Crimée: la méthode du Kremlin, gavage et intimidation superflus

Le président russe Vladimir Poutine, le lundi 9 décembre dernier à Moscou. - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE
La Crimée dans la Russie est une cause qui peut se débattre. Des gens raisonnables pourraient la défendre en toute bonne foi: cet "Oblast" de la République socialiste soviétique d'Ukraine aurait dû rester dans la République socialiste fédérative soviétique de Russie. Nikita Khrouchtchev n'aurait pas dû transférer cet "Oblast" à l'Ukraine en 1954 sans consulter les Criméens eux-mêmes.
Ces Criméens semblent dans leur majorité favorables à la réintégration dans la Russie. Néanmoins, la chose n'est pas claire. Les Criméens ont décidé en 1992 de rester dans l'Ukraine, avec un vague statut de souveraineté-association librement consenti. Certes, ce n'était pas par amour. Depuis toujours, l'ancrage de la Crimée à l'Ukraine est controversée, mais les Criméens sont restés dans l'Ukraine sans menace militaire ukrainienne sérieuse, ni intimidation extérieure. La Russie de l'époque ne les a pas attirés non plus. Aujourd'hui, le Kremlin veut tout recommencer.
Comme on le voit sur la chaîne russe publique en anglais, Russia Today, les Criméens seraient menacés par un déferlement de fascistes ukrainiens. Le pouvoir à Kiev est déjà une "junte" issue d'un coup d'État, qui persécute les Juifs et se tournera bientôt contre les Russes ethniques.
Matraquage (vers les urnes) en règle
Imaginons que ces allégations soient entièrement vraies: les Criméens seraient fanatiquement désireux de quitter l'Ukraine. Qui aurait besoin de les en convaincre? L'on voit dans la presse occidentale de très nombreux cas de rattachistes pro-russes criméens le dire et le répéter. La chose serait donc entendue. Contre le rattachement: les 15 % de Tatars, traumatisés par les déportations soviétiques en Sibérie, et les 25 % d'Ukrainiens ethniques et généralement russophones, mais pro-Ukraine. À eux deux, ils auraient fait 40% contre le rattachement à la Russie. Le referendum aurait été un succès pour les rattachistes, avec 60 %.
Mais non, ce n'est pas un score assez élevé pour le Kremlin! Tout a été fait pour matraquer les Criméens vers les urnes: l'apparition de grands nombres soldats réguliers mais sans insigne aucun (ce qui est contraire aux lois militaires normales), la fermeture de toute presse écrite ou audiovisuelle non-inféodée à la ligne du Kremlin, la bagarre chaque fois que les pro-Ukraine se montraient, l'éloignement inexpliqué des délégations d'observateurs de l'OSCE (l'organisation multinationale pour la paix en Europe).
Ce matraquage est typique en Russie intérieure, et à Moscou. Il a été appliqué à la Crimée. Même la question référendaire est truquée, le choix étant entre deux propositions: "Voulez-vous le rattachement à la Russie?" ou "Voulez-vous revenir à la Constitution criméenne de 1992?"
Bétonnage d'un score positif
Cette bonne vieille Constitution de 1992 donnait une nébuleuse indépendance à la Crimée nominalement dans l'Ukraine. Peu importe, d'ailleurs, car le Parlement de Crimée a voté l'indépendance le 11 mars 2014, donc les Criméens ne peuvent absolument pas voter pour le statu quo ante. Ils ne peuvent contrecarrer le Kremlin en aucun cas, car s'ils votent pour la Constitution criméenne de 1992, ils sont déjà dans une Crimée indépendante! Aucune consultation avec le gouvernement ukrainien n'a été entreprise. On aurait pu demander son avis à Viktor Ianoukovitch, que Poutine considère le président légitime! Là non plus, pourquoi se fatiguer?
Ainsi, en "bétonnant" un score positif, en singeant constamment une peur panique d'un coup de force militaire du gouvernement ukrainien qui en serait bien incapable, en criant que tout ceci est parfaitement analogue au Kosovo, le Kremlin a raté sa chance de faire entrer la Crimée dans la Russie par la sympathie, l'amitié, via le divorce amical.
Même à Kiev, de nombreux esprits pouvaient accepter cette idée, ou du moins en discuter.
Mais non, le Kremlin a livré son bébé quasi-normal par césarienne et au forceps. Et cela, aucune personne politiquement éveillée, de la Chine à la Mongolie à l'Estonie à l'Écosse, ne va l'ignorer. Le Kremlin a ses propres règles, soviétiques, qui ne souffrent d'aucune règle.