Bac L 2015: les corrigés des sujets de philo

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Les candidats de la série littéraire (L) ont cette année planché pendant 4 heures sur l'épreuve la plus importante de leurs examens, pour un coefficient 8. Ils ont ainsi dû traiter les thèmes du vivant et la moralité, du passé. Les candidats ont eu le choix entre les sujets suivants:
Sujet 1: Respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral?
Sujet 2: Suis-je ce que mon passé a fait de moi?
Sujet 3: Expliquer un texte de Tocqueville De la Démocratie en Amérique de 1840.
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Respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral?
Ce premier sujet de dissertation exige d’analyser au moins trois notions: Qu’est-ce que respecter? Distinguer la protection, le soin du respect moral proprement dit. Qu’est-ce qu’un "être vivant": au delà de l’animal, ce sont les propriétés générales de la vie, capable de croître, de se reproduire, et de s’orienter vers une fin (à moins que la vie ne puisse être réduite à un simple mécanisme) qui sont interrogées: qu’est-ce qui, dans les caractères de la vie, peut fonder une exigence morale, c’est-à-dire un devoir-être?
Qu’est-ce qu’un devoir moral? Le sujet semble supposer qu’on doive le distinguer d’un devoir social, c’est-à-dire extérieur. Les exigences sociales pourraient nous conduire à respecter tous les êtres vivants, pour protéger la planète, nos conditions de vie, etc. Mais parler de devoir moral, c’est dire que l’obligation se fonde sur la conscience d’un être moral, d’un être libre. D’un autre côté, le devoir, en tant qu’il impose justement une loi (tu ne tueras pas) peut-il seulement se fonder sur la conscience, la raison pratique dirait Kant, qui s’élève à l’universel?
Ou bien le devoir a-t-il aussi un autre fondement, au-delà de l’homme, précisément dans la vie en tant qu’elle porte une signification et déjà les prémisses de la liberté? Voici une possibilité de plan:
I - Il faut respecter tout être vivant, au sens où il faut en prendre soin, car la vie est à la fois fragile et précieuse.
II - Le devoir moral ne peut se fonder que sur une conscience libre, l’homme est la source et la fin de tout devoir. Le devoir est l’exigence d’un devoir-être qui prend la forme d’une loi, mais une loi qui s’adresse à une liberté, sans quoi elle ne serait qu’une loi physique. Les plantes et les animaux sont soumis aux lois physiques, seuls les hommes se soumettent par eux-mêmes à des lois morales, sont capables d’autonomie. Ici la référence à E. Kant sera éclairante.
III - Pourtant, il est difficile de se donner une loi à soi même sans en repousser toujours les limites ; ne faut-il pas que l’homme reconnaisse que la loi morale plonge ses racines au-delà de sa propre conscience, non dans les êtres vivants particuliers, mais dans la vie en général, en tant qu’elle porte une signification? Mais quelle est la signification de la vie?
Suis-je ce que mon passé a fait de moi?
Après avoir écarté le hors sujet qui consisterait à interpréter le passé uniquement comme "l’Histoire", il convient de repérer dans le sujet une opposition entre d’un côté le "Je" et de l’autre le "moi". Au cœur du sujet, le terme de "passé" est donc ambigu, signifiant ce qui m’arrive malgré moi, que j’enregistre passivement et que je porte alors tout au long de mon existence, mais signifiant aussi mon histoire c’est-à-dire la manière dont je me réapproprie ce passé, le fait mien, m’y reconnaît.
L’enjeu du sujet est donc la liberté de la personne en tant qu’elle existe dans le temps: le temps est-il ce qui me détermine, ou ce qui me permet de me libérer? Possibilité de plan:
I - Mon existence est déterminée par les événements qui m’arrivent, qui pèsent d’autant plus que je les retiens par la mémoire
II - Comme être libre, intérieurement, l’homme est capable de se représenter le monde, de mettre à distance son passé. Le temps même n’est peut-être qu’une forme de pensée. Ici la référence au Stoïcisme ou à la « conscience transcendantale » de Kant peut être éclairante
III - Pourtant, il faut reconnaître une dépendance du sujet à l’égard du temps, et donc de son passé, dont il peut se libérer peu à peu (mais non absolument) en le racontant. Tel est l’enjeu d’une existence libre: se reconnaître même dans ce qui la limite, la détermine.
Explication de texte de Tocqueville, "De la Démocratie en Amérique" de 1840
- Rappelons que l’explication de texte doit permettre de rendre compte du problème posé par l’auteur, c’est-à-dire: formuler sa thèse (qui n’est pas seulement une phrase du texte, mais résume l’ensemble et l’essentiel), et de là remonter aux difficultés : pourquoi l’auteur a-t-il voulu exprimer cette thèse?
Enfin, l’explication montre comment la thèse, malgré les interrogation qu’elle soulève, est justifiée par un raisonnement, c’est le plan du texte. La thèse de Tocqueville ici est la suivante: non seulement il est inévitable que les hommes aient des croyances dogmatiques, c’est-à-dire des idées auxquelles ils s’attachent fermement alors même que les justifications manquent, mais elles sont indispensables à la cohésion sociale aussi bien qu’à la conduite personnelle de la vie parce qu’elles sont indispensables à l’action.
Il fallait poser le problème de la façon suivante: si les croyances communes permettent de relier les hommes, d’unifier leurs idées et leurs actions, elles ne sont pourtant que des croyances, alors qu’une vie consciente et libre suppose de prendre ses distances avec les idées toutes faites: la raison n’exige-t-elle pas d’interroger les croyances, de les mettre à distance, voire de les remplacer par des connaissances?
Admettre que les croyances aient une telle importance, n’est-ce pas faire le lit de l’opinion, maintenir les hommes dans l’ignorance et les conséquences de l’ignorance: l’injustice, la violence que dénonçait déjà Socrate?