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Insecticide "tueur d'abeilles", risques pour la santé... Ce qu'il faut savoir sur l'acétamipride au cœur de la mobilisation des agriculteurs

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Réclamée par les producteurs de betteraves sucrières et de noisettes, la réintroduction de l'acétamipride à titre dérogatoire inquiète défenseurs de l'environnement et apiculteurs. Un clivage qui se reflète à l'Assemblée nationale.

Un insecticide au cœur d'un débat clivant à l'Assemblée nationale. La loi agricole dite Duplomb arrive ce lundi 26 mai dans l'hémicycle pour une première séance qui s'annonce mouvementée tant que le sujet est clivant. "Vital" pour la FNSEA, premier syndicat agricole, et soutenu par les élus du bloc central, le texte ulcère la gauche, les écologistes et les ONG de défense de l'environnement.

La mesure qui cristallise les tensions est la possibilité de déroger durant trois ans et sous certaines conditions à l'interdiction d'utiliser l'acétamipride, un néonicotinoïde (insecticide neurotoxique) nocif pour les pollinisateurs et interdit en France depuis 2018. La question divise jusque dans les rangs du gouvernement, où la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher est hostile à son retour.

· Une réintroduction réclamée par des producteurs et la FNSEA

L'acétamipride fait partie des cinq substances de la famille des néonicotinoïdes –clothianidine, imidaclopride, thiaclopride, thiamétoxame et acétamipride – qui ont été interdites en France en 2018. Les quatre premières sont aussi proscrites dans toute l'Union européenne, mais Bruxelles a donné son feu vert à une utilisation de l'acétamipride jusqu'en 2033.

La proposition de loi Duplomb, telle qu'adoptée par le Sénat, ouvre ainsi la voie à un retour temporaire de l'acétamipride en France, tant qu'il n'a pas été interdit par la réglementation européenne et que les alternatives restent "inexistantes" ou "insuffisantes".

Cette réintroduction dérogatoire de l'acétamipride est particulièrement réclamée par les producteurs de betteraves sucrières et de noisettes, qui affirment n'avoir aucune autre solution pour protéger efficacement leurs cultures.

La FNSEA, comme la Coordination rurale (2e syndicat), dénoncent une "concurrence déloyale" avec les autres producteurs européens et une "porte ouverte aux importations".

· Un insecticide "tueur d'abeilles"

L'acétamipride, comme tous les néonicotinoïdes, est en revanche décrié par les défenseurs de l'environnement, les apiculteurs et la Confédération paysanne (troisième syndicat agricole) qui le qualifient de "tueur d'abeilles".

La réintroduction dans l'agriculture de cette substance serait un "désastre", selon l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf), le principal syndicat d'agriculteurs. Et pour cause, selon le CNRS, la production de miel en France a été divisée par deux entre le milieu des années 1990, date d'introduction des néonicotinoïdes, et le milieu des années 2010.

"J'exploitais 1.000 ruches en Vendée. Les colonies s'effondraient à la floraison. On passait en quelques jours de 70.000 abeilles à 20.000. Elles étaient désorientées, incapables de revenir à la ruche. On les retrouvait mortes partout, dans les champs, même dans les fleurs de tournesol", a témoigné début mai à l'Assemblée nationale Yves Delaunay, apiculteur en Vendée et vice-président de l'Unaf.

À ses côtés, Philippe Grandcolas, chercheur au CNRS, avait rappelé que "les études scientifiques montrent un déclin de l'ordre de 70 à 90% des populations d'insectes dans les paysages les plus impactés par l'utilisation des pesticides". Et comme "les trois quarts des plantes doivent être pollinisées pour produire", "on a des pertes de productivité importantes", allant jusqu'à "30% pour le colza", indiquait-il.

Les produits comme l'acétamipride peuvent perdurer "plusieurs décennies" dans les sols et voient "leur toxicité augmenter de 100 fois au contact de fongicides" présents dans les parcelles agricoles, ajoutait le scientifique.

· Des risques pour la santé humaine?

Les néonicotinoïdes, qui agissent sur le système nerveux des abeilles, peuvent-ils être dangereux pour l'homme? Le consensus actuel, tel que donné par la littérature scientifique et diverses autorités sanitaires, se résume à de l'incertitude assortie d'appels au principe de précaution.

"Des incertitudes majeures" demeurent sur les effets neurodéveloppementaux de l'acétamipride, résumait notamment en 2024 l'agence sanitaire européenne, l'Efsa. Il faudrait de "nouveaux éléments" pour pouvoir "évaluer de manière adéquate les risques et les dangers" de l'acétamipride, insistait l'agence, appelant pour l'heure à abaisser nettement les seuils auxquels ce pesticide est jugé potentiellement dangereux.

Les quelques études existantes essentiellement des travaux "in vitro", qui décrivent ce qui se passe quand une cellule est exposée en laboratoire à des néonicotinoïdes, à des études sur des animaux.

Le premier type d'études a notamment montré les effets délétères des néonicotinoïdes sur les neurones. La seconde catégorie a mis en évidence leur action dans des troubles neurologiques, mais aussi dans d'autres pathologies. Une étude, publiée en 2022 dans la revue Environment International, a ainsi montré la capacité de l'acétamipride à provoquer des cancers du sein chez la souris.

Si ces études appuient l'idée que les néonicotinoïdes présentent des risques potentiels, elles ne permettent pas de conclure définitivement qu'ils jouent réellement un rôle dans des pathologies chez l'humain, du moins au niveau auquel ces produits sont utilisés dans la vie réelle.

Les chercheurs s'accordent sur la nécessité de mener plus d'études épidémiologiques. De telles études évaluent, au sein d'un groupe de personnes, la fréquence de certains troubles en fonction de l'exposition plus ou moins grande à un facteur donné, ici les néonicotinoïdes. "On a un besoin crucial d'études épidémiologiques de grande ampleur pour éclaircir les effets que l'exposition aux néonicotinoïdes pourrait avoir sur la santé", résumait en 2022 une synthèse des connaissances, dans la revue Environment International.

François Blanchard