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Nuisibles mais utiles? Faut-il se débarrasser pour de bon des moustiques?

Le moustique Aedes, vecteur des virus du Nil occidental, de la fièvre jaune, de la dengue, du chikungunya et du Zika, à Tehatta, en Inde, le 7 juin 2025.

Le moustique Aedes, vecteur des virus du Nil occidental, de la fièvre jaune, de la dengue, du chikungunya et du Zika, à Tehatta, en Inde, le 7 juin 2025. - Soumyabrata Roy / NurPhoto / NurPhoto

Ils empoisonnent nos étés et peuvent être vecteurs de maladies graves. Les moustiques ont maglré tout une place dans nos écosystèmes et leur éradication totale pose question quant aux conséquences de leur potentielle disparition.

Pourquoi ne pas simplement les éradiquer? Ils font du bruit la nuit, leurs piqûres démangent... Durant l'été, les moustiques peuvent être de véritables casse-pieds. Plus grave: ils peuvent transmettre des maladies, parfois graves, car certains sont vecteurs de virus comme le Chikungunya, la dengue ou encore le Zika.

À lui seul, le moustique du genre Anopheles, qui transmet notamment le paludisme, est responsable de plus de 608.000 morts dans le monde chaque année, selon les données de l'Organisation mondiale de la Santé.

À cela s'ajoutent le changement climatique et l'accroissement des activités humaines, qui facilitent l'introduction et la prolifération d'espèces envahissantes, à l'instar du moustique tigre dans l'Hexagone.

Partie intégrante des écosystèmes

Comme toutes les espèces, les moustiques font partie de nos écosystèmes, à la fois dans les milieux aquatiques et terrestres. Ils alimentent de nombreux oiseaux, batraciens, chauves-souris, libellules, araignées ou encore poissons, qui se régalent de ses larves. Le moustique est également un pollinisateur: en se nourrissant sur les fleurs, il transporte du pollen, de la même manière que les abeilles.

"Ses larves qui se développent dans les points d’eau consomment des micro-organismes (algues, microbes) présents dans l'eau et contribuent ainsi au cycle de production et de transformation de la biomasse (l’ensemble de toute la matière organique produite par les végétaux, animaux, micro-organismes d’un écosystème)", écrit le muséum d'histoire naturelle.

Par exemple, en Afrique, les larves du moustique Anopheles gambiae sont importantes pour le sol des marais, de sorte que leur élimination pourrait avoir des conséquences imprévues.

Peut-on s'en passer?

Le moustique est-il toutefois indispensable à ces écosystèmes? "La pollinisation fonctionne sans les moustiques, qui transportent très peu de pollens par rapport aux abeilles ou aux papillons", explique Jérémy Bouyer, entomologiste au Cirad sur l'écologie et les insectes vecteurs. Néanmoins, selon le muséum d'histoire naturelle, le moustique reste par exemple "indispensable aux plantes à fleurs des régions arctiques".

S'il constitue une source de nourriture importante pour de nombreuses espèces, celles-ci pourraient-elles survivre sans moustique? Des études sur l'Anopheles gambiae "n'ont pas trouvé de prédateurs qui ne mangent que des moustiques", indique Jérémy Bouyer, signe que leur disparition pourrait ne pas être un fort chamboulement. "Mais il faut voir au cas par cas" pour chaque espèce de moustique et chaque zone géographique, précise l'entomologiste.

Surtout, malgré cela, "on ne sait quand même pas quel impact aurait leur disparition", ajoute-t-il. Cela créerait donc forcément un certain déséquilibre dont on ignore toutes les potentielles conséquences. Pour l'heure, on n'a jamais pu estimer les retombées écologiques d'une disparition massive et forcée des moustiques.

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En outre, "dans le fonctionnement de la nature, les moustiques transmettent des maladies aux grands mammifères et régulent les populations", complète Mathieu de Flores, entomologiste à l'Office pour les insectes et leur environnement (Opie). "Mais ça, on ne l'accepte pas pour nous les humains, et c'est normal".

Pas si simple à éradiquer

Concrètement, pourrait-on se débarrasser des moustiques? "On pourrait envisager des techniques qui le permettraient mais c'est peu probable car ce sont des espèces très adaptables", explique à BFMTV.com Mathieu de Flores.

Les moustiques étaient sur Terre bien avant nous et n'ont cessé de s'adapter, même à l'aune du dérèglement climatique. Certains peuvent progressivement devenir résistants aux insecticides, qui restent néfastes pour d’autres espèces, humains compris. Sur 3.500 espèces de moustiques recensées, seuls 6% piquent les humains pour leur prendre du sang, et exclusivement les femelles.

Au milieu du 20e siècle en Amérique latine, une campagne d'éradication du moustique Aedes aegypti, vecteur notamment de la dengue, avait été menée mais l'espèce est finalement revenue bourdonner sur le continent.

"Éviter une catastrophe"

Pour tuer des moustiques à grande échelle, on peut recourir aux insecticides. "La problématique c'est d'éviter une catastrophe sur des milliers d'insectes", explique Mathieu de Flores, qui précise qu'"on ne peut pas vivre sur la planète sans insecte".

"Si vous tuez les abeilles en voulant tuer les moustiques, c'est très grave", abonde dans le même sens Jérémy Bouyer.

Des chercheurs ont montré que les mesures de démoustication prises en Camargue auraient fait baisser les populations d'hirondelles. "Avec la pulvérisation d'insecticides, ça tuait tous les autres insectes donc on tuait les proies pour hirondelles", détaille Jérémy Bouyer.

Si l'on veut s'attaquer aux moustiques, il faut donc développer des méthodes plus spécifiques. Des recherches sont menées pour modifier les caractéristiques génétiques des moustiques vecteurs de maladies afin de réduire leur population. "Il peut s’agir de stériliser des mâles moustiques pour que les œufs des femelles n'éclosent pas ou de programmer que seuls des moustiques mâles stériles naissent ce qui pourrait conduire à l’épuisement de l’espèce", résume le muséum d'histoire naturelle.

"Reste à s'assurer que cette démarche de modification du vivant sera inoffensive pour la biodiversité, la santé humaine et efficace contre les épidémies", ajoute-t-il.

"De quel droit?"

Au-delà des considérations techniques, des interrogations éthiques et philosophiques se posent. "On peut se poser la question: de quel droit on se donne le droit d'effacer de la planète une espèce?", affirme Mathieu de Flores. "Par exemple en Camargue, c'est normal qu'il y ait beaucoup de moustiques", ajoute le spécialiste.

Comme l'explique Jérémy Bouyer, les espèces ont une "valeur extrinsèque", c'est-à-dire la valeur qu'elles ont pour l'Homme avec, par exemple, la pollinisation ou la place dans la chaîne alimentaire. Il existe ensuite une "valeur intrinsèque", soit "la valeur d'une entité en tant que fin en soi, au-delà et indépendamment de toute utilité (ou nuisibilité) qu'elle peut posséder".

"On a éradiqué 90% des espèces de papillons en région parisienne à cause de l'agriculture de manière 'non-intentionnelle'", rappelle par exemple Jérémy Bouyer.

En outre, Mathieu de Flores indique également que "généralement, les moustiques posent problème dans des zones où on a transformé les écosystèmes", à l'instar des moustiques tigres en France. "Dans des mares fonctionnelles, les moustiques ont des prédateurs et donc posent moins de problème, ça limite les risques", illustre-t-il.

Politiques de lutte contre le moustique tigre

Il existe une particularité dans tous ces questionnements: celle des espèces invasives et/ou introduites par les activités humaines. C'est le cas du moustique tigre sous nos latitudes, qui est une espèce exotique qui ne vivait pas en France auparavant. "Si on a un moyen non-destructeur du reste de la faune, sélectif et efficace, il n'y a pas de raison de se priver de s'en débarrasser", affirme Mathieu de Flores.

Concernant les moustiques autochtones, il met en garde: "dès qu'on a la moindre action sur les écosystèmes, il faut être très prudents sur les impacts".

Néanmoins, l'entomologiste le concède: il y a des endroits où la présence de moustiques est "vraiment problématique". Ainsi, si on ne peut pas totalement les éradiquer, on peut essayer de s'en protéger au maximum. Outre les techniques s'attaquant à la génétique, des "pièges à phéromones" ou encore des "pièges CO2" sont en développement.

"Mais pour le moustique tigre, ça doit être accompagné d'une politique où on éradique l'eau stagnante en parallèle", insiste Mathieu de Flores. En effet, l'insecte se développe dans de petites quantités d'eau stagnante.

Depuis plusieurs années, les autorités mènent des politiques de lutte contre le moustique tigre, en appelant notamment les habitants à l'empêcher de pondre ses œufs dans des récipients pouvant recevoir de l'eau, notamment dans les jardins.

Salomé Robles