Théâtre bombardé à Marioupol: pourquoi le bilan humain est encore impossible à établir

Marioupol, port du sud ukrainien au bord de la Mer d'Azov, n'en finit plus de payer sa résistance héroïque à l'envahisseur russe. La ville, située en plein sur cette ligne de front qui parcourt tout l'Est du pays, est pilonnée avec acharnement par la Russie depuis le 1er mars. Et depuis le 7 mars, Marioupol se retrouve encerclée. Aucune de ses installations ne semble désormais à l'abri des frappes de l'ennemi, y compris infrastructures civiles.
Ainsi, après y avoir frappé un hôpital pédiatrique hébergeant une maternité il y a une semaine, les appareils russes ont bombardé mercredi un théâtre où plus d'un millier de civils avaient trouvé refuge.
Pourtant, le bilan humain des frappes russes à Marioupol reste pour le moment impossible à dresser. La faute à un double facteur: la récurrence des bombardements et le manque d'informations indépendantes.
L'angoisse et l'espoir après la destruction du théâtre
Chiffrer les pertes essuyées à ce stade par la population de Marioupol interroge et angoisse après dix jours de siège et deux semaines de bombardements. Le sort des habitants de la ville-martyre inquiète d'autant plus depuis la destruction mercredi du théâtre abritant un millier de civils par l'aviation russe.

Plus précisément, c'est le sous-sol du théâtre qui servait d'abri. Sur des images captées le 10 mars dernier, et visibles dans la vidéo ci-dessous, on voit celui-ci densément peuplé d'habitants venus se mettre à l'abri. Parmi eux, nombre de femmes et enfants.
Une présence d'ailleurs signalée par les occupants des lieux qui avaient pris soin d'inscrire en grand au sol, sur le parvis et à l'arrière de l'édifice le mot "enfants" en russe afin de se prémunir de frappes éventuelles. La précaution n'a à l'évidence pas découragé l'aviation russe.
L'espoir subsiste cependant pour les pensionnaires du théâtre visé. D'après le député ukrainien Serhiy Tarouta et l'ex-porte-parole de la présidence ukrainienne Iuliia Mendel ce jeudi, le sous-sol du théâtre a réchappé à la destruction du bâtiment en surface. Cette dernière a tweeté: "Au moins, la majorité des occupants ont survécu. On est en train de les évacuer des décombres".
Des bombardements qui entravent les recherches
Qu'il s'agisse d'établir le nombre des rescapés de l'anéantissement du théâtre ou des morts emportés avec lui, difficile donc à ce stade de se faire une idée. Et cette incertitude plane depuis le déclenchement des combats autour de l'agglomération.
Selon les autorités locales, plus de 2500 victimes ont été recensées au sein de la population locale depuis le début de la bataille. Toutefois, ce bilan apparaît comme insatisfaisant et ce, pour deux raisons.
Tout d'abord, ces 2500 morts ne désignent que les corps localisés et pris en charge par les institutions ou les secours. Or, les bombardements empêchent sans cesse les recherches, d'où un bilan partiel par la force des choses. Serhiy Orlov, adjoint au maire de Marioupol, a par ailleurs affirmé: "Des gens meurent sans eau ni nourriture et je pense que dans les prochains jours, nous compterons des centaines et des milliers de morts".
Le manque de journalistes sur place
La place accordée à ces paroles officielles pointe d'ailleurs vers la seconde impasse à laquelle se heurtent les observateurs au moment de tenter d'édifier le bilan humain à Marioupol. L'information indépendante fait cruellement défaut dans la ville. Seule une équipe de journalistes étrangers est présente intra-muros, celle dépêchée par l'agence américaine Associated Press.
Pour diffuser des témoignages de première main, la presse internationale s'en remet donc à des coups de téléphone passés aux locaux, comme Le Monde dans cet article paru ce jeudi, et rédigé depuis Odessa.
"Nous vivions terrés comme des rats depuis le 7 mars. (...) Rien ne protège des bombes, pas même les abris anti-bombardements", y glisse Irina Kokurina, une habitante.
Pour Svetlana Schtenda, également citée par Le Monde, la ville est un "enfer à ciel ouvert". "Des quartiers entiers ont été rasés. Les hôpitaux et les écoles sont détruits. Les bombes ont aussi écrasé des abris où se réfugiaient des milliers de personnes", ajoute-t-elle.
"Les gens meurent de faim, de soif", alertait déjà Oleksandr, 35 ans, dans Le Monde, en début de semaine. Originaire de la ville, il avait pu joindre par téléphone ses parents restés sur place et qui lui avaient raconté leur quotidien. "Maman raconte, en larmes, qu’elle fait cuire les restes de nourriture sur le feu dans la rue entre les bombardements. Pour éviter la déshydratation, ils boivent de l’eau en drainant les radiateurs", avait-il énuméré.
Certes, ces descriptions n'aident pas à faire l'arithmétique du drame mais elles disent assez clairement l'horreur subie par Marioupol.