GRAND ANGLE - Laura, neuf mois au coeur de Daesh

Il y encore 18 mois, Laura était entièrement vêtue de noir. Cette jeune femme belge de 31 ans a passé neuf mois au coeur de Daesh, avec son fils de 4 ans. Désormais, elle accepte de montrer son visage, ses cheveux, et veut raconter son histoire. Un témoignage rare et exceptionnel.
L'expérience la hante encore, même si elle est rentrée depuis des mois de ce pays ravagé par la guerre comme elle le raconte dans Au coeur de Daesh avec mon fils, écrit avec Catherine Lorsignol aux éditions Boîte à Pandore.
"Quand on rentre, on est encore très... On va dire 'dedans', parce que c’est très dur de revenir à une vie normale. C’est très dur quand on revient", nous raconte-t-elle en marge d’une conférence de presse organisée par son éditeur à Bruxelles.
Seule repentie à accepter de témoigner à visage découvert
Elle est la seule repentie de Daesh qui accepte de parler à visage découvert. Après avoir vu l'horreur, elle veut dire aux jihadistes qu'elle désapprouve leurs actions.
"J’assume mes responsabilités. J’assume les erreurs que j’ai faites", explique-t-elle face à la presse, lors de la présentation d'Au coeur de Daesh avec mon fils, le livre qu'elle a écrit avec une journaliste. "De plus je n’ai pas peur d’eux. C’est vraiment pour leur dire, je n’ai pas peur et je dénonce ce que vous faites."
Son histoire est celle d’une jeune fille issue d’une famille catholique, d’origine italienne, de Charleroi en Belgique. Une enfance paisible, des parents aimants. A 16 ans, une amie très proche lui fait découvrir l’islam. Elle se convertit. A sa majorité, elle tombe amoureuse et devient mère à 20 ans. Son mari la quitte, un abandon qui va la fragiliser.
"Les recruteurs nous vendent du rêve"
Pourquoi part-elle, alors qu’elle semble avoir tout pour être heureuse? "J’ai tout, mais je n'ai rien", nous confie Laura. "Oui, j’ai le matériel. J’ai une maison, j’ai un travail. Mais je n’ai pas de papa pour mon fils, je suis toute seule. Mon rêve, c’était une famille unie. J’étais très dépressive. Ça m’a vraiment achevée cette déception amoureuse, ça m’a fait chavirer."
Laura se réfugie dans la religion. Elle consulte des sites, veut en apprendre plus sur l’islam. Elle finit par tomber sur un recruteur qui va la persuader que sa vie n’est pas ici parmi les mécréants. "Tu arriveras pas à faire ta religion" en Belgique, lui dit-il. En Syrie, "tu seras infirmière. Ton enfant il va bien apprendre l’islam", lui promet-il.
"Ils appuient vraiment sur les faiblesses, en disant, ‘nous on est là, on est ta famille, on est là pour toi’. On nous vend du rêve. Les recruteurs nous disent exactement ce qu’on aime entendre", analyse-t-elle.
Départ en Syrie en juin 2014, avec son fils
Laura veut rejoindre le Shâm, la terre sainte de l’islam. Refaire sa vie dans le sentier d’Allah. Sur Facebook, elle rencontre Oussama. Ils partagent le même projet. Ils se marient dans le plus grand secret. Ils décident de partir en Syrie avec le petit garçon de Laura, âgé de 4 ans.
"C’est vrai que j’ai fait une grosse erreur de l’avoir pris", estime-t-elle aujourd'hui. "Tout le monde me dit, 'tu as mis en danger ton enfant'. Moi je n'ai pas eu ce sentiment là, de le mettre en danger. Je me suis dit qu’il allait avoir une vie normale. Une vie comme ici, mais là-bas, avec plus de religion et qu’on respecte mieux."
Le grand départ a lieu le 14 juin 2014. Tous trois quittent la Belgique en voiture pour Paris. Puis prennent un train pour Venise où ils embarquent sur un bateau de croisière pour la Turquie, car "il y a beaucoup de gens qui se font arrêter à l’aéroport". Ils descendent à l’escale d’Izmir et ne remontent pas sur le bateau. Ils vont ensuite parcourir plus de 1.000 km à travers la Turquie, en taxi, en bus, puis à pied, avec des passeurs qui les amènent en Syrie. Direction Raqqa, le fief de Daesh.
"J’ouvre très vite les yeux"
A leur arrivée, Laura et Oussama sont séparés. Lui est envoyé à l’entraînement, elle se retrouve dans une maison réservée aux femmes et aux enfants. Comme les autres femmes de Daesh, elle porte le sitar, un vêtement qui ne laisse rien apparaître, ni ses yeux ni ses mains. La vie est aussi rythmée par les bombes qui tombent sur Raqqa.
"Très vite, je vois. Les maisons de femmes. La séparation avec mon homme, ce qu’on ne m’avait pas dit. Les bombardements qui arrivent… J’ouvre très vite les yeux et je veux vite partir", se souvient Laura.
Son fils est très rapidement embrigadé. On lui apprend à aimer les armes. Laura comprend qu’il est appelé à devenir ce que Daesh appelle "un lionceau du califat".
"Je ne voulais pas qu’il soit comme eux", dit-elle. "Je ne voulais pas qu’il soit un terroriste. Je ne voulais pas le perdre. C’est vrai qu’il est très petit, mais on nous dit directement ‘à 12 ans il sera au combat’. Combat, ça veut tout dire. Ça veut peut être dire combattre, faire un attentat-suicide. C’est ça qu’ils veulent. A 12 ans, c’est encore mon bébé, quoi. C’est encore mon petit garçon et je ne voulais pas qu’il fasse ça. C’était inadmissible pour moi. Je ne voulais pas qu’il soit comme eux en fait. Quand je voyais un enfant plus grand, de 10-11 ans, je voyais la haine dans ses yeux et je me disais, 'mon bébé, il est pas comme ça."
Condamnée à son retour en Belgique
Laura attend aussi un autre enfant. Enceinte de huit mois, elle réussit à convaincre son mari de fuir. Un voyage très risqué. Ils parviennent à rejoindre la frontière turque. Les parents de Laura l’attendent de l’autre côté.
En Belgique, Oussama a été condamné à cinq ans de prison. Il est incarcéré. Laura a elle écopé de trois ans avec sursis. Elle est sous contrôle judiciaire et n’a pas le droit de quitter la Belgique. Elle sait que certains peuvent la voir comme une terroriste, mais elle s’en défend.
"Je n’ai jamais pensé à tuer des innocents. Pour moi il n’y a que Dieu qui peut ôter la vie (...). C’est pour ça qu’à l’heure actuelle je dénonce", fait-elle valoir.
"Je me suis fait embrigader. J’aurais dû m’informer davantage et ne pas partir", ajoute-t-elle, venue raconter son histoire dans un lycée de Charleroi. Le plus important pour elle est maintenant de témoigner pour dissuader d’autres jeunes de partir. Laura dit que si elle peut empêcher rien qu’un nouveau départ, ce sera une grande victoire.
