Irpin, une victoire plus symbolique que stratégique pour l'armée ukrainienne
Les autorités ukrainiennes n'ont pas boudé leur soulagement lundi soir. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, comme le maire de la commune, ont ainsi annoncé la reprise d'Irpin, dans la périphérie nord-ouest de Kiev, des mains des forces russes. Une victoire d'autant plus importante de prime abord qu'Irpin apparaît comme un verrou ouvrant sur la capitale.
Toutefois, sur BFMTV ce mardi, nos experts ont nuancé ce triomphalisme, voyant dans ce succès indéniable de l'armée ukrainienne un élément plus apte à galvaniser la résistance locale qu'à emporter la décision militaire.
Kiev respire mieux
Rien ne destinait Irpin, ville moyenne de 60.000 habitants - et aujourd'hui désertée de sa population civile - située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Kiev, à la célébrité internationale. Mais, perdue face aux Russes aux premiers jours de l'offensive déclenchée le 24 février dernier, elle incarne désormais l'élan nouveau qui anime les troupes ukrainiennes. Lundi, les autorités se sont ainsi félicitées de sa reprise.
Dans une allocution télévisée, Volodymyr Zelensky a lancé dans la soirée: "Les occupants ont été poussés hors d’Irpin et de Kiev." "Mais il est trop tôt pour dire que l’endroit est désormais en sécurité, les combats continuent. Les troupes russes contrôlent le nord de la région de Kiev", a-t-il ajouté.
Joint par BFMTV ce mardi, Oleksandr Markouchyne, le maire d'Irpin, a jubilé. "Depuis hier la ville est à 100% ukrainienne".
"Aujourd’hui nous faisons tout pour vérifier qu’il n’y a plus de militaire russe", a-t-il complété.
Dans la presse du monde entier, on évoque à cette occasion le retour dans le giron ukrainien d'une commune décisive, "verrou" commandant l'accès à Kiev. Signe de l'intérêt revêtu par Irpin, les soldats locaux - alors en plein repli - avaient pris soin fin février de détruire le pont la reliant à la capitale au moment où ils étaient contraints de l'abandonner.
"Un peu comme Cergy-Pontoise pour Paris"
Le général Jérôme Pellistrandi, consultant de BFMTV pour les affaires militaires, a resitué: "Pour avoir un ordre d’idées et que les téléspectateurs comprennent, Irpin pour Kiev, c’est un peu comme Cergy-Pontoise pour Paris en termes de distance. C’est à la fois proche et très loin". L'officier a tiré de la nouvelle de sa reprise un premier enseignement: "Les Russes se rendent compte qu’en l’état actuelle de leurs forces, ils ne sont plus en état de conquérir Kiev."
"Cette annonce montre que les Russes n’arrivent plus à progresser. Or la prise de Kiev était la priorité le 24 février", a-t-il observé.
Un "mini-Stalingrad" qui ne devrait pas changer la donne
Mais comment analyser cette retraite russe quelques jours après que le Kremlin a dit qu'il entendait dorénavant concentrer son effort de guerre sur l'est du pays, et plus précisément le Donbass? "Il faut se méfier à la fois de la grande victoire des Ukrainiens et d’un recul complet des Russes qui ne comptaient plus engager la bataille de Kiev à court terme", a d'ailleurs remarqué l'éditorialiste de BFMTV pour les questions internationales, Patrick Sauce qui, paraphrasant le dramaturge Jean Giraudoux, a avancé:
"La guerre de Kiev n'aura pas lieu".
Pour lui, il s'agit à présent de dissocier "deux éléments" - d'inégales valeurs - après cette reprise d'Irpin dont il a souligné qu'elle se trouvait encore "à portée de l'artillerie russe": "Le symbolique, qui est quand même très fort, l’élément stratégique qui l’est quand même un peu moins". "Pour les Ukrainiens, c’est un mini-Stalingrad: ils ont réussi à faire reculer les Russes", a comparé Patrick Sauce.
"Ça veut dire que non seulement, Kiev tient mais que l’étau se desserre", a-t-il ajouté.
Concrètement cependant, la tournure des combats ne devrait pas en être radicalement modifiée. Après tout, si Irpin était un tel verrou sur la route de Kiev, les Russes auraient dû avoir l'occasion de profiter des semaines où la ville était en leur possession. Or, ils ne sont jamais parvenus à pénétrer dans la capitale adverse.
"Les Russes voulaient s’ouvrir la voie royale, la voie nord-ouest vers Kiev et depuis deux semaines ils ont vu que ça ne fonctionnait pas. C’est pour ça qu’on est resté sur cette ligne de front", appuie notre éditorialiste.
La route du Sud
De surcroît, la perte d'Irpin et le renoncement de Moscou à la chute de Kiev ne signifient pas que les Russes n'ont pas l'intention de s'attarder dans la région et de freiner les progrès éventuels de leur ennemi.
"On a la confirmation que les Russes – avec ou sans Irpin - s’enterrent, construisent des tranchées en périphéries de Kiev, minent des axes de passage et s’installent pour essayer de maintenir la pression", a développé le général Jérôme Pellistrandi.
Peut-être faudrait-il regarder ailleurs pour espérer crever l'abcès définitivement. Les Ukrainiens ont en effet engagé la contre-offensive sur un autre théâtre: le Sud-Est. Et ils y reprennent là aussi du poil de la bête à défaut de villes à ce stade. "D’autres villes, dans le Sud, pourraient être libérées dans les prochains jours, avec cette fois une dimension symbolique comme stratégique, du côté de Kherson, largement menacée pour les Russes", a mis en exergue Patrick Sauce qui a même estimé: "Ce ne serait pas étonnant de voir les Ukrainiens aller jusqu’à la frontière, c’est-à-dire la Crimée."
