CARTE. Accord sur les minerais: que contient vraiment le sous-sol ukrainien?

C'est signé. Kiev et Washington sont tombés d'accord mercredi 30 avril sur l'exploitation du sous-sol ukrainien, en échange d'une protection américaine. Un accord signé par le secrétaire américain au Trésor Scott Bessent et la ministre de l'Economie ukrainienne Ioulia Svyrydenko.
"Ce partenariat économique met nos deux pays en position de collaborer et d'investir ensemble pour assurer que nos actifs, nos talents et nos capacités puissent accélérer la reconstruction économique de l'Ukraine", précise le communiqué à l'issue de la signature.
Un fonds d'investissement va être créé pour la reconstruction du pays. Parallèlement, selon l'agence Reuters, les Etats-Unis auront un accès préférentiel pour les nouveaux contrats portant sur les richesses naturelles de l'Ukraine, notamment les minerais, mais aussi les hydrocarbures. Sans toutefois de caractère systématique, précise Reuters.
Dans le cadre de cet accord, Washington comptait dans un premier temps se rembourser des aides consenties à l'égard de Kiev (120 milliards de dollars environ) en récupérant des marchandises.
L'accord ne semble plus contenir les exigences initiales de Washington - à savoir de récupérer l'équivalent de 500 millions de dollars de bénéfices - mais se matérialisera en un fonds permettant aux deux pays de gérer conjointement l'exploitation de minerais et de fossiles dans le pays."50% des bénéfices et des redevances [reviendront, ndlr] à l'Etat ukrainien sur les nouveaux permis d'exploitation des ressources naturelles en Ukraine", précise Reuters.
Le texte porterait à l'inverse mention d'une Ukraine mise en sécurité, mais sans obligation de laisser des troupes américaines sur place, ni éléments concrets.
Un sous-sol théoriquement très riche
Pour comprendre ce que contiennent les terres ukrainiennes, il faut d'abord opérer une distinction: les "terres rares" sont d'abord un groupe de 17 minéraux dont la caractéristique est d'être impossible à substituer dans des procédés industriels. Elles incluent le scandium, le cérium, le praséodyme, le néodyme, l'erbium ou le lutécium.
Ces minerais ne sont pas nécessairement rares, en dépit de leur nom: le cérium, par exemple, est plus présent à la surface terrestre que le cuivre. Mais leur forte dissémination rend l'exploitation industrielle souvent plus difficile.
Les minerais critiques, eux, intègrent ces "terres rares" et y ajoutent d'autres métaux aux usages plus diversifiés. Le United States Geological Survey, agence géologique américaine, en dénombre ainsi 50, dont le cobalt, le nickel, le lithium - métaux nécessaires aux batteries électriques majoritaires - ou encore l'aluminium, le graphite ou le titane. L'Europe en dénombre de son côté 34.
L'Ukraine dispose pour certains de ces métaux de réserves importantes, comme cette carte le démontre:
Sur les 34 métaux définis comme critiques par l'UE, l'Ukraine en détiendrait 22. Le World Economic Forum évoque 20.000 gisements, regroupant en tout 116 types de métaux différents. Parmi les métaux les plus présents, le titane, dont Kiev peut revendiquer les plus grandes réserves d'Europe (7% environ des réserves mondiales). Le titane joue un rôle crucial dans le domaine militaire, dans l'aéronautique en particulier.
Autre métaux omniprésents, le béryllium et l'uranium, dont Kiev revendique des réserves importantes. Ils sont employés dans le domaine nucléaire, notamment. Le pays évoque aussi des réserves de fer et manganèse très élevées, et qui sont cruciales pour la production d'acier. L'Ukraine exportait ainsi 43% des tôles d'acier consommées par l'UE en 2021.
Le graphite est présent de façon abondante : ce minerai est essentiel pour les batteries et pour les réacteurs nucléaires. Kiev en aurait 20% des réserves mondiales. D'autres métaux sont très présents - l'Ukraine serait le 5e producteur mondial de gallium, essentiel pour les semi-conducteurs et les LED, et a été un grand producteur de gaz néon, fournissant 90 % du néon purifié nécessaire à l'industrie des puces.
Le Service géologique d'État a enfin déclaré que l'Ukraine possède l'une des plus grandes réserves confirmées d'Europe en termes de lithium. Elle est estimée à 500 000 tonnes métriques. Un métal nécessaire aux batteries, notamment.
Données peu fiables et gisements inaccessibles
Mais malgré cette liste, la richesse du sous-sol ukrainien ne devrait pas se matérialiser immédiatement pour l'administration Trump: les gisements ne sont d'abord que peu exploités. L'Ukraine dispose de "réserves", dont la quantification est approximative et ne rend pas justice à la difficulté possible de les extraire.
La preuve: seulement 15% des gisements connus étaient étudiés ou exploités en 2021. Selon des sources gouvernementales ukrainiennes, exploiter le gisement de Novopoltavske, près de Zaporijjia - phosphate, niobium, tantale, uranium, terres rares - nécessiterait 300 millions de dollars d'investissement. Les montants à mettre sur la table pour extraire les métaux pourraient donc être considérables.
Ce gisement est le seul à avoir reçu des preuves concrètes de ses réserves, le plus souvent estimées par les autorités ukrainiennes, sur la base de tests menés par l'Union Soviétique: beaucoup de gisements pourraient ainsi faire l'objet de descriptions datées voire fausses. Il est aussi le seul à disposer d'une licence permettant l'arrivée d'investisseurs étrangers, capables de le développer.
"À ma connaissance, il n'y a pas de gisements de terres rares économiquement viables en Ukraine", assène Tony Mariano, expert indépendant, auprès de S&P dans une étude récente.
De façon étrange, l'Ukraine a classifié les données exactes sur ses ressources minérales après le début de la guerre. Ce, alors que ces données avaient été transmises à la Russie - puisque là encore, les études géologiques ont pour la plupart été menées avant 1991.
Enfin, un dernier élément rend moins prometteurs qu'ils n'y paraissent les métaux ukrainiens: beaucoup de gisements se trouvent à l'est du pays, dans des zones proches du front (le gisement de Chevtchenkivske, cité pour son lithium, est à 10 km de la ligne de front) ou même en territoire occupé, comme c'est le cas de Novopoltavske. Et le Kremlin exclut évidemment pour le moment de rendre ces territoires à Kiev.