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"On est à un moment-clé": l'accord commercial entre l'Ukraine et les États-Unis marque-t-il un tournant dans la guerre?

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Un accord a été signé ce mercredi 30 avril entre l'Ukraine et les États-Unis portant sur l'exploitation des ressources de minerais, de pétrole et de gaz ukrainiens, après des semaines de difficiles négociations.

Un accord attendu de longue date, mais pour quel effet? Les États-Unis et l'Ukraine ont signé mercredi 30 avril un accord portant sur l'exploitation des ressources minières de l'Ukraine, un document qui était en négociation depuis des semaines. Si Volodymyr Zelensky a salué un texte "véritablement équitable", le texte reste d'abord un accord commercial qui laisse de nombreuses questions sur la poursuite de la guerre en Ukraine.

Pour Claude Blanchemaison, ancien ambassadeur de France en Russie et aux États-Unis, cet accord est un "véritable succès de Volodymyr Zelensky". D'abord parce que "l'accord signé (mercredi) à Washington reconnaît que Zelensky est le président légitime de l'Ukraine, alors que Donald Trump avait un peu des doutes auparavant, et il reconnaît aussi que la Russie est l'agresseur", ce qui signe un changement profond dans la terminologie de l'administration américaine qui parle désormais d'"invasion à grande échelle" de l'Ukraine par la Russie.

Mais l'accord marque aussi un tournant en termes d'image, selon l'ancien ambassadeur. "On est à un moment-clé. Volodymyr Zelensky a trouvé le moyen en un mois de renverser la situation en sa faveur, en tout cas de changer l'opinion de Donald Trump vis-à-vis de lui", explique-t-il à BFMTV.

"Il y a un mois, Volodymyr Zelensky était maltraité dans le bureau oval de la Maison Blanche et aujourd'hui cet accord est signé", développe-t-il ensuite.

"On est passé de l'image de Zelensky qui se fait humilier à Washington à Zelensky au Vatican qui discute sereinement avec Donald Trump", abonde l'ancien officier et chroniqueur de guerre Guillaume Ancel à BFMTV.

Un "accord commercial" et non de trêve

Plus intéressant pour Kiev que dans ses premières moutures, ce texte prévoit de donner un accès aux entreprises américaines à l'extraction de minerais, de pétrole et de gaz en Ukraine et la création d'un fonds d'investissement commun entre les deux pays pour la reconstruction de l'Ukraine.

Pour Oxana Melnichuk, politologue ukrainienne et directrice de l'association "Unis pour l'Ukraine", l'un des grands points positifs de cet accord est que "l'Ukraine garde sa propriété, c'est-à-dire que ce ne sont pas les Américains qui vont avoir la propriété sur les ressources ukrainiennes (...) et c'est l'État ukrainien qui va donner licence aux Américains".

Pour autant, Guillaume Ancel appelle à ne pas crier victoire trop tôt. "On n'est pas en train de parler d'un accord de cessez-le-feu, on parle d'un accord commercial", rappelle-t-il. Ce qui implique d'ailleurs que le document ne prévoit pas de garantie de sécurité pour Kiev, un point sur lequel avait pourtant insisté le président ukrainien, de quoi interroger sur la suite du conflit.

"Un intérêt américain à long terme en Ukraine"

Tout en gardant un "optimisme réservé", Oxana Melnichuk estime que cet accord commercial pourrait malgré tout avoir des conséquences positives pour la guerre en Ukraine.

"Les Américains vont défendre maintenant le sol ukrainien parce qu'il s'agit de futures ressources", veut-elle croire.

"Trump a changé d'attitude", dit-elle, soulignant que désormais, le président américain n'évoque plus une dette ukrainienne contractée auprès des États-Unis, "il parle de revenus potentiels grâce aux investissements en Ukraine et l'Ukraine est déjà considérée comme le partenaire (financier)".

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Robert B. Murrett, professeur en administration publique et en affaires internationales à l'université de Syracuse aux États-Unis, soutient également, auprès de l'Agence France-presse, que cet accord est forcément "positif, dans le sens où il donne aux États-Unis un intérêt à long terme en Ukraine".

De nouvelles aides militaires?

Cet accord pourrait également avoir enclenché une relance des aides militaires américaines à l'Ukraine. En effet, selon des sources diplomatiques au Kyiv Post, également relayées par le Times et The Guardian, l'administration Trump a annoncé au Congrès américain qu'elle avait l'intention de donner son feu vert à une nouvelle enveloppe de 50 millions de dollars de matériel militaire à l'Ukraine.

Si cette aide n'est pas officielle pour l'heure, il s'agirait, si elle se confirmait, de la première enveloppe pour Kiev à être validée par le nouveau président, alors que ces derniers mois, les livraisons américaines provenaient d'accords signés par l'ancien chef d'État américain Joe Biden, et alors que Donald Trump avait suspendu toute aide à Kiev. De quoi potentiellement soulager l'avenir à court terme de l'Ukraine.

En parallèle, les combats se poursuivent sur le terrain, malgré l'accord. Quatorze personnes ont été blessées jeudi soir dans une attaque russe contre Zaporijjia, dont neuf ont été hospitalisées, selon Ivan Fedorov, gouverneur de cette région. Quelques heures auparavant, deux personnes avaient été tuées dans une attaque au drone sur une zone résidentielle à Odessa.

La réponse russe en suspens

Par ailleurs, la question russe reste en suspens. Quelle réponse va apporter Moscou à cet accord, alors que Vladimir Poutine et Donald Trump avaient opéré un rapprochement ces derniers mois?

"Vladimir Poutine est dans la difficulté, parce que Vladimir Poutine ne veut pas rompre avec Trump, il veut conserver ses bonnes grâces", juge Claude Blanchemaison, ex ambassadeur de la France en Russie et aux États-Unis.

Pour l'heure, le président russe n'a pas réagi, alors qu'il a proposé un simple cessez-le-feu unilatéral du 8 au 10 mai pour les commémorations de la victoire russe face à l'Allemagne nazie en 1945. Dimitri Medvedev, ancien chef de l'État russe aujourd'hui vice-président du Conseil de sécurité de la Russie, a de son côté affirmé que l'accord n'était pas une victoire pour l'Ukraine, une façon indirecte de ne pas reconnaître un échec pour son pays.

"Donald Trump a brisé le régime de Kiev au point que ce dernier devra payer l'aide américaine avec des ressources minérales", affirme-t-il sur Telegram, relaye Reuters. "Désormais, ils (les Ukrainiens) devront payer les fournitures militaires avec la richesse nationale d'un pays en voie de disparition", dit-il.

Pour le général de l'armée de l'air Patrick Dutartre, la Russie ne peut pas rester sans réagir. "La balle est dans le camp de Poutine, il va falloir qu'il fasse quelque chose parce que sinon il perdrait beaucoup", juge-t-il sur BFMTV.

Juliette Desmonceaux