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Société

La popularité sans fin de Jacques Chirac, de "serre-louche" à "grand-père de la nation"

Une exposition au musée Jacques Chirac de Sarran, en 2016.

Une exposition au musée Jacques Chirac de Sarran, en 2016. - MEHDI FEDOUACH / AFP

Alors que la ville de Brive, en Corrèze, inaugure ce vendredi une avenue Jacques et Bernadette Chirac, la popularité de l’ancien président de la République est toujours intacte.

Au revoir l’avenue Kennedy. Place à l’avenue Jacques et Bernadette Chirac. Ce vendredi, la ville de Brive s’apprête à inaugurer une nouvelle artère, qui portera donc le nom de l’ancien président de la République et de son épouse. A 85 ans, malade et diminué, Jacques Chirac ne devrait pas assister à la cérémonie. Mais sa côte d’amour chez les Français reste grande. En 2015, ils l’avaient jugé comme "le président le plus sympathique de la 5e République" (33%), loin devant François Mitterrand (21%) et le général De Gaulle (17%). En décembre dernier, il se classait encore 40e au classement des personnalités préférées des Français, entre Alain Souchon et Josianne Balasko. Un exploit, alors qu’on ne le voit plus nulle part depuis plusieurs années.

Ces chiffres l’auraient d’ailleurs sans doute fait rêver quand il était encore au pouvoir. "En France, on adore les hommes politiques qui n’en sont plus. C’est une nostalgie qu’ont connue tous les présidents qui ont renoncé définitivement à faire de la politique", remarque Christian Delporte, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles et spécialiste d’histoire politique.

"Sa longévité explique aussi cette marque dans l’opinion publique: il commence en 1967, et il quitte l’Elysée en 2007, remarque Béatrice Gurrey, grand reporter au Monde et auteur de Les Chirac, les secrets du clan (éd. Robert Laffont). Sans jamais avoir quitté d’une façon ou d’une autre le pouvoir. Cette impression dans la durée est tout à fait exceptionnelle, il a eu le temps de labourer le terrain. Il y a plusieurs générations de Français qui sont marquées par Jacques Chirac".

"Il est devenu iconique"

La tendresse pour l’ancien maire de Paris ne se limite en effet pas à ceux qui l’ont connu dans l’exercice de ses fonctions. Même les plus jeunes peuvent se montrer sensibles à ses charmes, au point de porter des t-shirts à son effigie. Après avoir créée avec un copain le Tumblr FuckYeahJacques Chirac en 2011, Mathieu inonde désormais Instagram et Facebook de clichés vintages de l’ancien locataire de l’Elysée. "La moyenne d’âge des gens sur nos réseaux sociaux tourne autour de 25 ans, explique-t-il. On poste des photos des années 70, 80. Les gens postent des commentaires en disant "ah ouais, ça c’était un président". Sauf qu’à l’époque il ne l’était pas! Mais on ne pourrait pas mettre d’autre président français sur un t-shirt. C’est le style proche des gens mais qui porte des costards sur-mesure, ce côté franchouillard mais qui prend des jets privés. C’est ça qui le rend cool".

Des clichés de Jacques Chirac, Eric Lefeuvre en a pris des milliers, lui qui l’a suivi dès les élections municipales de 1989. Comment expliquer ce qu’il appelle une "chiracmania"? "Son âge fait aussi que c’est un peu le grand-père de la nation, explique l’auteur de Jacques Chirac. Coulisses d’un destin (éd. La Martinière). Mais il faut désirer très fort cette Marianne et ce peuple pour que celui-ci se dise 's’il veut de moi, je veux bien de lui aussi'. Il a pas mal donné, et les Français le lui rendent bien. Par exemple, il avait un besoin de contact physique: il nous faisait traverser des foules dans des meetings, qu’il terminait presque les mains dans la glace parce qu’elles étaient broyées. Et il est devenu iconique. Un jour je lui ai raconté que mon fils avait un t-shirt de lui avec la clope au bec, et ça l’a fait marrer".

"Il y a une tendance à pardonner, à oublier"

Aujourd’hui, même ceux qui ont pu détester Jacques Chirac quand il était aux commandes ou lorsqu’il traversait les affaires judiciaires ont développé une sorte de mémoire sélective. "Il y a une tendance à pardonner, à oublier, confirme Christian Delporte. Il y a toujours la nostalgie du 'avant c’était mieux'. Chirac symbolise les années 90, notre jeunesse en quelque sorte. Une époque où la vie était moins dure. Cela correspond d’une manière générale aux nostalgies qu’on peut avoir en matière de musique". Selon Béatrice Gurrey, il y a tout de même quelques actes qui restent gravés dans la mémoire collective.

"Il est quand même celui qui a dit 'non' à la guerre d’Irak, celui dont la scène avec le service d’ordre israélien restera dans l’Histoire. Il a parfois une petitesse de filou, mais par certains actes il a une certaine grandeur".

Evidemment, il y a aussi ce don pour le contact humain, cette impression qu’on pourrait très bien l’inviter chez soi à prendre l’apéro. "C’est un président très français, il a cette réputation de séducteur, il aime la bonne chère, il coche les cases du stéréotype français, reprend Béatrice Gurrey. Mais en politique, il y a ce qu’on appelle le charisme. Pour Chirac, c’est en partie dû à son physique. Mais ça se travaille aussi. Les Chirac ont toujours travaillé de façon méthodique ce contact. Ils ont fait faire des milliers de photos qu’ils renvoyaient dédicacées. Quand les gens faisaient des dons pour le RPR ou l’UMP, ils renvoyaient leur photo avec un petit mot. Ils passaient beaucoup de temps à soigner la communication".

"Avec l’affaire Balladur, il est abandonné de tous, et en France, on adore les gens abandonnés de tous"

D’autant que ce combat-là n’était pas gagné d’avance. Il a fallu quelques coups de pouce avant que celui que certains de ses amis en politique surnommaient "Serre-la-louche" ne finisse par n’attirer que de la sympathie.

"Avant 1993, c’est un ambitieux qui veut tout écraser, qui n’a qu’une ambition c’est l’Elysée, et qui est capable de tout sacrifier pour y arriver, rembobine Christian Delporte. Et puis il y a l’affaire Balladur. Il est abandonné de tous, et en France, on adore les gens abandonnés de tous. Lorsque Chirac est seul, son image se reconstruit et il devient sympathique. Mais il ne l’était pas avant, il faut bien le comprendre".

Pour Béatrice Gurrey, "la vie d’un homme c’est un tout, et je pense que ce qui l’emporte dans la balance, c’est plutôt cette personnalité hors du commun et cette vie assez romanesque. Mais le fait que cette avenue soit baptisée Jacques ET Bernadette Chirac, ça dit beaucoup de choses. C’est un couple politique tout à fait exceptionnel". Un couple qui a traversé des tempêtes politiques ou judiciaires qui semblent s’effacer avec le temps dans l’esprit de l’opinion publique. "On oublie toujours tout ça, et on ne retient que ce qui était bien, assure Christian Delporte. Mais on ne retient pas tellement ce qu’il a fait. On retient une certaine image. Cela peut être une image de grandeur pour De Gaulle ou pour Mitterrand. Cela peut être une image de proximité pour Chirac, et peut être pour Hollande dans pas longtemps".

Antoine Maes