Syrie: comment l'ONU peut-elle réagir à la situation?

Des cadavres en banlieue de Damas, où l'opposition affirme qu'ils ont été tués par des armes chimiques. - -
Que s'est-il passé mercredi dans une des banlieues de Damas, aux mains des rebelles syriens? Une chose est sûre: une offensive terrible a eu lieu, faisant un très grand nombre de victimes, dont des enfants. Selon l'opposition syrienne, l'attaque aurait été perpétrée par le régime de Bachar al-Assad au moyen d'armes chimiques, des gaz pouvant entraîner la mort en quelques minutes. Pour le moment, Damas dément. La Syrie a-t-elle franchi une "ligne rouge?" Que peut faire la communauté internationale? Peut-on se fier à l'opposition? Décryptage.
> Est-ce un tournant dans la guerre civile syrienne?
Les affrontements entre l'armée régulière du régime et l'Armée syrienne libre, force des rebelles, ont fait depuis mars 2011 plus de 100.000 morts, et poussé des millions de Syriens à l'exil. Pourtant, aucun pays n'est intervenu militairement jusqu'à présent.
"Le régime syrien est très prudent, et grimpe les barreaux de l'horreur à un rythme suffisamment lent pour que la communauté internationale ne soit pas forcée de réagir. Il n'y a pas eu de massacre soudain et massif comme lors du massacre de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine, c'est ce qui rend la manœuvre difficile", explique à BFMTV.com Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.
Il y a un an, Barack Obama avait averti Bachar al-Assad que l'usage d'armes chimiques, susceptibles de faire un massacre parmi les civils, constituait "une ligne rouge à ne pas franchir". Si il y a eu des soupçons de tels usages en mars dernier, "c'est la première fois que le recours à l'arme chimique semble si massif et systématique. Ce possible massacre sonne comme un réveil et force les diplomaties étrangères à remettre le dossier de la Syrie sur la table", analyse Camille Grand.
> Que peut faire la communauté internationale?
La première action envisagée est de mandater des experts de l'ONU sur place pour faire la lumière sur ce qu'il s'est passé mercredi. Certains sont déjà en Syrie depuis dimanche, pour enquêter sur une attaque datant de mars dernier, mais ils n'ont pas encore les autorisations d'accéder à la zone touchée mercredi.
Autre action possible, mais très peu probable pour le moment: une intervention militaire. Jeudi, sur BFMTV, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a indiqué que si les attaques "sont avérées", il faudra "une réaction de force". Or, au sein du Conseil de sécurité, deux pays s'opposent à toute résolution de l'ONU contre le régime syrien: la Chine et la Russie.
> Doit-on convaincre la Chine et la Russie avant d'agir?
"Il est possible de contourner ce veto, notamment au titre de la responsabilité de protection des civils, un principe reconnu par l'ONU, mais cela pose le problème de la légitimité de l'intervention", décrypte Camille Grand. Autre frein à une intervention militaire, les réticences des Etats-Unis.
Jeudi, le plus haut gradé américain, Martin Dempsey, a estimé qu'une intervention militaire américaine en Syrie ne déboucherait pas sur une situation favorable aux Etats-Unis, les rebelles selon lui ne soutenant pas les intérêts américains. "Tout le monde est inquiet de ce qu'il se passera si le régime tombe, car il y a une opposition tout à fait respectable, mais également des rebelles qui sont des islamistes radicaux", explique Camille Grand.
Le scénario d'une attaque terrestre est donc exclu pour le moment. Néanmoins, si des forces occidentales décidaient d'intervenir, "une première étape possible serait de mettre en place une zone d'exclusion aérienne, qui consisterait à interdire au régime syrien le survol de tout ou une partie de la Syrie", avec la menace de procéder à la destruction de tout appareil qui braverait l'interdiction, explique Camille Grand. "Cela n'aurait pas trop d'effets car l'essentiel des opérations du régime sont terrestres, mais ce serait un signal politique extrêmement fort."
> Peut-on se fier aux accusations de l'opposition?
L'opposition a fourni à la communauté internationale de très nombreuses photos et vidéos, très dures, montrant des cadavres d'adultes et d'enfants alignés au sol sans trace de sang visible. L’AFP, qui les a diffusées, est absolument certaine de l’authenticité de ces images, par sa connaissance du terrain et des sources sur place, et par le travail d'investigation et de vérification technique qu'elle a effectué.
Par ailleurs, les experts estiment qu'il y a un fort faisceau d'indices compatibles avec l'usage d'armes chimiques. "Sur l'ensemble des vidéos, les tableaux cliniques -contractions musculaires, contraction des pupilles, hypersalivation, difficultés respiratoires, accélération du rythme cardiaque, absence de blessures physiques, etc.- sont très troublants et font penser à des neurotoxiques", estime Olivier Lepick, spécialiste des armes chimiques et biologiques, et chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique.
"Le seul moyen d'en être sûr est de faire des prélèvements sur place et sur les victimes, et des analyses de ces échantillons, dans un délai relativement court", avance Camille Grand. Les agents neurotoxiques sont détectables seulement quelques jours dans les urines mais restent plusieurs semaines dans le sang.