Pourquoi les jeux de logique inondent votre fil Facebook

- - BFM
"Si vous trouvez la solution à ce problème, c’est que vous êtes un génie". En ayant un goût ne serait-ce que lointain pour la logique ou les mathématiques, vous avez forcément vu passer ce genre de posts sur les réseaux sociaux. Que vous trouviez la solution du premier coup ou que vous n’ayez jamais su percer le mystère, le résultat final est souvent le même: certaines de ces devinettes atteignent des chiffres de viralité à faire pâlir d’envie les plus grandes marques: des dizaines de milliers de commentaires et des centaines de milliers de partages sur Facebook.
Comment expliquer le succès foudroyant de ces publications sur Facebook ou YouTube?
"Ce sont les mécanismes de base du clickbait (appât à clics, NDLR). Lire ‘50% des étudiants de Harvard ne peuvent pas résoudre cette énigme’, ça provoque une réaction émotionnelle parce qu’on a envie de prouver qu’on est plus malin", explique Pierre Bourdin-Sauviac, spécialiste des contenus sociaux pour l’agence Dare.Win.
Mais dans le cas précis de ces énigmes, il y a quand même un bonus: "Que ce soit sur Facebook ou YouTube, les gens vont vouloir répondre dans les commentaires, pour donner leur réponse ou pour demander la solution. Une conversation va se créer et c'est ce qui engendre la viralité".
Des usines à contenus... qui génèrent des revenus
La recette s’est d’ailleurs adaptée aux usages, puisque ces contenus s’échangeaient déjà énormément à l’époque des chaînes de mails au début d’Internet. Le concept s’est juste industrialisé. "Sur YouTube, en faisant une recherche très rapide, certaines pages peuvent parfois atteindre un million de vues. Ça peut venir d’usines à contenus comme certaines entreprises russes ou chinoises savent en créer, et ça crée de la monétisation. Sur Facebook, cela va attirer du monde, et éventuellement donner l’exposition pour les autres contenus de la page ou du groupe", reprend Pierre Bourdin-Sauviac. Pour lui, ces énigmes ont aussi l'avantage d’avoir "une apparence un peu plus intellectuelle et d'aller chercher une population un peu plus âgée".
Ces énigmes reviennent régulièrement sur des pages Facebook spécialisées dans les contenus "snackables". "Ce sont des pages pause-café", explique Pierre Bourdin-Sauviac. "On y consomme très rapidement et très facilement ce qu'on y trouve, comme Gentiside. Ces énigmes peuvent aussi être reprises par des gens lambda qui gèrent des groupes sur Facebook, puisque ce sont des contenus faciles à voler. Mais c'est un peu artificiel parce qu'on ne va pas s’abonner à cette page-là, ça ne crée pas une fidélisation".
Les énigmes visent "les gens qui n'aiment pas les maths"
Le recours à ces énigmes souligne toutefois un vrai appétit: et si c’était le signe que la majorité des internautes étaient finalement passionnés par les maths? En tout cas, "c’est toujours une entrée, car ce qui compte c’est d’intéresser différemment. Les énigmes, ça accroche, et c’est une dimension de la culture mathématique. Et plus on la partage avec du monde, mieux c’est", se réjouit Nicolas Pelay. Ce docteur en didactique des maths est aussi le président de "Plaisir Maths", une association qui regroupe des enseignants et des chercheurs ayant pour but de "faire découvrir, apprendre et approfondir les mathématiques avec plaisir".
Selon le chercheur, ces énigmes visent "les gens qui n’aiment pas les maths, qui peuvent être bloqués". "Ça peut être une première approche: on est au niveau des maths grand public, mais ces énigmes-là participent au fait de faire comprendre que les maths sont accessibles à tous. C’est un vrai ressort ludique. Tout ce qui permet de montrer le côté un peu sympa des maths, je trouve ça positif. Même si c’est un peu naïf parfois, on peut toujours bouger le curseur et la rendre plus difficile. L’être humain est un peu programmé pour se poser des questions et résoudre des petits défis".
Ce genre en tant que tel est d’ailleurs bien plus vieux qu’Internet lui-même. Qui ne s'est pas arraché les cheveux, enfant, sur l'énigme du loup, de la chèvre et des choux? Qui ne s'est jamais passionné pour l'épreuve des bâtonnets dans Fort Boyard? En 1694 déjà, le mathématicien français Jacques Ozanam publiait ses Récréations mathématiques et physiques, qui proposaient une approche ludique des mathématiques sous forme de défis intellectuels.
"On a célébré le 3 avril dernier les 300 ans de sa mort, c’est un personnage qu’on essaie de faire connaître", reprend Nicolas Pelay. "La récréation mathématique, c’était comme ça que se stimulaient les chercheurs. Ils posaient des énigmes, et en réfléchissant au 'comment', ils ont développé des théories".
En fouillant dans les commentaires de la dernière énigme mathématique apparue dans votre fil Facebook, vous croiserez donc peut-être une future médaille Fields.