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Pas convaincue par les clauses de sauvegarde de Bruxelles, la France réclame encore des "mesures miroirs" pour accepter l'accord avec le Mercosur

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Malgré les promesses de la Commission européenne, qui s'est engagée sur des "mesures de sauvegarde" en faveur de produits agricoles sensibles, la France réclame encore l'ajout de "mesures miroirs" dans l'accord commercial UE-Mercosur.

Pour tenter d'obtenir le feu vert de la France sur l'accord avec le Mercosur, Bruxelles a sorti la carte des mesures de sauvegarde... sans convaincre complètement Paris, qui réclame encore des "mesures miroirs" pour protéger ses agriculteurs.

Nouvelle étape franchie sur la route vers la ratification, la Commission européenne a officiellement soumis aux États membres le texte du vaste accord commercial entre l'Union européenne et les pays sud-américains du Mercosur. Dans un geste envers Paris, qui mène une fronde contre le traité "en l'état actuel", l'exécutif européen y a ajouté la promesse d'un "acte juridique" complémentaire activant des mesures de sauvegarde, prévues par le texte, afin de sécuriser des secteurs agricoles sensibles.

Les Experts : Mercosur, Paris pas convainu par l'accord - 04/09
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Se félicitant d'un "élément nouveau" obtenu "à l’initiative de la France", la ministre française de l'Agriculture s'est toutefois montrée prudente à l'égard des engagements de la Commission européenne. "Je garde la même position" au sujet de l'accord UE-Mercosur car "certaines de nos filières agricoles ne peuvent [en] être la variable d’ajustement", a déclaré mercredi soir Annie Genevard, pour qui ces "garanties nouvelles" devront "être pleinement opérationnelles" et "applicables sur le terrain".

"Il faut également qu'elles soient accompagnées de mesures-miroir et d’un véritable renforcement des contrôles sanitaires et phytosanitaires pour que les produits importés respectent nos normes", a appelé la ministre de l'Agriculture.

L'insertion de "clauses miroirs" dans le texte de l'accord UE-Mercosur est un vieux cheval de bataille de la France. À défaut de rejeter l'accord commercial en tant que tel, au moment où le commerce mondial est chahuté par l'offensive protectionniste de Donald Trump et l'Europe cherche à diversifier ses débouchés, Paris en a fait la condition sine qua non pour rendre le traité acceptable à ses yeux. S'il le jugeait "stratégiquement bon", Emmanuel Macron se disaient encore prêt en juin dernier à signer le texte s'il comportait ces fameuses "clauses miroirs" en matière agricole.

Deux outils différents

Selon les souhaits français, ces "clauses miroirs" permettraient d'éviter des distorsions de concurrence entre les deux rives de l'Atlantique, en empêchant l'exportation vers l'Europe de productions agricoles sud-américaines qui ne respecteraient pas les normes sanitaires, environnementales et sociales européennes, alors même que les agriculteurs européens y sont soumis. L'entrée de ces produits agricoles sur le Vieux continent serait ainsi conditionnée au respect des standards européens.

"L’utilisation d’antibiotiques promoteurs de croissance est encore autorisée dans les pays tiers, notamment ceux du Mercosur", or "cette pratique, interdite en Union européenne depuis 2006, n’est pas encore bannie de manière effective pour les produits importés dans l'UE", indiquait un rapport de la Fondation pour la nature et l’homme, l'interprofession de la filière bovine française (Interbev) et l'Institut Veblen, paru en février 2024. L’utilisation de pesticides interdits en Europe est également évoquée, de même que certaines pratiques d’élevage prohibées sur le sol européen.

Dans les faits, le terme de "clauses miroirs" se rapporte toutefois à deux outils différents, bien que proches. Les "mesures miroirs" sont des dispositions insérées dans la réglementation européenne et qui s'appliquent à toutes les importations depuis l'extérieur de l'UE, quel que soit le pays tiers. Il s'agit, par exemple, de l'interdiction des produits animaux traités avec des hormones de croissance depuis les années 2000 ou du règlement anti-déforestation qui s'appliquera d'ici la fin de l'année. Mais la liste des "mesures miroirs" en matière agricole est très courte aujourd'hui.

Les "clauses miroirs" en tant que telles désignent des dispositions similaires qui ne s'appliquent qu'à un seul accord commercial, après avoir été négociées entre les deux parties pour quelques produits spécifiques – c'est ce qui est réclamé aujourd'hui par la France dans le cadre de l'accord UE-Mercosur. L'accord commercial entre l'UE et la Nouvelle-Zélande, entré en vigueur en mai 2024, a ainsi inséré une telle clause excluant la viande bovine issue de parcs d'engraissements – une disposition surtout symbolique, puisque ces "feedlots" n'existent quasiment pas sur le sol néo-zélandais.

Difficiles à mettre en œuvre

Ces clauses miroirs restent toutefois difficiles à mettre en œuvre. La traçabilité de la production agricole, d'autant plus pour des productions venues de pays où les exigences sont moins fortes – le traçage de la naissance à l'abattage, au sein du Mercosur, n’existe aujourd'hui qu'en Uruguay – n'est pas infaillible. Un audit européen avait notamment révélé des contrôles insuffisants de la viande bovine au Brésil, où l'absence de l'hormone œstradiol interdite en Europe n'est pas garantie.

D'autres pays, dont la Pologne et l'Italie, avaient eux aussi réclamé l'ajout de ces clauses miroirs dans le texte. Mais la Commission européenne a depuis longtemps fermé la porte à l'insertion de clauses miroirs dans le texte, ce qui aurait nécessité une renégociation avec les partenaires du Mercosur qui y sont farouchement opposés.

La France a de bonnes chances de perdre sur le dossier des clauses miroirs, alors que l'horizon s'éclaircit pour l'accord UE-Mercosur. Si elle s'oppose toujours au texte en l'état actuel, la France aura besoin de réunir une "minorité de blocage", soit au moins quatre États membres représentant plus de 35% de la population de l'UE, pour faire barrage à son volet commercial. La Pologne a réitéré son refus, mais Paris et Varsovie apparaissent isolées en Europe. L'Italie, dubitative, a finalement adouci sa position.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV