L'actuelle chaleur hivernale peut-elle perturber le bon développement des végétaux?

Un bourgeon de prunier, à Cazes-Mondenard, dans le sud-ouest de la France, le 5 avril 2022. (photo d'illustration) - FRED SCHEIBER / AFP
Si le phénomène est moins impressionnant que la canicule et la sécheresse qui fragilisent parfois les végétaux en été, la chaleur précoce à la fin de l'hiver peut également fortement les déstabiliser.
Ce vendredi 21 février, il fait très chaud sur l'Hexagone. Les températures dépassent parfois de plus de 10°C les normales de saison. Il fait jusqu'à 16°C à Amiens, 18°C à Clermont-Ferrand ou encore 20°C à Tarbes.
Les végétaux répondent aux stimuli de leur environnement, dont la température, pour décider de la reprise des activités après la période de dormance, cet arrêt de croissance durant l'hiver. Des températures printanières dès le mois de février peuvent perturber leur cycle, se traduisant notamment en floraisons partielles ou précoces ou en fragilisant les fleurs et les fruits.
Risque de gelées tardives
"Comme il chauffe et qu'en plus on a de l'humidité, ça pousse", commente sur BFMTV Patrick Mioulane, jardinier, rédacteur en chef et présentateur chez NewsJardinTV.
À l'instar du pollen, très précoce cette année, certains végétaux peuvent sortir de leur dormance précocement, dupés par les températures anormalement chaudes. "Au niveau des arbres, tant qu'il y a des bourgeons qui sont bien fermés, les écailles protègent tout ce qu'il y a à l'intérieur", explique Patrick Mioulane. Cette période permet aux plantes de ne pas être "à la merci" des gelées, qui vont jusqu'à la mi-mai.
Le problème intervient si certains arbres, par exemple, considèrent que l'hiver est terminé et qu'ils peuvent ainsi ouvrir leurs bourgeons.
Comme l'explique Météo-France sur son site, même si l’augmentation des températures moyennes, liée au réchauffement climatique, "rend les vagues de froid en avril moins probables, les hivers plus doux provoquent l’avancée de la saison de croissance de la végétation, un stade où les cultures sont vulnérables à de basses températures".
"À l'avenir, avec le réchauffement climatique, les gelées printanières risquent donc de se produire plus tôt dans la saison", entraînant des pertes pour les cultures, ajoute l'organisme.
En cas de gel tardif, les fleurs et les feuilles ne sont plus protégées par les bourgeons et risquent ainsi de brûler. C'est ce qui s’est produit en début d’année 2022: des bourgeons sont apparus dès le mois de mars pour mieux geler en avril, rappelle Météo-France.
Selon une étude d'attribution du réseau international World Weather Attribution, le changement climatique a augmenté d'environ 60% la probabilité qu'un épisode de gel tardif.
Un certain nombre de jours de froid nécessaires
Toutes les espèces ne se mettent pas à fleurir trop tôt. Paradoxalement, des températures printanières précoces peuvent conduire certaines à le faire trop tard. En effet, la douceur peut retarder la satisfaction des besoins en froid, et donc la sortie de dormance.
"Le froid, pour l'immense majorité des plantes qu'on cultive en France, il est nécessaire", expliquait ainsi l'horticulteur Marc-Henri Doyon à BFMTV.com.
Il citait notamment les plantes fruitières, qui ont besoin d'un temps hivernal pour que leurs bourgeons s'ouvrent au printemps: "par exemple, un pommier a besoin d'au moins 1.500 heures de froid (à moins de 7°C) pour que ses bourgeons s'ouvrent".
"Au printemps, quand les conditions sont favorables à leur croissance, elles sortent de cet état avec un signal: la quantité de froid reçue pendant l'hiver. Mais quand il n'y a pas de froid, il n'y a pas ce signal et cela engendre des désordres dans l'état des plantes", ajoutait l'écologue. Ces perturbations peuvent prendre la forme de floraisons partielles ou précoces, ou de malformations des fleurs, qui donnent à terme moins de fruits.
En outre, le froid permet aussi de "baisser la pression de ravageurs, en faisant mourir les pucerons. Sinon, dès le début du printemps, la population de ravageurs est énorme", explique Marc-Henri Doyon.
Un risque de désynchronisation des espèces
La douceur hivernale et le raccourcissement global de l'hiver en raison du changement climatique entraînent également une désynchronisation entre les espèces, de la flore mais également de la faune. En effet, elles n'évoluent pas toute de la même manière et réagissent différemment aux effets du dérèglement climatique.
Par conséquent, se crée un décalage entre des espèces interdépendantes comme les plantes et leurs pollinisateurs, ou des oiseaux insectivores et leurs proies au moment où leur progéniture doit être en pleine croissance. De telles désynchronisations sont déjà observées, par exemple, entre les orchidées et les abeilles, ou encore entre les bébés mésanges et leur nourriture cruciale: les chenilles.
"Cela peut conduire les espèces à s'effondrer si elles ne parviennent pas à s'adapter assez rapidement", met en garde le professeur Ulf Buntgen, de l'université de Cambridge dans des propos relayés par The Guardian.
À l'inverse, on observe "de nouvelles synchronies entre hôtes et parasites ou maladies, avec des impacts sensibles sur la production agricole et forestière", indiquait la Fondation pour la recherche sur la biodiversité en 2023.
Tout cela peut également induire un décalage des dates de récoltes et bouleverser le travail de milliers d'agriculteurs.
Des hivers plus doux et plus courts
Dans le présent cas de températures très élevées pour une fin février, la problématique est de savoir si et combien de temps va durer la douceur. Si elle dure, les végétaux vont continuer à se développer et ils seront d'autant plus sensibles au gel en mars et en avril.
À l'inverse, si le froid revient et que l'on retrouve des températures de saison, la croissance et le développement de ces végétaux va s'arrêter, ou du moins ralentir, rendant les plantes plus résistantes.
Selon les prévisions de Météo-France, le pic de douceur de cet épisode intervient ce vendredi et les températures devraient baisser la semaine prochaine. Toutefois, cette baisse sera légère et le mercure sera toujours très doux pour la saison.
En raison du dérèglement climatique, les hivers sont de plus en plus doux et de plus en plus courts. Une étude publiée en 2022 a montré que les plantes fleurissent un mois plus tôt en moyenne au Royaume-Uni. Les chercheurs ont examiné 420.000 dates de première floraison enregistrées pour plus de 400 espèces, depuis le 18e siècle.
Un phénomène qui pourrait avoir un effet dramatique "sur le fonctionnement et la productivité" de la nature et de l'agriculture.