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Facebook peut-il disparaître de nos vies?

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Confronté au scandale Cambridge Analytica, Facebook se retrouve une fois de plus dans la tourmente. Au point d’imaginer la fin du réseau social de Mark Zuckerberg?

Et si c’était le début de la fin? Facebook, le géant aux deux milliards d’utilisateurs, est depuis quelques jours au cœur d'un scandale planétaire. La société britannique Cambridge Analytica aurait détourné les données de 50 millions d’utilisateurs du réseau social, afin d’élaborer un logiciel permettant de prédire et d’influencer les électeurs lors des derniers élections présidentielles américaines. Mark Zuckerberg s’est déclaré "vraiment désolé" pour "cet abus de confiance majeur", ajoutant que sa société avait "la responsabilité fondamentale de protéger les données personnelles".

Ce nouveau scandale touchant Facebook est-il de nature à remettre en cause son existence même? La question n’est pas si folle. Dans la foulée de l’affaire Cambridge Analytica, Brian Acton, cofondateur de WhatsApp, a appelé les internautes à déserter Facebook dans un message posté sur Twitter: "It’s time. #deletefacebook". "Je ne pense pas que nous ayons vu un nombre significatif de personnes agir en réaction à ça, mais ce n’est pas bon", a commenté Zuckerberg dans une interview au New York Times. "Je pense que c’est un signal clair qu’il y a un problème de confiance majeur pour les gens, et je comprends ça. Que les gens suppriment leur appli ou ne se sentent juste pas à l’aise en utilisant Facebook, c’est un gros problème que nous avons la responsabilité de rectifier".

"Pour toute une génération, Facebook fait encore partie du quotidien"

On imagine mal Facebook perdre ses deux milliards d’utilisateurs du jour au lendemain dans la foulée du scandale. Mais la tendance n’est clairement pas à l’optimisme. Début février, le cabinet eMarketer révélait que 68,5% des 12-17 ans américains étaient inscrits sur le réseau social, contre 90% quatre ans plus tôt. Sur l’année 2017, il a même perdu des abonnés pour la première fois de son histoire aux Etats-Unis (184 millions contre 185 millions). Chez les jeunes, la tendance est la même en France: d’après une étude de Médiamétrie publiée en février, les 15-24 ans passent désormais plus de temps sur Snapchat (12 minutes) que sur Facebook (9 minutes).

De là à en prévoir la fin du colosse de Menlo Park, il y a encore un pas voire quelques-uns, relativise Yannick Châtelain, spécialiste des réseaux sociaux et enseignant-chercheur à l’école de commerce de Grenoble: "Je crois que les désabonnements se feront à la marge. Pour toute une génération, Facebook fait encore partie du quotidien". Mais selon lui, les scandales sur la sécurité et la collecte des données des utilisateurs pourraient tout de même se révéler négatifs à moyen terme.

"Si on se reparle dans 100 ans, il n’y aura plus de Facebook. Est-ce que les gens de notre génération qui ont essuyé les affres des réseaux sociaux exposeront leurs enfants à Facebook? Vous avez beaucoup d’anciens de la Silicon Valley qui interdisent absolument à leurs enfants l’usage des outils qu’ils ont créés. La génération qui arrive sera peut être beaucoup plus au fait de l’importance de la vie privée", espère Yannick Châtelain.

"Dans les pays occidentaux, oui, les gens vont quitter Facebook un jour ou l’autre"

"Si on raisonne à l’échelle mondiale je ne pense pas", temporise Thomas Fauré. Le fondateur et PDG de Whaller, une société française de réseaux sociaux, fait remarquer que Facebook "fait toute sa croissance dans les pays émergents". "Dans les pays occidentaux, oui, je pense que les gens vont quitter Facebook un jour ou l’autre", reprend-il. "Et ces affaires accélèrent le processus. Si ça ne va pas toucher tout le monde tout de suite, ça finira bien par arriver. Il ne faut pas prendre les gens pour des cons".

Un constat que relativise Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences-Po et fondateur de Yogosha, société spécialisée dans la cybersécurité.

"Le problème de fond, c’est qu’on a vu apparaître depuis 10 ou 15 ans une nouvelle forme de capitalisme qui est basé sur la surveillance. Les jeunes ne vont plus sur Facebook? Ils vont sur Snapchat ou Instagram. C’est la même chose: des sociétés qui offrent un service gratuit en contrepartie d’un ciblage accru". Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Facebook a racheté WhatsApp ou Instagram.

"Les puissances politiques qui vont finir par réagir" 

Mais la situation "n’est pas désespérée", assure Fabrice Epelboin. Pour appuyer sa démonstration, il cite… la cocaïne. "Au début du 20e siècle, on en achetait en libre-service dans les pharmacies. Jusqu’au moment où on s’est aperçu que c’était extrêmement dangereux et on a arrêté. Mais je ne pense pas qu’on soit à ce stade avec Facebook, dont le but est de créer une dépendance à travers des mécanismes de dopamine, au même titre que la drogue".

Plus que les usages de ses abonnés, c’est le politique qui finira peut-être par rattraper Facebook, dont le fondateur pourrait devoir s’expliquer devant le Parlement européen, une commission d’enquête britannique et peut-être même le Congrès américain. "Il y a des puissances politiques qui vont finir à un moment ou à un autre par réagir face à une entreprise qui a quand même pris la dimension d’un Etat. Et l’hypothèse politique qui permettrait de sortir de Facebook, c’est un démantèlement, à l’image des lois anti-trust de la fin du 19e siècle dans le secteur du pétrole aux Etats-Unis. Un Donald Trump serait bien capable de faire ça", conclut Thomas Fauré.

Antoine Maes