TOUT COMPRENDRE - En quoi consiste le "poolage" des tests salivaires, méthode de dépistage du Covid-19 à l'étude?

Un biologiste travaille sur un test salivaire "rapide" EasyCov, développé par le laboratoire Sys2Diag, le 30 avril 2020 à Montpellier - Sylvain THOMAS © 2019 AFP
Des tests salivaires de détection du Covid-19 seront réalisés dans les écoles et les universités "au retour des vacances scolaires", a annoncé jeudi le ministre de la Santé, Olivier Véran. "Nous allons multiplier les opérations collectives de dépistage, notamment en direction des établissements scolaires (...), mais également des universités", a-t-il déclaré.
Pour faire face à cette demande importante de dépistage sur des groupes importants, la Haute Autorité de la Santé, dans un communiqué publié jeudi, "recommande d’explorer la mise en œuvre de tests poolés" RT-PCR sur prélèvement salivaire, soit l'analyse de plusieurs échantillons différents en une fois.
Il est nécessaire de préciser qu'il s'agit pour le moment d'une théorie à l'étude par la HAS, qui demande une validation clinique, et qui ne verra pas le jour tout de suite. Le syndicat des biologistes et celui des jeunes biologistes se sont, dans l'attente d'informations complémentaires, prononcés contre cette méthode.
• En quoi consiste le poolage?
"Le terme 'poolage' correspond au regroupement de plusieurs échantillons au sein d’une même analyse biologique afin de réduire le nombre de tests réalisés et d’augmenter la cadence des dépistages", expliquait le Haut Conseil de la Santé Publique dans un avis sur le sujet daté du 17 décembre.
"Jusque-là, un prélèvement égale une analyse", explique à BFMTV.com Henry-Pierre Doermann, vice-président du syndicat des biologistes. "Là, on mélangerait 5 ou 10 prélèvements ensemble, pour une seule analyse. Par exemple au lieu de faire 1000 analyses pour 1000 prélèvements, on n'en ferait que 100 avec des pools de 10".
Si jamais le pool s'avère positif, chacune des personnes testées dans ce groupe doit individuellement refaire un test pour savoir quelle personne était positive. Si le pool est négatif, pas besoin d'en refaire.
• Quelle utilité?
Cette piste est étudiée afin de "faire face à la demande générée par les dépistages itératifs [soit des tests répétés, comme pour les écoles] ciblés à grande échelle en RT-PCR sur prélèvement salivaire et éviter l’engorgement des laboratoires d’analyses médicales", précise la HAS.
"Les labos gagnent un temps fou car, même s’il faut tester à nouveau individuellement les personnes appartenant à un groupe positif, cela permet de traiter beaucoup plus rapidement la grande majorité des cas négatifs", expliquait en septembre dans une interview à Challenges l'épidémiologiste Catherine Hill.
• Combien de personnes peut-on tester à la fois?
Le nombre de personnes à tester en même temps n'est pas déterminé, mais bien évidemment, plus on dilue, moins le test est fiable, explique à BFMTV.com Lionel Barraud, président du syndicat des jeunes biologistes: "si on dilue par dix, ça diminue par dix". Henry-Pierre Doermann place lui le chiffre entre 5 et 10.
De plus, tester un grand nombre de personnes reviendrait à avoir plus de chances de tomber sur un cas positif, et faire refaire des tests individuels à une vingtaine ou une trentaine de personnes à chaque fois ne ferait en aucun cas gagner du temps aux laboratoires.
Le HCSP évoque lui aussi "de 5 à 10 échantillons", mais en fonction de la circulation du virus, il faudrait adapter ce chiffre.
• Quelles sont les limites de cette méthode?
Ainsi, si le taux de positivité des tests est haut, il y a plus de chances pour qu'il y ait des personnes contaminées dans les groupes testés, et donc le nombre de tests individuels à refaire serait important. "Il faudrait le faire quand il y a un taux de positivité faible, comme cet été lorsqu'on était à 1 ou 2%", explique Henry-Pierre Doermann. Selon le dernier bilan de Santé Publique France jeudi soir, ce taux est actuellement de 6,2%.
"En pratique, l'intérêt [du poolage] est maximal quand la circulation du virus dans la population testée est faible (de l’ordre de moins de 5% d’échantillons attendus positifs) de façon à n’avoir à tester à nouveau de façon individuelle qu’un minimum de pools positifs", écrit également le HCSP.
"Quand il y a un pool positif, on perd du temps", note Lionel Barraud. De plus "il faudrait isoler à chaque fois toutes les personnes du groupe positif en attendant les résultats individuels", quand bien même un seul individu dans le lot serait contaminé.
Le HSCP note plusieurs limites dans l'utilisation de cette méthode, comme les facteurs à établir "définissant les pools par unité régionale, collectivité", mais aussi les problématiques "d'identito-vigilance", soit l'ensemble des mesures permettant de fiabiliser l’identification du patient afin de sécuriser ses données de santé. "Il faudra être très vigilant sur ce sujet", note Henry-Pierre Doermann.
Il ajoute que les laboratoires rencontreraient des problématiques matérielles si ce système était mis en place, "cela nécessiterait beaucoup d'adaptation". "Notre sysyème informatique n'est pas prévu pour cela", abonde Lionel Barraud.
Le biologigiste souligne également que les tests salivaires sont déjà moins performants que les naso-pharyngés, et la technique du pool "va encore diminuer les performances du test", explique-t-il, ce qui signifierait des pools de faux négatifs. Lionel Barraud précise toutefois qu'il attend des données scientifiques claires sur le sujet, "si on nous prouve que les résultats sont similaires, pourquoi pas".
Il n'est de toute façon pas question de mettre en place des pools de dépistage dès demain, "pour le moment, cela reste de l'ordre du théorique", note Henry-Pierre Doermann.
