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Bac: quel niveau pour l'épreuve de philosophie?

L'épreuve du bac de philosophie au lycée Hélène Boucher à Paris, le 17 juin 2021

L'épreuve du bac de philosophie au lycée Hélène Boucher à Paris, le 17 juin 2021 - MARTIN BUREAU © 2019 AFP

Nombre de pages, niveau, références ou copie sabotée: plusieurs enseignants dressent un bilan de l'épreuve de philosophie alors qu'ils sont en train de corriger les copies.

Tous les ans, c'est la hantise des candidats au baccalauréat. La philosophie, l'épreuve reine, mythique et redoutée des lycéens et seule épreuve écrite maintenue cette année en raison du contexte sanitaire. Pour le bac 2021, les 525.000 élèves de terminale avaient un peu plus de choix que d'habitude pour plancher, ajustement accordé en raison du calendrier bouleversé par la pandémie de Covid-19. Dans le détail, trois sujets de dissertation au lieu de deux - dont "discuter, est-ce renoncer à la violence?", "l'inconscient échappe-t-il à toute forme de connaissance?" ou "sommes-nous responsables de l'avenir?" pour la voie générale - ainsi qu'un commentaire de texte.

Autre aménagement proposé par le ministère de l'Éducation nationale du fait d'une année scolaire marquée par l'enseignement à distance: seule la meilleure note, entre celle de l'épreuve finale et celle du contrôle continu, sera conservée. Ce qui a permis aux candidats d'aborder l'épreuve avec beaucoup de moins de stress, et pour certains d'entre eux, à quitter la salle au bout d'une heure, durée minimale de présence obligatoire sur les quatre heures prévues.

"On a fait semblant de travailler", confiait à BFMTV l'une de ces lycéennes, sortie de l'épreuve une heure après le début. Un autre racontait ne pas avoir fourni beaucoup d'efforts - "j'ai écrit un petit truc" - assuré de son 14/20 obtenu au contrôle continu.

Un faux sérieux qui "fait mal au cœur"

Le faible enjeu cette année de l'épreuve de philosophie se fait-il ressentir dans les copies? "Nettement", constate pour BFMTV.com le professeur de philosophie Nicolas Franck, également président de l'Association des professeurs de philosophie. Selon lui, beaucoup de ses 106 copies sont "complètement creuses".

"Ce ne sont pas forcément des copies courtes même si c'est vrai qu'il y en a plus que d'habitude. Mais on sent que l'élève a composé sans plan, au fil de la plume, qu'il n'a pas fait d'efforts. Ça ne donne rien."

Ce professeur s'attendait à des blagues, "des petits coups d'éclat" de la part de candidats jouant la carte de la désinvolture ou prenant leur revanche. "Même pas", poursuit Nicolas Franck. "Les lycéens ont rédigé avec un faux sérieux, ils y allaient sans avoir besoin d'y aller." Le plus difficile pour cet enseignant: les copies qui démarrent bien, avec une introduction, une première partie ou un développement, puis qui tombe à plat.

"On sent que l'élève se décourage, on le voit dans l'écriture, comme si ça ne valait plus le coup. J'ai un candidat qui a écrit 'je ne vois plus comment faire'. D'habitude, c'est justement à ce moment-là qu'il cherche, que ça devient intéressant, qu'il se met à réfléchir et qu'il se dépasse. C'est triste, on sent que ce sont pourtant des élèves qui ont travaillé en cours. Ça fait mal au cœur."

Nicolas Franck évoque encore le cas d'un de ses très bons élèves, assuré de décrocher le bac mention très bien. Ce dernier faisait de l'épreuve de philosophie une affaire d'honneur, une question de principe que d'y décrocher une bonne note. L'enseignant a retrouvé le jeune homme dehors, une heure quarante-cinq minutes après le début de l'épreuve.

"J'étais en colère, je lui ai demandé pourquoi il avait abandonné. Il m'a répondu: 'ce n'est pas moi qui ai abandonné l'épreuve, c'est l'épreuve qui m'a abandonné'."

D'autres pointent les perturbations de cette année scolaire, tout autant responsables de la qualité des copies que la possibilité de conserver la note du contrôle continu. Adinel Bruzan, professeur de philosophie et membre du Sgen-CFDT, enregistre 14% de 5/20 sur les 141 copies qu'il est en train de finir de corriger. Soit un peu plus que d'habitude.

"Il y a de très bonnes copies, témoigne-t-il pour BFMTV.com. J'ai un 19/20, des 18 et des 17 mais j'ai aussi beaucoup de notes en dessous de la moyenne."

Plus de non-copies?

Si selon cet enseignant, les meilleures copies ont un niveau comparable aux années précédentes, les moins bonnes reflètent également les difficultés que les élèves ont rencontré dans une année bouleversée par la pandémie, entre enseignement à distance, perte de motivation et manque d'entraînement.

"Si les élèves ont appris des choses, on voit que la méthode n'a pas été approfondie ni assimilée. Les copies les plus faibles sont relativement brèves et le sujet est traité au ras des pâquerettes. Souvent l'argument tient en un exemple plus ou moins anecdotique, sans réflexion ni interrogation philosophique."

Un point de vue que partage le professeur de philosophie Gilles Vervisch. Le niveau général lui semble à lui aussi plus faible que les années précédentes. "Au niveau des références, il n'y a pas grand chose même si je ne note pas là-dessus, pointe-t-il pour BFMTV.com. Mais je remarque qu'on tourne quand même souvent autour de banalités."

Y aurait-il ainsi davantage de copies bâclées, écrites à la va-vite voire volontairement sabotées, que les années précédentes? Pour Jean-François Dejours, professeur de philosophie et responsable du groupe philosophie au Snes-FSU, un syndicat d'enseignants, ce n'est pas le cas. Seuls cinq de ses 113 copies sont des non-copies.

"On a toujours eu des copies d'une page ou deux, avec une très grosse écriture, quelques mots par ligne, beaucoup d'espaces, et une ligne sautée sur deux ou trois, mais on a aussi des copies de douze pages, assure-t-il pour BFMTV.com. Pour une non copie, j'en ai deux excellentes."

Un niveau plus faible

Entre ces deux extrêmes, Jean-François Dejours évoque les copies qui laissent deviner des élèves aux résultats moyens voire fragiles, au contenu bavard ou faible mais qui laisse entendre un certain effort fourni par l'élève.

"En général, on devine rapidement le profil derrière la copie. On voit bien qu'ils ont tenté de faire ce qu'ils pouvaient en huit pages, analyse Jean-François Dejours. Ce sont des élèves qui se sont battus avec leurs armes. Ce seront des copies qui auront entre 8 et 10, on ne va pas les massacrer mais on ne peut pas non plus donner la moyenne si c'est indigent sur le plan philosophique."

Selon cet enseignant, le sujet sur la responsabilité de l'avenir aurait été particulièrement concerné par ce type d'élèves. Si certains ont réussi à faire preuve de bon sens malgré une absence de réflexion philosophique, d'autres n'atteindront pas les 5/20.

"J'ai un candidat qui m'a expliqué que si les ours polaires disparaissaient, c'est parce que c'était trop loin et qu'il faisait trop froid pour que l'homme vienne les sauver. C'est évidemment un arguement qui ne tient pas, une conscience écologique à l'envers qui confond les causes et les effets. On ne peut pas donner beaucoup de points à ce genre de copies."

"Je pensais qu'on aurait beaucoup de copies courtes"

Le professeur de philosophie Gilles Vervisch, auteur de Star Wars, la philo contre-attaque et de Comment échapper à l'ennui du dimanche après-midi, estime lui aussi que les élèves ont plutôt joué le jeu même si le niveau lui semble plus faible. Preuve en est de ses 101 copies, sérieuses pour la grande majorité d'entre elles.

"Ceux qui sont partis au bout d'une heure ont sans doute rendu des copies blanches mais le logiciel Santorin (qui numérise les copies avant de les redistribuer numériquement aux enseignants, NDLR) les a filtrées. Je pensais qu'on aurait beaucoup de copies courtes, une introduction ou un paragraphe. Mais pour ma part, je n'en ai aucune."

En moyenne, son lot compte entre quatre et dix pages par copie. "Je pensais que ce serait plus rapide que ça à corriger! J'ai quelques copies courtes et faibles. Il faut dire que les sujets ne traitaient pas directement les notions au programme (17 au total, NDLR). C'était piégeux." Il n'est même encore tombé sur aucune perle, qu'il a l'habitude de relever.

"J'ai un candidat qui a choisi le sujet sur la violence. Il a écrit que si Hitler avait discuté avec les Juifs, il n'y aurait pas eu la shoah. Mais il l'a ensuite rayé."
https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV