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Climat

94% des espèces menacées ne bénéficient pas de financements, destinés en grande majorité aux grands vertébrés

Des éléphants parcourent la rivière Chobe, qui borde le Botswana et la Namibie, à Kasane, le 19 juillet 2022.

Des éléphants parcourent la rivière Chobe, qui borde le Botswana et la Namibie, à Kasane, le 19 juillet 2022. - Zinyange Auntony / AFP

Une étude révèle un biais de financement en faveur d'animaux "charismatiques" comme les rhinocéros ou les éléphants, tandis que d'autres espèces en voie de disparition, notamment les amphibiens et les algues, sont laissés de côté.

"La situation est bien pire que ce qui avait été estimé auparavant", pointe Benoît Guénard, principal auteur de l'étude. La grande majorité des financements mondiaux dédiés à la protection de la biodiversité sont destinés à des animaux plus grands et charismatiques. Revers de la médaille, d'autres espèces en danger d'extinction et importantes pour les écosystèmes sont négligées.

C'est ce que montre une étude publiée ce lundi 24 février dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). L'équipe de chercheurs de l'université de Hong Kong a analysé 14.566 projets de protection sur une période de 25 ans entre 1992 et 2016.

Éléphants et tortues au détriment des lézards et grenouilles

Sur les 1,963 milliard de dollars alloués à des projets de protection de la biodiversité dans le monde, 82,9% ont été attribués aux vertébrés. Les plantes et les invertébrés ont chacun représenté environ 6% du financement, tandis que les champignons et les algues étaient à peine représentés, à moins de 0,2 %. Et tout cela "malgré leur grande diversité et le nombre d’espèces menacées qu'ils comprennent", pointe l'étude.

Des disparités sont également observées parmi les vertébrés eux-mêmes. 85% des ressources ont été allouées aux oiseaux et aux mammifères, tandis que les amphibiens ont reçu moins de 2,8% des fonds.

À titre d'illustration, comme le souligne The Guardian, les éléphants ou les rhinocéros ont fait l'objet de 84% des projets de protection et ont reçu 86% des financements du groupe des grands mammifères. Des mammifères tels que les rongeurs, les chauves-souris ou les kangourous restent eux "sous-financés", bien qu'ils soient menacés de disparition.

"Notre vision traditionnelle des espèces menacées ne correspond souvent pas aux espèces réellement menacées, ce qui laisse de nombreuses espèces plus petites ou 'moins charismatiques' négligées", commente Alice Hugues, co-auteure de l'étude.

Autre exemple marquant, parmi les reptiles, en particulier des lézards et des serpents, dont plus d'un millier d’espèces ont été identifiées comme menacées, 87% des financements sont destinés à la protection de sept espèces de tortues de mer.

Les caméléons font partie des nombreux groupes d'organismes qui ne bénéficient que d'un soutien limité, voire inexistant, en matière de recherche et de financement de la conservation, alors qu'ils font partie des groupes les plus menacés de la planète.
Les caméléons font partie des nombreux groupes d'organismes qui ne bénéficient que d'un soutien limité, voire inexistant, en matière de recherche et de financement de la conservation, alors qu'ils font partie des groupes les plus menacés de la planète. © Angelica Crottini

Un "décalage important"

Conséquence: "près de 94% des espèces menacées n'ont reçu aucun soutien", déclare Benoît Guénard.

Cette étude a été menée en comparant les montants alloués par espèce à leur statut au sein de la liste rouge des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

"Cela met en évidence un décalage important entre l’évaluation scientifique de la conservation et l'allocation des fonds par les acteurs de la conservation, qui semble dépendre du 'charisme' des espèces", poursuit Benoît Guénard.

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Ainsi, quelques espèces de grands mammifères peuvent recevoir plus de financement que les près de 12.000 espèces de reptiles réunies. Les chercheurs à l'origine de cette nouvelle étude appellent à protéger toute cette "majorité négligée" qui "joue une multitude de rôles dans les écosystèmes". C'est, selon eux, "fondamental si notre objectif commun est de préserver la biodiversité".

Un impact sur la recherche scientifique

Si ce biais dans les projets de sauvegarde peut compromettre la survie de nombreuses espèces négligées, "cela ferme également des opportunités aux chercheurs". "Je ne compte plus le nombre de fois où des collaborateurs ont changé de taxons (populations d'organismes) uniquement parce qu'il était difficile de financer le leur", raconte Alice Hugues.

Les amphibiens font partie des nombreux groupes d'organismes qui ne bénéficient que d'un soutien limité, voire inexistant, en matière de recherche et de financement de la conservation, alors qu'ils font partie des groupes les plus menacés de la planète.
Les amphibiens font partie des nombreux groupes d'organismes qui ne bénéficient que d'un soutien limité, voire inexistant, en matière de recherche et de financement de la conservation, alors qu'ils font partie des groupes les plus menacés de la planète. © Angelica Crottini

L'étude publiée ce lundi met en évidence un déséquilibre de financement plus important que celui qui avait été identifié jusqu’à présent. Les scientifiques déplorent, en outre, que plus de la moitié des projets et des financements se focalisent sur une espèce plutôt d'un groupe.

"Les gouvernements, en particulier ceux qui représentent la principale source de financement, doivent adopter une approche plus rigoureuse et scientifique en matière de financement de la conservation", déclare Benoît Guénard, qui appelle également à renforcer urgemment la coopération mondiale sur la question.

De nouvelles négociations internationales

La COP16 biodiversité, plus récente édition de cette grande conférence environnementale des Nations unies organisée tous les deux ans, a entamé trois jours de prolongations ce mardi à Rome, après des négociations inachevées l'année dernière.

L'objectif pour les 154 pays représentés est de s'unir pour "soutenir la vie sur la planète" et surmonter la dispute financière Nord-Sud qui avait provoqué l'interruption brutale de l'événement en novembre.

Cette COP16 est censée déterminer comment mettre en œuvre l'accord de Kunming-Montréal de 2022 qui vise à arrêter d'ici 2030 la destruction de la nature qui menace l'alimentation de l'humanité, sa santé, la régulation du climat et la prospérité de tous les écosystèmes. Il prévoit, par exemple, de placer 30% des terres et des mers dans des aires protégées ou encore de réduire de moitié le risque global lié aux pesticides.

Les pays développés se sont engagés à fournir 20 milliards de dollars d'aide annuelle pour la nature d'ici 2025 puis 30 milliards d'ici 2030, mais ils n'ont atteint qu'environ 15 milliards en 2022, selon l'OCDE.

La perte massive de biodiversité constitue l’une des crises majeures de notre époque, menaçant non seulement des écosystèmes entiers, mais aussi nos moyens de subsistance actuels et futurs, rappellent les auteurs de l'étude publiée ce lundi.

Salomé Robles