Golfe de Gascogne: quels sont les effets de l'interdiction de la pêche sur les dauphins?

Un dauphin sautant dans les eaux de l'océan Atlantique, à environ 180 km à l'ouest de la côte de La Rochelle, le 20 février 2024. - Philippe LOPEZ / AFP
De nombreux bateaux ont repris la mer dans la nuit de jeudi à ce vendredi 21 février dans le golfe de Gascogne.
Les navires de plus de 8 mètres équipés de certains filets (chalut pélagique, chalut bœuf de fond, filet trémail, filet maillant calé) étaient interdits de pêche depuis le 22 janvier, soit une durée de quatre semaines. L'objectif: "garantir un état de conservation favorable" aux dauphins, selon le Conseil d'État.
Pour motiver cette décision, l'institution relève que les observations scientifiques pour la période hivernale 2024 ont montré une baisse significative de la mortalité des petits cétacés par capture accidentelle.
Espèces protégées
Il y aurait environ 200.000 dauphins communs en hiver entre la Manche ouest et le sud du golfe de Gascogne. Selon le Conseil international pour l’exploration de la mer (Ciem), près de 9.000 meurent chaque année par capture accidentelle, c'est-à-dire qu'ils sont pris dans les filets de pêcheurs. L'organisme estime pourtant à 4.900 captures accidentelles le seuil à partir duquel la population de cétacés est mise en péril.
Par conséquent, alors que les scientifiques observent une intensification de ces captures à partir de 2016, le Conseil d'État a ordonné au gouvernement en mars 2023 de prendre des mesures pour les limiter et ainsi protéger ces petits cétacés des activités de pêche.
"Les mammifères marins sont des espèces protégées, on doit s'assurer de leur conservation et protection", explique à BFMTV.com Hélène Peltier, ingénieure de recherche à Pelagis (Université de La Rochelle et CNRS).
Selon Dominique Chevillon, vice-président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), les captures accidentelles sont la première cause de mortalité dans le golfe de Gascogne. "Les dauphins s'asphyxient dans les filets, ils ne peuvent pas sortir et il y a une grande souffrance car il y a une conscience de tout ça", explique-t-il.
L'année dernière, une interdiction de pêche a alors été déclarée pour quatre semaines en hiver, "période de l'année où les mortalités étaient les plus intenses entre 2017 et 2021", explique Hélène Peltier.
La mortalité par capture divisée par quatre
À l'hiver 2023-2024, les scientifiques de Pelagis ont observé une baisse du niveau des captures par rapport aux hivers précédents. Ils estiment à 1.400 le nombre de captures mortelles, contre 6.000 en moyenne avant. Ces chiffres sont calculés à partir des échouages recensés sur le littoral pour l'ensemble des eaux du golfe de Gascogne et de la Manche ouest. C'est le plus bas niveau mesuré depuis 2015.
"On a quand même eu un nombre d'échouages élevé, environ 900", explique Hélène Peltier. Toutefois, ce qui est particulièrement notable, c'est la baisse de la proportion d'échouages avec des traces de capture sur les animaux.
Parmi les dauphins échoués l'hiver dernier, seuls 29% présentaient des traces d'engins de pêche pendant la période de fermeture, contre plus de 50% le reste du temps. "Le taux de capture apparent a pu atteindre plus de 90% lors de précédents mois d'hiver (comme en janvier 2021), et fluctue depuis 2016 plutôt entre 50 et 80%", indique Pelagis dans son rapport.

Il faut par ailleurs noter que le nombre de cadavres échoués relevés sur le rivage ne représente qu'une petite part des morts de cétacés blessés ou tués dans les filets. Mais selon Pelagis, les conditions de dérive de l'hiver 2024 permettent de conclure à leur bonne représentativité des mortalités survenues en mer.
Durant les quatre semaines d'interdiction de pêche de l'an dernier, 210 captures estimées ont néanmoins été recensées.
Baisse de la proportion de traces de capture
Cette interdiction temporaire "donne un peu de souffle à la population de dauphins communs qui va dans le golfe de Gascogne en hiver", déclare Olivier Van Canneyt, biologiste à l'observatoire Pelagis.
Les scientifiques insistent toutefois sur le fait qu'une baisse des captures estimées a été observée durant la période d'interdiction de la pêche mais également avant et après durant l'hiver dernier. "Ça veut dire qu'il y a d'autres phénomènes écologiques autres que la pêche qui sont entrés en compte", commente Hélène Peltier, qui indique que "le risque de capture était peut-être plus faible cet hiver-là".
Cette baisse de la mortalité pourrait être également liée à la distribution des dauphins ou de leurs proies à cette période. Néanmoins, la nette diminution de la proportion de dauphins échoués portant des traces de filets sur le corps permet tout de même de conclure aux effets bénéfiques de l'interdiction de la pêche pour l'espèce.
Une mesure "temporaire" pour trouver de nouvelles techniques de pêche
Le comité national des Pêches s'est dit, lui, "prudent vis-à-vis des résultats communiqués" par Pelagis, réclamant "une étude approfondie de l’ensemble des facteurs amenant à un échouage" et soulignant que "la pêche n’est pas l'unique responsable de ce phénomène".
"Des échouages sur la face atlantique, c'est normal", souligne Hélène Peltier, qui affirme que ce ne sont effectivement pas automatiquement et forcément des captures par les bateaux de pêche. "Ça peut être des maladies ou des petits mal sevrés", illustre-t-elle.

En 2025, l'interdiction de pêche a concerné environ 300 navires, selon la Commission européenne. Durant ces quatre semaines, les pêcheurs concernés sont indemnisés par l'État.
Outre donner du souffle à la population de dauphins communs, cette période d'interdiction a également pour objectif de donner du temps pour développer des technologies et techniques de pêche qui réduisent les captures accidentelles.
"Il y a les répulsifs acoustiques mais ça peut aussi passer par des changements de pratiques de pêche et d'engins de pêche. Ce sont des choses qui prennent du temps. Ça prend du temps de les développer et de les tester en mer", indique le ministère de la Mer.
Cette mesure a ainsi un caractère temporaire et devrait être levée en 2027. "C'est une mesure d'urgence qui a été actée pour trois ans, l'objectif en 2027 c'est d'avoir des solutions pour s'affranchir de cette interdiction", souligne Hélène Peltier.
Il s'agit de suivre "une ligne de crête" entre "permettre à l'activité de pêche de s'exercer tout en préservant les populations de petits cétacés", résume le ministère.
La pêche de demain
Pour Jérôme Graefe, juriste à France Nature Environnement, "cette mesure de restriction de la pêche dans le golfe de Gascogne est gagnante-gagnante, pour les pêcheurs et pour les dauphins".
"Les populations de poissons commercialisés qui sont en mauvais état comme la sole, le merlan, le merlan bleu, le maquereau de l'Atlantique vont être soulagées, tout comme les dauphins et l'océan qui va pouvoir respirer", poursuit-il. Les quatre semaines d'interdiction de pêche pour les gros bateaux (ceux de moins de 8 mètres peuvent toujours se rendre en mer) sont directement bénéfiques à d'autres espèces comme le merlu, le bar ou la sole qui sont en période de reproduction en hiver.
"C'est parce que nous voulons que les pêcheurs d'aujourd’hui continuent de pêcher demain que nous devons agir ensemble maintenant", affirme Jérôme Graefe.
La fermeture de la pêche avait fait chuter de 47% les volumes de poissons débarqués dans les criées du golfe de Gascogne sur le mois de février 2024 par rapport à la même période en 2023, selon le ministère de la Mer.