Guerre en Ukraine: que sait-on des "camps de filtration" mis en place par les Russes autour de Marioupol?

D'un enfer à un autre. L'ONU a annoncé mardi l'évacuation "réussie" de 101 civils coincés depuis maintenant près de deux mois dans le labyrinthique complexe industriel d'Azovstal à Marioupol, cette ville portuaire et porte d'entrée du Donbass. Devenue ville martyre, elle paie un très lourd tribut humain et matériel depuis le début du conflit.
Tatouages, téléphones et empreintes digitales
Quelques heures plus tard, plusieurs dizaines de ces rescapés ont rejoint par voie terrestre la ville de Zaporijia, toujours sous contrôle ukrainien. Sur l'antenne de BFMTV, plusieurs d'entre eux, après avoir fait part de leur soulagement, ont également rapporté la manière assez brutale avec laquelle ils ont été traités par les Russes. Une opération de "filtrage" aurait été mise en place par l'armée de Moscou pour permettre, ou non, la sortie des civils d'Azovstal et de Marioupol.
"Dans les trois derniers jours, ils ont été évacués d'Azovstal mais ils ont été conduits dans une autre ville où ils sont passés par la soit disante 'filtration' pendant trois jours sous la surveillance des militaires russes et de leurs armes", a expliqué mardi soir sur BFMTV Ivan Goltvenko, le DRH de l'usine, qui s'est lui-même rendu à Zaporijia.
"On a vérifié leur téléphone, fouillé leurs affaires et on les a interrogés. On les faisait passer d'une tente à l'autre en leur demandant ce qu'ils ont vu, leurs liens avec le pouvoir ukrainien, leurs liens et attitudes à l'égard des militaires ukrainiens, les gens avaient peur de dire la vérité", a-t-il poursuivi.
Et les témoignages similaires se multiplient. "Vous entrez dans une tente, vous enlevez vos vêtements et ils vérifient vos documents", se rappelle, auprès de BFMTV, une autre rescapée. "Ensuite, vous entrez dans une autre tente où ils scannent votre téléphone, tous vos documents, tous vos contacts. Après cela, vous remplissez un questionnaire", détaille-t-elle.
"Ils veulent trouver des tatouages qui sont d’une manière ou d’une autre liés aux symboles ukrainiens ou à l’armée ukrainienne, Azov et la garde nationale en particulier. Peut-être que s’ils avaient trouvé quelque chose comme cela, certaines personnes auraient été filtrées", ajoute une autre assiégée libérée.
"Ils vérifient des bases de données, je ne sais pas lesquelles", ajoute Igor, qui estime que lui et les autres rescapés ont pratiquement mis deux jours pour parcourir les quelque 220 kilomètres qui séparent Marioupol et Zaporijia, dans un paysage dévasté par les bombardements et combats incessants. "Ils prenaient des notes, posaient des questions concernant la situation à Marioupol, ils nous photographiaient, prenaient nos empreintes digitales", liste-t-il encore.
"On les tue"
Pour l'heure, très peu d'informations vérifiées sont disponibles quant à ces "camps de filtrage" qui seraient mis en place par l'armée russe. Toutefois, sur des images fournies par l'armée de Moscou elle-même, il est possible de voir plusieurs de ces campements à Manhouch ou Bezimenne, des communes autour de Marioupol où plusieurs tentes, telles que celles décrites par les réfugiés d'Azovstal, sont identifiables.

Invité sur notre antenne à la mi-journée, Iaroslav Zheleznyak, député ukrainien de Marioupol, insiste sur la véracité de ces camps. "Ce ne sont pas juste des dires, ce sont des faits. Cela a été filmé et il existe des vidéos", assure-t-il.
"Ma sœur avec sa famille a dû passer par là avant de partir. Toutes les personnes qui sortent de Marioupol passent par la petite ville de Manhouch, où se trouve un tel camp, ils doivent être filtrés. On a aucun doute sur leur existence", relate le député.
Au cours de ces contrôles visiblement extrêmement stricts, plusieurs civils ukrainiens ont semble-t-il été retenus par les soldats du Kremlin. "Les Russes n'ont pas laissé tout le monde partir, une fille n'a pas passé les contrôles car elle avait travaillé pour la police", indique encore Ivan Goltvenko.
Qu'advient-il des personnes retenues par l'armée russe? Pour le député Iaroslav Zheleznyak, la réponse est évidente: "On les tue. Et ensuite on effectue la crémation, voilà ce qui leur arrive."
"Ces personnes disparaissent, il n’y a plus aucun contact avec eux, et les soldats russes qui s’y trouvent disent à leurs proches qu’ils n’y sont plus ou bien on voit qu’on les amène pour être fusillés. Si vous avez des doutes je vous invite à venir voir par vos propres yeux", martèle l'élu.
La Russie nie
Côté russe, on réfute catégoriquement ces accusations. Également invité sur l'antenne de BFMTV ce mercredi, Alexander Makogonov, porte-parole de l’ambassade de Russie en France, promet "n'avoir jamais entendu parler de camp de filtration mis en place par les Russes."
"Nous avons évacué d’Azovstal à peu près 130 personnes. À peu près 70 personnes ont exprimé leur volonté de quitter ce territoire et d’aller en Ukraine. Nous avons transmis ces 70 personnes aux représentants des Nations unies et à la Croix-Rouge. Ils sont arrivés à Zaporijia sains et saufs. Les autres sont restés sur le territoire de la République populaire de Donetsk, il n’y a aucun camp de filtration, il n’y a rien", insiste-t-il.
Face à cet argumentaire avancé par ce dernier, Iaroslav Zheleznyak persiste et signe. "La Russie est un pays qui vous ment dans les yeux, ils vous mentent et ils vont continuer à mentir", avertit l'élu.
Ce mercredi, de "violents combats" étaient en cours sur le site d'Azovstal, a affirmé le maire de Marioupol, Vadim Boïtchenko, quelques instants après que Moscou a assuré ne pas mener d'assaut sur cette immense usine où sont retranchés des combattants ukrainiens. "Nous avons perdu le contact avec les gars. Nous ne pouvons pas savoir ce qui s'y passe, s'ils sont en sécurité ou non", conclut-il.