Jujutsu Kaisen: ce qu’il faut savoir sur le nouveau manga événement

Jujutsu Kaisen - Jujutsu Kaisen © 2018 by Gege Akutami - Shueisha Inc.
Au Japon, c’est l’un des plus grands succès actuels de la bande dessinée. Sorti en France en février, Jujutsu Kaisen est la nouvelle série de référence. Éditée aux éditions Ki-oon, elle suit un lycéen qui doit affronter une série de monstres afin de lever une malédiction. C’est en feuilletant le Weekly Shōnen Jump, magazine de prépublication où ont été découverts des titres comme Dragon Ball, One Piece ou encore Naruto que Ahmed Agne, le fondateur de Ki-oon, a repéré Jujutsu Kaisen.
Cette série de "dark fantasy" ni trop effrayante ni trop enfantine dans la lignée de Death Note et Promised Neverland séduit au Japon petits et grands. Tout en restant dans les codes du shōnen (manga pour garçons) - le combat, le dépassement de soi - Jujutsu Kaisen est suffisamment maîtrisé par son créateur, Gege Akutami, pour plaire au plus grand nombre.

Un événement éditorial inattendu
Le succès rencontré au Japon par Jujutsu Kaisen est colossal. "On est déjà à plus de 3 millions d’exemplaires vendus en un peu plus d’un an d’existence là-bas - ce qui est absolument considérable même à l’échelle du Shōnen Jump", raconte Ahmed Agne, éditeur en France de la série.
Ce succès est d’autant plus surprenant que Jujutsu Kaisen n’a pas encore de déclinaison animée (elle ne sortira qu'en octobre prochain et devrait permettre au titre de doubler son succès): "La série se vend déjà plus au Japon que pas mal de gros porteurs du magazine comme Dr. Stone ou Black Cover, qui sont installés depuis plus longtemps et bénéficient de cette fameuse adaptation animée." Jujutsu Kaisen fait parler depuis ses débuts et touche l’ensemble du lectorat d'un magazine à l’origine destiné aux enfants et désormais lu à 53% par des adultes.
"C’est un seinen pour les enfants et un shōnen pour les adultes, comme l’a décrit son responsable éditorial au Japon. Les enfants qui ont envie de lire des choses un peu au-dessus de leur tranche d’âge pour se sentir plus grands y trouvent leur bonheur et en même temps les adultes, les routards du shōnen, trouvent suffisamment d’originalité et de maturité pour que ça leur parle aussi. Il y a de moins en moins de jeunes lecteurs de magazines. Les éditeurs du Jump doivent donc jongler avec cette équation: à la fois continuer de recruter de très jeunes lecteurs et satisfaire toute une frange du lectorat qui a 20, 30, 40 parfois 50 ans, mais a lu des kilomètres de shōnen et a envie de choses un petit peu mûres."

La compétition a été féroce pour acquérir en France la série. Le succès est au rendez-vous. Avec 40.000 exemplaires sortis du tome 1, il s’agit du "deuxième plus gros lancement de l’histoire de Ki-oon derrière My Hero Academia - qui avait bénéficié en son temps du soutien de l’anime." Celui de Jujutsu Kaisen sera disponible dans quelques mois: "Faire ces scores-là sans l’anime est très encourageant pour la suite", se félicite Ahmed Agne.
Gege Akutami, un jeune créateur bien mystérieux
Né en 1992, Gege Akutami a grandi avec Bleach et Naruto: "On retrouve un peu de Bleach dans le côté poseur, élancé et élégant de ses personnages. Il a aussi l’humour décomplexé de Naruto", analyse Ahmed Agne. Le mangaka compte parmi ses influences Yoshihiro Togashi, l’auteur de Hunter x Hunter, Yuyu Hakusho et Level E. Comme Togashi, il semble fasciné par les mains de ses personnages, partie du corps idéale selon lui pour exprimer des émotions. Il partage aussi avec Togashi "un coup de crayon sale, crade":
"Ce n’est pas lisse, ce n’est pas propre", précise l'éditeur. "C’est décalé. Il y a des touches d’humour là où on ne l’attend pas. Il y a des personnages manichéens: les humains ont leur raison de survivre, les méchants ont leurs raisons de vouloir supplanter les humains. C’est quelque chose qu’il a hérité de Togashi et de ses méchants dogmatiques et charismatiques."
Gege Akutami ne cite pas Parasite, manga culte de Hitoshi Iwaaki auquel on pense instantanément en découvrant sur la couverture du premier tome la bouche d’un monstre sur la main du héros. Au début très tributaire de ses influences, il a su s’en détacher. Sa marge de progression est très impressionnante.

Peu de choses sont connues sur lui - outre le fait qu’il ne se prend pas très au sérieux: il se représente dans son manga en chat cyclope et a glissé dans son nom un kanji signifiant le mot "déchet". "Ce sont rarement les auteurs confirmés qui débarquent avec des blockbusters. Souvent, les auteurs qui explosent dans Shōnen Jump sortent d’un peu nulle part ou ont très peu de carrière d’auteurs derrière eux", indique Ahmed Agne.
Gege Akutami a fait une école d’audiovisuel, où il a appris le montage vidéo. Il fait du storyboard depuis le lycée et lit du manga depuis toujours. Il a été assistant sur Kiss X Death de Yasuhiro Kanô. À sa sortie de fac, il a proposé des histoires au Weekly Shōnen Jump. Très vite repéré, il a enchaîné avec le numéro zéro de Jujutsu Kaisen, qui a rencontré un succès d’estime et lui a inspiré sa série.
Un titre phare de la "dark fantasy"
Jujutsu Kaisen participe au regain contemporain de ce que l’on nomme la "dark fantasy". Si cette appellation désignait principalement en Europe la fantasy médiévale sombre dans la lignée de Berserk, elle était aussi utilisée au Japon pour des histoires contemporaines et urbaines. Les derniers gros succès venus du Japon - comme Promised Neverland ou L’Attaque des titans - appartiennent à ce genre.

Comme Jujutsu Kaisen, il s’agit de titres aux thématiques sombres qui agissent comme des miroirs déformés de notre époque: "Il y a clairement [dans l’œuvre de Gege Akutami] une espèce de déstructuration de l’humain qui est concassé et recomposé à partir d’éléments de Yokai [les créatures folkloriques japonaises, NDLR]", commente Ahmed Agne.
Gege Akutami ne fait aucune concession en matière de noirceur et de violence. Et ce, malgré l’étiquette shōnen. Le héros se fait couper la main. Il souffre: "La récompense, dans One Piece, est que Luffy deviendra le plus grand des pirates, Dans Naruto, il doit devenir le plus grand des ninjas. Et dans My Hero Academia le plus grand des super-héros. Là, la récompense du héros est que s'il accomplit sa mission, il sera condamné à mort." Une manière lugubre mais efficace de renouveler le genre.