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Comment lutter contre les violences sexuelles à l'université? L'exemple des États-Unis

Des étudiants lors de la cérémonie de remise des diplômes à l'université Columbia à New York (États-Unis), le 18 mai 2016.

Des étudiants lors de la cérémonie de remise des diplômes à l'université Columbia à New York (États-Unis), le 18 mai 2016. - TIMOTHY A. CLARY / AFP

Les universités américaines ont l'obligation de lutter contre les violences sexuelles. Des outils ont été mis en place, avec plus ou moins d'efficacité.

Dans le sillage de l'affaire Olivier Duhamel, qui a quitté Sciences Po Paris après avoir été visé par des accusations d'inceste, les témoignages se multiplient pour dénoncer les agressions sexuelles et viols commis dans les instituts d'études politiques. Si en France, le sujet a longtemps été tabou et que la parole des victimes émerge tout juste, aux États-Unis, la question n'est pas nouvelle.

Une loi cruciale de 1972

Depuis 1972, une loi fédérale américaine - intitulée "Title IX" - interdit toute forme de discrimination sur la base du genre dans les établissements subventionnés par des fonds fédéraux. Et engage, dans le cas contraire, la responsabilité de l'établissement. Selon les universités et leurs moyens, cet amendement a ainsi permis la création d'un bureau ou d'un référent dit "Title IX".

À l'origine, l'objectif était principalement d'assurer un traitement équitable entre les équipes sportives féminines et masculines, mais ses missions sont désormais beaucoup plus larges.

"Cela peut prendre la forme d'une structure dédiée, a minima un coordinateur, qui a pour vocation de s'occuper de ces questions, dont celle du harcèlement et des violences sexuelles", explique à BFMTV.com Esther Cyna, doctorante à l'université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et Columbia University, spécialiste de l'histoire de l'éducation aux États-Unis.

Les outils diffèrent ainsi d'une université à l'autre. Ligne d'écoute téléphonique, formulaire en ligne pour dénoncer une agression, formation du personnel, patrouilles de sécurité ou encore cours d'auto-défense pour les filles et programme obligatoire sur le consentement dans les relations amoureuses et sexuelles pour tous les nouveaux étudiants, les dispositifs sont variés.

Des campus gigantesques

Car aux États-Unis, le contexte est bien différent de celui de la France. Les campus universitaires sont souvent très grands et comprennent à la fois l'endroit où les cours se tiennent mais aussi les lieux de vie, de socialisation et de toutes les activités sportives ou de loisirs des étudiantes et étudiants.

"Je me souviens que quand je suis arrivée à l'université Columbia, à New York, plusieurs personnes venaient d'être spécialement embauchées pour travailler à plein temps sur ces questions et un programme spécifique avait été mis en place", raconte encore Esther Cyna.

Dans cette université, les dispositifs sont en effet nombreux. Un site internet dédié a été mis en place tout comme un formulaire en ligne pour rapporter les incidents, une ligne téléphonique est ouverte 7/7 et 24h/24, des ateliers sont régulièrement organisés, un système de soutien bénévole entre étudiants est proposé, un partenariat a été mis en place avec les commerces voisins afin de servir de refuges aux victimes et ces dernières peuvent également bénéficier de l'aide et de l'accompagnement de conseillers et psychologues.

Un matelas pour dénoncer les viols

À l'origine de ce programme ambitieux, une affaire retentissante qui avait fait beaucoup de bruit. Emma Sulkowicz, une étudiante en art victime de viol, avait dénoncé la position de cette université qui refusait d'exclure son agresseur présumé. Pour cela, elle ne se déplaçait plus qu'avec son matelas, une performance qui avait d'ailleurs fait l'objet de son travail de fin d'études - elle l'avait même apporté à sa remise de diplôme. Dans la foulée, 23 étudiantes avaient engagé des poursuites contre l'université, l'accusant de n'avoir rien fait pour lutter contre les agressions sexuelles.

Emma Sulkowicz à New York le 5 septembre 2014
Emma Sulkowicz à New York le 5 septembre 2014 © Andrew Burton-Getty Images North America
"Même si cette loi est ancienne, cela ne signifie pas pour autant que les problèmes sont réglés", poursuit Esther Cyna. "Depuis les années 1990, il y a régulièrement des scandales de cet ordre."

Comme en France, certains établissements ont ainsi été mis en cause. Une université texane a notamment été accusée d'avoir tenté d'étouffer plusieurs affaires d'agressions sexuelles impliquant des joueurs de son équipe de football américain en faisant pression sur les victimes pour qu'elles se taisent, relatait Le Monde en 2016. En 2014, quelque 85 universités avaient été visées par des enquêtes fédérales pour leur attitude dans ce genre d'affaires, comme le rapportait le Huffpost.

Un service modèle d'aide aux victimes

Ce que pointe également Soukayna Mniai, doctorante à l'université Paris-Nanterre, spécialisée dans la question des violences sexuelles au sein des universités américaines.

"Les bureaux 'Title IX' ont ouvert dès la fin des années 1980", détaille-t-elle pour BFMTV.com. "Certains États, comme la Californie, ont très vite été en pointe sur le sujet. Mais ça a souvent été à la suite d'affaires et de jurisprudences que 'Title IX' a été invoqué pour mettre en place des dispositifs."

Avec, dans le meilleur des cas, un service d'aide - psychologique comme juridique - pour accompagner les victimes dans leurs démarches, qu'il s'agisse de trouver un nouveau logement pour ne pas résider à proximité de son agresseur ou d'un aménagement de cours pour ne plus le croiser au quotidien.

"Le bureau 'Title IX' peut également traiter les cas disciplinaires avec toute une échelle de sanctions et peut décider d'exclure l'agresseur, temporairement ou définitivement. Mais l'étudiant sanctionné peut ensuite se retourner en justice contre l'établissement, ce sont des choses qui se sont déjà produites. Et cela peut coûter très cher à l'université."

Les choses se sont accéléré lors de l'arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. Dans un courrier à destination des établissements, son administration les exhortait à prendre des mesures immédiates contre les violences sexuelles au risque de voir leurs subventions fédérales réduites. Donnant un coup d'accélérateur aux dispositifs "Title IX", notamment dans le cadre disciplinaire avec une procédure d'enquête simplifiée sur les abus sexuels. Mais à l'arrivée de son successeur Donald Trump, certaines de ces directives ont été en partie annulées.

"Si les universités américaines sont souvent citées en exemple quant aux dispositifs d'aide aux victimes, chose qu'on ne fait pas encore suffisamment bien en France, elles ne traitent toujours pas les causes des violences, déplore Soukayna Mniai. Elles sont toujours identifiées à un manque de sécurité. On met au point des chartes anti-alcool ou des programmes pour que les filles aient davantage confiance en elles et apprennent à dire non. Mais on le voit bien, la présence de patrouilles ou de caméras de vidéosurveillances n'empêchent pas les agressions."

Selon une étude publiée en 2019 par l'Association des universités américaines, une étudiante sur quatre a été agressée sexuellement au cours de sa scolarité. Et moins d'un tiers d'entre elles ont signalé ces violences.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV