BFM CLIMAT
Climat

Santé humaine, biodiversité, pollution... Pourquoi le plastique est devenu si problématique?

Des déchets plastique à Genève, pour l'ouverture d'un sommet de l'ONU le 5 août 2025 sur la pollution plastique.

Des déchets plastique à Genève, pour l'ouverture d'un sommet de l'ONU le 5 août 2025 sur la pollution plastique. - FABRICE COFFRINI / AFP

En près de 70 ans, la pollution plastique est passée d'une réalité visible à une autre bien plus insidieuse, menaçant la santé des êtres vivants. Sous l'égide l'ONU, près de 180 pays se sont réunis pour négocier le premier traité mondial s'attaquant à ce fléau. Mais les pourparlers se sont une nouvelle fois soldés par un échec, ce vendredi 15 août.

À Genève, une installation éphémère, baptisée "Le fardeau du Penseur" avait été installée: une reproduction de la célèbre statue du sculpteur Auguste Rodin se retrouve engluée dans une mer de déchets plastiques.

Une œuvre de Benjamin Von Wong intitulée "Le fardeau du penseur", créée pour les négociations du traité sur les plastiques, devant les bureaux des Nations Unies à Genève le 4 août 2025.
Une œuvre de Benjamin Von Wong intitulée "Le fardeau du penseur", créée pour les négociations du traité sur les plastiques, devant les bureaux des Nations Unies à Genève le 4 août 2025. © Fabrice COFFRINI / AFP

L'objectif: encourager les représentants de près de 180 pays qui se réunissaient en Suisse à négocier et signer le premier traité mondial visant à réduire la pollution plastique. Sept mois après un premier échec des négociations en Corée du Sud, les dix jours de pourparlers tendus se sont terminés ce vendredi 15 août par un nouveau constat d'échec cuisant pour l'environnement et la diplomatie.

Il n'y aura donc pas de traité contre la pollution plastique à Genève. Tout au long du processus deux camps se sont opposés: les "ambitieux", qui veulent réduire la production mondiale de plastique, et un groupe de pays producteurs de pétrole. Ce texte juridiquement contraignant pour les États visait pourtant à empêcher l'asphyxie de la planète. Mais pourquoi le plastique est-il devenu si problématique?

• Parce que sa production pollue énormément

Inventé à la fin du 19e siècle, le plastique a progressivement envahi nos vies depuis les années 50. Un temps, la tortue de mer, la tête coincée dans un sac plastique, ou le goéland, l'estomac rempli de déchets, étaient les tristes symboles de cette pollution. Mais avant même de devenir un déchet, le plastique pollue dès sa production.

La quantité de plastique produite dans le monde est passée de deux millions de tonnes en 1950 à 475 millions de tonnes en 2022, selon un rapport paru ce lundi 4 août dans la revue médicale The Lancet. Si rien n'est fait, la consommation mondiale de plastique pourrait tripler d'ici 2060, d'après les projections de l'OCDE.

Le problème, c'est que plus de 98% de nos plastiques sont issus de dérivés du pétrole ou de gaz naturel. Des matières fossiles qui, en plus de se raréfier, libèrent des gaz à effet de serre lors de leur extraction et donc contribuent au réchauffement de la planète. Pour produire 1kg de bouteilles en plastique, il faut environ utiliser 1,9kg de pétrole brut.

Il existe également des plastiques dits biosourcés, c'est-à-dire que leurs matières premières sont d’origine végétale ou animale. Cependant, en 2024, ils ne représentaient qu'1% de la production mondiale de plastique. Surtout, ils ne sont pas forcément biodégradables.

Autre problème, pour qu'un plastique corresponde à l'usage qu'on veut en faire, les industriels y ajoutent des additifs. Comme l'explique Isabelle Deportes, ingénieure à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), "on entend le phtalate (plastifiant), les retardateurs de flammes (utilisés dans certains équipements électroniques par exemple), les anti-UV, etc". Certains sont aujourd'hui réglementés, comme le bisphénol A qui est désormais interdit dans les plastiques alimentaires.

"Face à un tel rythme de production, la priorité doit être la réduction à la source: le meilleur déchet, c'est le déchet que l'on ne produit pas", appelle l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

La puissance des lobbys de la pétrochimie est telle que les débats sur ce traité risquent toutefois de se retrouver une fois de plus dans l'impasse.

"Il y a beaucoup d'usines pétrochimiques et de plastique" dans ces pays, et donc beaucoup d'emplois qui en dépendent, "raison pour laquelle nous appelons à une transition juste" avec la création d'emplois dans le "réemploi, le recyclage et la collecte des déchets", a déclaré l'ONG suisse Trash Hero World.

• Parce qu'il est très peu vraiment recyclé

Sur le sujet des plastiques, on parle parfois de l'objectif des "3R": réduction, réemploi, recyclage. L'Ademe estime qu'environ 40% des produits en plastique sont jetés moins d'un mois après leur achat. Or, moins de 10% sont recyclés.

Selon Hervé Raps, médecin délégué à la recherche au Centre scientifique de Monaco et l'un des auteurs de l'étude publiée dans The Lancet ce lundi, plus de la moitié des déchets plastiques sont encore brûlés, notamment dans des décharges à ciel ouvert. Et cette incinération rejette du CO2 dans l'atmosphère et contribue au réchauffement climatique.

L'Inrae indique, en outre, que 16% des déchets plastiques sont enfouis dans les sols, "à l’intérieur de grandes bâches elles-mêmes composées de plastique, qui vont se décomposer et contaminer les sols".

Une vue aérienne montre des déchets plastiques dans une décharge à la périphérie de Bengaluru, en Inde, le 23 novembre 2024.
Une vue aérienne montre des déchets plastiques dans une décharge à la périphérie de Bengaluru, en Inde, le 23 novembre 2024. © Idrees MOHAMMED / AFP

Le principal frein est que certains plastiques ne sont pas encore recyclables. "C'est le cas des plastiques mêlés à d'autres matériaux (emballages multicouches, blisters de médicaments…) ou encore de ceux dont la composition est complexe (intégrant des antioxydants, stabilisants UV, colorants…)", explique l'Ademe. En fait, plus les produits contiennent de plastiques différents, comme par exemple les jouets, plus ils sont difficiles à recycler.

Selon Nathalie Gontard, directrice de recherche à l'Inrae, "seules les bouteilles en PET soit 1 à 2% des plastiques, sont réellement recyclés".

Le recyclage se heurte à ces plastiques contenant de nombreux produits chimiques, dont la pétrochimie se garde bien de donner les compositions exactes. Au total, plus de 16.000 produits chimiques ont été trouvés dans les polymères synthétiques, comme le PVC des canalisations d'eau, le PP (polypropylène) de nos emballages et le polyester et l'acrylique qui nous habillent.

Le procédé de recyclage le plus répandu consiste à broyer les déchets plastiques afin de les réduire en petits composants réutilisables pour être intégrés dans de nouveaux objets. Le recyclage chimique, lui, permet justement de modifier la structure chimique de polymères plastiques trop complexes, mais il "produit actuellement 0,1% du plastique en Europe", selon l'Ademe.

Surtout, "comme il se dégrade, le plastique est la plupart du temps réemployé pour la fabrication d’un objet de moindre qualité: il est 'décyclé' et, à terme, jeté". "Des emballages usagés ou des bouteilles sont ainsi 'décyclés' en pulls, meubles, ou encore en pot de fleurs qui vont continuer à se dégrader en micro- et nanoplastiques", rappelle l'Inrae. En effet, lorsque l'on recycle du plastique, la fragmentation de celui-ci entraîne une pollution de l'environnement.

• Parce que les risques sur la santé sont réels

Mais alors cette omniprésence des déchets plastiques est-elle dangereuse pour notre santé? Pour les experts du rapport paru dans The Lancet, la pollution plastique est un "danger grave, croissant et sous-estimé" pour la santé qui coûte au monde au moins 1.500 milliards de dollars par an. Philip Landrigan, médecin et chercheur au Boston College, affirme que les personnes vulnérables, en particulier les enfants, sont les plus touchées par la pollution plastique.

Les chercheurs mettent notamment en garde contre de minuscules morceaux de plastique appelés microplastiques et nanoplastiques. Leurs effets sur la santé ne sont pas encore entièrement connus, mais ils tirent la sonnette d'alarme sur l'impact potentiel.

En 2022, pour la première fois, on a détecté des microplastiques dans du sang humain. Par la suite, d’autres études ont montré la présence de plastique dans les poumons, le lait maternel ou encore le placenta, transportant avec eux un cocktail d'additifs.

Chez les humains, on estime que la principale voie de contamination est l'alimentation, mais une récente étude a aussi mis en évidence le rôle de la respiration. D'après des chercheurs de l'Université de Newcastle, un être humain pourrait ingérer environ 5 grammes de plastique chaque semaine, soit l’équivalent d'une carte de crédit.

Des bouteilles plastiques dans une usine (photo d'illustration)
Des bouteilles plastiques dans une usine (photo d'illustration) © Thierry ZOCCOLAN © 2019 AFP

"On sait aujourd’hui qu'on a 16.000 molécules qui sont mises dans le plastique, et qu'un quart d’entre elles sont toxiques pour l'organisme. Seulement 4% de ces dernières sont régulées à l'échelle mondiale", a déploré auprès de Ouest-France Jean-François Ghiglione, directeur de recherche en écotoxicologie microbienne marine.

Or, nombre d'entre elles sont considérées comme dangereuses pour la santé humaine, à l'instar des PFAS, ces polluants éternels mis en lumière récemment et que l'on trouve par exemple dans les poêles antiadhésives ou les vêtements imperméables.

Selon un rapport de la Commission Minderoo-Monaco publié en 2023, chacune des étapes de son cycle de vie peut causer des pathologies telles que cancer, diabète, atteintes cardiovasculaires, fausse couche et infertilité, et même des décès.

À titre d'illustration, une étude de mars 2024 a découvert des microplastiques sur la paroi d'artères carotides, qui amènent le sang au cerveau. Cette présence était associée à un risque quatre fois et demi supérieur d'être victime d'un infarctus ou d'un AVC.

• Parce qu'il y en a partout dans l'environnement

Le plastique est donc partout. Par exemple, selon l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'érosion des pneus libère près de 6 millions de tonnes de particules de plastiques par an à travers le globe.

En témoigne ce qu'on appelle parfois le septième continent: ces immenses zones océaniques où s'accumulent les déchets sous l'effet des courants marins. Plus que de véritables continents, ce sont de gigantesques "soupes" composées de microplastiques. Selon l'Ademe, il existe cinq zones de la sorte dans le monde, la plus grande faisant six fois la superficie de la France.

Et si on retrouve du plastique jusque dans notre organisme, il est évident qu'il en va de même pour les animaux. "Plus de 400 millions de tonnes de plastique sont produites par an et à peu près 10% arrivent dans la nature chaque année. Il s’accumule depuis des dizaines d’années. Plus on en produit, plus il y a de pollution, le lien est direct", a expliqué à Ouest-France Jean-François Ghiglione.

"Il n'y a pas un organisme sur la terre qui ne soit pas en train de manger du plastique", a-t-il ajouté.

La situation est particulièrement dramatique dans les mers et les océans. Selon l'Institut supérieur de l'environnement, 73% des déchets présents sur les plages sont en matière plastique et l'Ademe estime que l'équivalent d'un camion poubelle rempli de plastique est rejeté chaque minute dans les océans.

Sommet océan: Peut-on sauver les océans de la pollution plastique?
Sommet océan: Peut-on sauver les océans de la pollution plastique?
2:49

Les déchets échoués sur les plages ne sont que la partie visible de cette pollution massive. On estime qu'il y a une tonne de plastique pour trois tonnes de poissons dans les océans, et qu'en 2050, il y aura même plus de plastiques que de poissons.

En plus des images connues de mammifères qui s'asphyxient avec des sacs plastiques, les animaux, comme les êtres humains, ingèrent des petites particules dégradées et sont contaminés par les produits chimiques qui se trouvent à l'intérieur. Selon le ministère de la Transition écologique, 94% des oiseaux de la mer du Nord ont du plastique dans leur estomac.

Lors du naufrage du porte-conteneurs X-Press Pearl en 2021 au large du Sri Lanka, des tonnes de granulés de plastique destinés à l'industrie de l'emballage se sont déversées. "Ça a causé une mortalité quasi-immédiate de la faune: les poissons en avaient plein les branchies, les cétacés en ont gobé pas mal, des œufs de tortues dans le sable ont même été écrasés sous le poids des granulés", a raconté à Libération le directeur adjoint du Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux.

Une étude citée par France info a observé des inflammations importantes de l'intestin chez des souris dont la nourriture contenait des microplastiques. Cela pourrait suggérer des maladies plus graves et donc d'éventuelles conséquences néfastes à surveiller chez les humains.

Au-delà des effets directs sur la santé, la disparition de la biodiversité liée à la pollution plastique risque également de fortement nous affecter.

La Question météo-climat, votre nouveau podcast BFMTV

Pourquoi ne sommes-nous plus habitués au froid? Comment le changement climatique va-t-il changer notre quotidien? Va-t-on manquer d'eau? C'est quoi un anticyclone? Tous les jours, nos journalistes répondent à vos questions sur le temps qu'il fait et le temps qu'il fera. La Question météo-climat est un podcast quotidien de BFMTV, à retrouver sur le site et l'application et sur toutes les plateformes d'écoute - Apple Podcast, Amazon Music, Deezer ou Spotify.

Salomé Robles