souci, qu’importe l’heure. Et les perturbations ont un effet domino sur la suite de mon trajet", rapporte l’étudiante qui précise être "fatiguée moralement" plus que stressée.

"On est déjà lessivé, on n’est pas dans les conditions favorables pour travailler", explique-t-elle. "Quand j’arrive un peu en retard, je peux faire la tête face à une situation et ça n’aurait pas été le cas si j’étais arrivée à l’heure", expose Manon.

Mais alors, les conséquences des transports sur la santé mentale des Franciliens pourraient-elles devenir un jour un problème de santé publique? "Les préconisations générales sont d’augmenter la part des transports en commun, et c’est une bonne chose pour la santé mais à condition d’en améliorer les conditions, affirme Antoine Pelissolo. Si ce n’est pas le cas, on risque de perdre les bénéfices pour la santé, voire aggraver l’état de santé de la population concernée."

Et d’ajouter: "le stress a des effets négatifs sur la santé avec en particulier une augmentation des risques de maladies cardiovasculaires".

Pourquoi ça coince dans les transports?

Une accumulation de facteurs sont à l'origine des nombreuses perturbations qui touchent les transports actuellement, au-delà des problèmes techniques "classiques" bien connus des voyageurs.

Avec le Covid-19 et l’essor du télétravail depuis 2020, la fréquentation des métros et RER avait fortement chuté et l’offre avait été adaptée en conséquence. Mais plus de deux ans plus tard, certaines lignes n'ont toujours pas retrouvé leur niveau d'avant-crise. Seules les lignes 7, 9, 13 et 14 du métro sont aujourd’hui à 100 % de leurs capacités en termes de fréquence des rames.

Autre facteur: le manque de personnel. Un problème rencontré dans de nombreuses entreprises de transport et qui ne fait pas exception en Île-de-France. "Il y a un vrai sujet de manque de conducteurs, a expliqué à l'AFP Laurent Probst, directeur général d'Ile-de-France Mobilités. Le problème de personnel qu’on pensait cantonner au bus déborde maintenant sur le métro, et c’est inquiétant." Ce dernier s'inquiète de la dégradation de la régularité du métro parisien. Les derniers chiffres font état d'une régularité de l'ordre de 84 à 92% en septembre dans le métro et qui entraînent des temps d'attente important sur les quais.

Charlotte Lesage