"La pire journée de ma vie": ils ont été licenciés du jour au lendemain par l'administration Trump

Heather O'Brien, Shaw Vallier and Philip Matthias (de gauche à droite), d'anciens employés fédéraux américains licenciés par l'administration Trump. - BFMTV
"Ça ne semble pas réel." Vendredi 14 février dans l'après-midi, Shaw Vallier a appris par un simple email qu'il était licencié de son poste au département du Logement et du Développement urbain (HUD) des États-Unis, comme une vingtaine de personnes au sein de son équipe. Une information qu'il a encore "du mal à digérer" aujourd'hui.
Cet employé fédéral de 31 ans, en période d'essai depuis octobre 2023, avait été engagé dans le cadre du grand plan social et climatique de Joe Biden. En tant que consultant, il œuvrait à réduire les coûts énergétiques des logements sociaux pour des millions d'Américains vulnérables.
Mais aujourd'hui, le trentenaire est l'une des victimes du grand plan de licenciement lancé par l'administration de Donald Trump et porté par Elon Musk, qui vise "réduire les coûts" et "optimiser l’efficacité gouvernementale". Depuis janvier, le président américain a enjoint les directions d'agences gouvernementales à se séparer de la plupart de leurs effectifs en période d'essai - un statut provisoire qui facilite leur renvoi. Quelque 200.000 personnes sont ainsi menacées.
"J'ai empaqueté mes affaires et j'ai quitté le bâtiment"
Ce jour-là, à 15 heures, Shaw Vallier a dû apprendre la nouvelle lui-même à ses supérieurs hiérarchiques directs, qui n'avaient même pas été mis au courant. Le courriel indiquait qu'il devait rendre toutes ses affaires sur le champ - badge, clefs, ordinateur portable... - puis quitter le bâtiment fédéral avant la fin de sa journée de travail, à 17 heures.
"Le cœur lourd, j'ai empaqueté mes affaires, salué et remercié tous mes collègues et j'ai quitté le bâtiment", raconte cet habitant de Washington D.C, qui "adorait" son travail.
"Ça a été géré n'importe comment, de façon totalement chaotique", poursuit-il. "On le voit: aujourd'hui certains services cherchent déjà à réembaûcher les personnes qu'ils ont viré."
"Révolté" par la situation, Shaw Vallier dénonce une "décision arbitraire". "Licencier des gens, non pas sur le base de leurs compétences mais compte tenu de leur ancienneté... c'est injuste et incroyablement irrespectueux", argumente-t-il. "Si l’objectif était vraiment de supprimer des postes inutiles, on pourrait au moins s’attendre à ce qu’ils prennent le temps d'essayer de comprendre ce que font réellement les gens. Mais là, il n’y avait aucune logique apparente dans ces licenciements."

L’an dernier, Philip Matthias a quitté Akron dans l’Ohio pour s’installer à Auburn, près de New York, où il venait d’acheter une maison après avoir été recruté par l’agence américaine de la Pêche et de la Faune sauvage. Ce père de deux enfants, récemment divorcé, voyait ce poste comme son "job de rêve". "J’étais enfin heureux, mes collègues étaient formidables, et je pensais pouvoir me reconstruire ici", raconte-t-il, en pleurs.
"Nous avons pleuré ensemble"
Des rumeurs circulaient depuis des semaines, mais à 37 ans, cet homme n’imaginait pas se retrouver licencié du jour au lendemain, sans explication. "Le pire, c’est que j’avais posé la question lors de mon entretien, et on m’avait assuré qu’en cas de réélection de Trump, cela ne se limiterait qu’à des coupes budgétaires", soupire l'ancien employé, qui se trouvait lui aussi encore en période probatoire.
Employée au sein de la même agence, Heather O'Brien a connu une annonce tout aussi brutale, mais lorsque ses chefs l'ont appelée en visio le vendredi 14 février, elle savait déjà ce qui l'attendait. Quelques minutes plus tôt, plusieurs de ses collègues venaient d'être licenciés les uns après les autres.
"C'était la pire journée de toute ma vie, une journée noire", se remémore cette habitante de Casper (Wyoming). "Tout le monde était bouleversé. Même les gens qui n'ont pas été licenciés étaient dévastés de perdre leurs collègues."
Heather O'Brien n'oubliera jamais l'expression sur le visage de sa manager lors de l'annonce. "J'ai compris rien qu'en voyant sa tête, elle avait l'air horrifiée", explique-t-elle. "Pour lui simplifier la tâche, je lui ai dit qu'elle n'avait pas besoin d'en dire plus car j'avais très bien compris ce qu'il se passait. Je l'ai rassurée, lui assurant que ce n’était pas sa faute, puis nous avons pleuré ensemble."
"Une trahison"
De la même façon que pour Philip Matthias et Shaw Vallier, le mail reçu par Heather O'Brien justifiait son licenciement par le fait qu'elle "ne remplissait pas les compétences requises pour son poste". Un motif "absurde" qui met en rage la quinquagénaire, en période d'essai depuis juillet dernier: "Non seulement le ton est glacial, mais c'est faux! Ça ne reflète en rien la réalité. J'adorais et je savais faire mon travail! Ma mission était de réaliser des examens pour assurer le respect de la loi et protéger les espèces animales en voie de disparition".
"Ça fait encore mal aujourd'hui d'être accusée d'avoir fait quelque chose d'inadéquat qui mériterait d'être licenciée", explique-t-elle. "C'est vraiment comme faire un deuil."
"J'ai travaillé toute ma vie dans l'espoir d'un jour œuvrer pour la faune dans le domaine public", développe-t-elle. "Le premier jour après mon embauche, j'avais dû prêter un serment d’allégeance à la Constitution des États-Unis et dire que je m’engageais à servir le peuple américain. Mais maintenant qu’on m’a retiré ce rôle de manière aussi brutale et agressive, je ressens une énorme colère. Ce qui vient de se passer est un véritable affront envers cet engagement que j'avais pris, une trahison à l'encontre de toutes mes convictions."
Tout s'est ensuite déroulé "très rapidement" pour elle - "deux heures grand max". Une fois le mail reçu, "ça a été la course contre la montre pour rassembler toutes mes affaires et mes données avant de partir". "Je courrais partout en me demandant si je n'avais rien oublié, mais les personnes qui étaient sur le terrain à ce moment-là n'ont même pas eu cette chance", relativise-t-elle.
Selon elle, le président Donald Trump et Elon Musk sont "complètement déconnectés de la réalité" avec ces coupes drastiques. Elle les accuse de gérer le pays "comme ils gèrent leurs entreprises privées". "Le service public est censé avoir d'autres objectifs que les profits et l’enrichissement de leurs propriétaires au détriment des travailleurs", argumente-t-elle.
Une bataille judiciaire engagée
Depuis son licenciement, la quinquagénaire oscille entre le désespoir et l'envie de se battre pour ses droits. "Je panique, je fonds en larmes plusieurs fois par jour, je suis bourrée d'inquiétudes". Si elle a déjà commencé les démarches pour toucher les allocations chômage et entamé une nouvelle recherche d'emploi, Heather O'Brien ne se sent "absolument pas prête" à tourner la page.
Beaucoup d'employés fédéraux licenciés tentent désormais d’intenter des poursuites en justice pour contester leur renvoi. Heather O'Brien, elle, dit "ne plus croire en rien". "C'est de pire en pire avec le gouvernement en place et je me demande combien de temps va encore tenir le système judiciaire", s'inquiète-t-elle. "Ils ne respectent plus aucune règle, c'est vraiment très effrayant!"
Si elle ne devait pas prendre soin de ces parents âgés, cette femme de 51 ans assure qu'elle réfléchirait sérieusement à "quitter le pays" pour de bon. "C'est une option que beaucoup autour de moi envisagent, et je les comprends."