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BD: la cuisine passe à la casserole

Couverture du gourmet solitaire

Couverture du gourmet solitaire - Casterman 2018

La sortie de l’album Comme un chef est l’occasion de se pencher sur une question fondamentale en BD: comment rendre appétissant un dessin de nourriture?

Après s’être longtemps intéressée à la science-fiction, au western ou encore à l’Antiquité, la bande dessinée se penche depuis une trentaine d’années sur l’intime. Et quoi de plus intime que la nourriture? Le classique du genre, signé Jirô Taniguchi, s'intitule Le Gourmet solitaire. L’auteur, disparu en février 2017, y met en relation rêverie, flânerie et gourmandise. Le succès de l’ouvrage l’a incité à poursuivre l’expérience avec Les rêveries d'un gourmet solitaire et a donné quelques idées à ses confrères.

Christophe Blain, l’auteur de Gus et de Quai d’Orsay, a ainsi suivi pendant deux ans le chef trois étoiles Alain Passard. Il a raconté son expérience dans En cuisine avec Alain Passard (Gallimard). Le Lombard a de son côté sorti Dans les Cuisines de l'Histoire, une série consacrée à l'histoire de la gastronomie française, du temps des Chevalier aux Lumières. Emmanuelle Maisonneuve a enfin raconté dans Le Goût d’Emma (Les Arènes) son parcours d’inspectrice du Guide Michelin.

BD et Cuisine
BD et Cuisine © Gallimard / Le Lombard / Les Arènes

Une BD sur la cuisine sans recettes

Dans sa série A boire et à manger (Gallimard), Guillaume Long se démarque en racontant sous la forme de petites histoires les recettes de cuisine qu’il prépare. Pour autant, ses BD ne sont pas des livres de recettes, comme il l’avait indiqué à BFMTV en juin 2017:

"J’aimerais que ce soit un livre de bibliothèque qui parle de cuisine. Ça ne m’intéresse pas que les gens prennent le bouquin et cuisinent à côté en essayant de suivre précisément les recettes. Ce qui m'intéresse vraiment, ce serait que les gens se posent dans leur salon, lisent ce bouquin, puis le lâchent et aillent faire de la cuisine".

Le scénariste Benoît Peeters et la dessinatrice Aurelia Aurita sont allés encore plus loin en proposant avec Comme un chef, disponible depuis janvier aux éditions Casterman, une BD sur la cuisine sans recettes! "C’est un livre qui, même s’il ne donne pas de recette, donne une certaine philosophie de la cuisine", précise Benoît Peeters.

Dans cet album très personnel, ce dernier retrace son parcours tout en évoquant la révolution de la nouvelle cuisine: "Le projet n’est pas de raconter ma vie, mais de faire une traversée culinaire", précise-t-il. L’histoire débute ainsi à Bruxelles en 1958 et se termine en 2011 lors de la fermeture du célèbre restaurant El Bulli. 

Couverture de Comme un chef
Couverture de Comme un chef © Casterman 2018

Le secret pour dessiner un plat

Pour raconter cette "traversée culinaire", Benoît Peeters s’est associé à une dessinatrice qu’il connaît bien, Aurélia Aurita: "On partage ce goût pour la cuisine. Si ça avait été dessiné par quelqu’un qui n’est pas gourmand, ça n’aurait pas eu beaucoup de sens".

L’enjeu d’une BD consacrée à la nourriture est de donner l'eau à la bouche. "Je trouve que même dans les livres qui parlent de la cuisine, elle n’est pas souvent représentée de manière appétissante. Elle est montrée, mais pas mise en scène. Elle ne fait pas saliver", estime Benoît Peeters.

Dans Comme un chef, le pari est amplement réussi grâce à un audacieux dispositif: seule la nourriture et le plaisir lié à la cuisine sont en couleur, le reste est noir et blanc. "Dans une scène du milieu du livre, lorsque Benoît fait la cuisine pour des bouchers, le plaisir déborde tellement des plats qu’il rejaillit sur les gens qui mangent et fêtent", raconte Aurelia Aurita. "La couleur monte et envahit tout, puis les bouchers dégrisent après le dessert", sourit Benoît Peeters.

Comme un chef de Benoît Peeter et Aurélia Aurita
Comme un chef de Benoît Peeter et Aurélia Aurita © Casterman 2018

Plongée dans la cuisine des années 1970

Pour faire saliver les lecteurs, Aurélia Aurita a privilégié des aquarelles, qui ajoute de la sensualité au dessin: "J’ai eu beaucoup de plaisir à essayer de retrouver les nuances de la carotte, de la betterave, de l’asperge... Je n’ai pas seulement fait un dessin, mais je l’ai vécu de l’intérieur. C’est comme si je dégustais moi-même le plat que j’étais en train de dessiner", indique celle qui voit dans la technique de l'aquarelle une corrélation directe avec l’art de cuisiner:

"J’aime la fluidité de cette technique, le fait que l’on puisse superposer les couches, jouer avec la transparence. J’aime surtout son côté improvisé, ne pas savoir quelle couleur va ressortir. Il y a quelquefois des accidents heureux en aquarelle. C’est un peu pareil en cuisine".

En lisant Comme un chef, on n’a pas seulement faim, on replonge dans la cuisine des années 1970. A cette époque, "le cuisinier osait à peine sortir de sa cuisine", se souvient Benoît Peeters: "Il était vraiment un artisan, presque un ouvrier de la cuisine". Puis, peu à peu, la perception a changé.

Ce changement s'est déroulé parallèlement à la reconnaissance de la BD. "On en n’avait pas conscience à l’époque, c’est avec le recul que l’on s’en est rendu compte", précise Benoît Peeters. Longtemps perçus comme de l'artisanat, ces deux arts que sont la cuisine et la bande dessinée se racontent désormais conjointement.

Comme un chef de Benoît Peeters (scénario) et Aurelia Aurita (dessin), Casterman, collection écritures, 216 pages, 18,95 euros.

Jérôme Lachasse