Tomi Ungerer, star de la littérature jeunesse: "Il faut traumatiser vos enfants"

Tomi Ungerer - Patrick Hertzog / AFP
Tomi Ungerer, 86 ans, est une légende de la littérature jeunesse. Le Géant de Zéralda, Les Trois brigands, Jean de la Lune... c’est lui. L’affiche du Docteur Folamour de Stanley Kubrick, c’est aussi lui. Toujours actif, l'infatigable auteur strasbourgeois sort Ni oui ni non, recueil de réponses oniriques et philosophiques à des questions posées par des enfants.
Comment dire à quelqu'un qu'on l'aime? Qui a créé Dieu? Pourquoi y a-t-il de l'argent? Peut-on penser quand on est mort? "Beaucoup des questions des enfants pourraient tout à fait être des sujets pour le bac philo", précise Alexandre Lacroix, rédacteur en chef de Philosophie Magazine et initiateur du projet.
Adulé en France, vivant en Irlande, Tomi Ungerer n’a pas sa langue dans sa poche. "Il ne faut pas oublier que je suis un agent provocateur. Pour moi la provocation est une forme de distraction", a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse organisée le 20 mars à la maison de l’Alsace à Paris.
"Il faut faire peur aux enfants, sinon ils vont tous devenir experts-comptables"
Sa question préférée, en toute logique, est donc celle d'un petit garçon se demandant si les poux se rendent au cimetière une fois qu'ils sont morts: "C'est une question formidable. Même André Breton et les surréalistes n'y auraient pas pensé", s'exclame-t-il. "Il faut traumatiser vos enfants, il faut leur faire peur sinon, ils vont tous devenir des experts comptables".

Toute sa vie, il a œuvré avec passion pour mener à bien cette ambition. Pendant 40 ans, Tomi Ungerer a ainsi été interdit dans les bibliothèques et les écoles américaines: "J’ai toujours considéré que c’était un honneur d’être banni de ce pays". Il s'y est rendu un jour. "Tout le monde pensait que j’étais mort! La résurrection, c’est formidable…"
"De l'engrais pour l'imagination"
A travers ses livres, Tomi Ungerer veut stimuler l’imagination des enfants et leur donner envie d’ouvrir des livres. Lui déteste ouvrir ou relire les siens: "Dès que j’ai fini un livre, c’est comme si j’avais exécuté un besoin", explique-t-il, avant de reprendre, plus sérieusement:
"Mon intention est d'aiguillonner les enfants. Plus un enfant a de la curiosité, plus il va poser de questions et plus il va accumuler des connaissances. A partir du moment où il se met à comparer les choses, il a de l'engrais pour nourrir son imagination".

"Les adultes n'ont pas réponse à tout"
Dans Ni oui ni non, Tomi Ungerer répond tantôt de manière sérieuse, tantôt de manière totalement fantaisiste. Certaines fois, il répond de manière évasive:
"Je suis obligé", dit le dessinateur. "Il faut montrer aux enfants que les adultes n'ont pas réponse à tout. Ce n'est pas parce qu'on est plus grand qu'on est plus malin. Voilà le problème de nos sociétés aujourd’hui: on veut tout expliquer. Et si on explique tout, c’est la fin de la poésie".
Certaines de ses réponses, trop poétiques, peuvent cependant être mal interprétées. Tomi Ungerer est un spontané qui répond aux question d'un seul jet, avant de les envoyer par fax.

"Les lèvres gonflées comme des sangsues"
Il se souvient notamment d'un enfant demandant pourquoi sa mère ne le "laisse pas jouer tout le temps à la PlayStation". Voici la réponse de Tomi Ungerer:
"Je vais quand même te citer l’exemple d’une fillette de ma connaissance qui, ayant joué à la PlayStation sans interruption pendant trois semaines, fut retrouvée bouffie, hébétée, les yeux enflés sortant des orbites comme des balles de ping-pong rouges, tandis qu’une bave glaireuse dégoulinait de la commissure de ses lèvres gonflées comme des sangsues. Elle avait perdu l’usage de la parole et n’était même plus capable de digérer normalement!"
Ce texte, aussi poétique que polémique, a provoqué un torrent de réponses indignées. Tomi Ungerer s'en moque: "Ce que j’ai hérité de ma mère, c’est que je n’ai pas froid aux yeux - sauf en hiver, évidemment".