"J'ai assez vite perdu la maîtrise": ces adeptes du chemsex qui ont désormais du mal à s'en passer

"Mon premier rail a levé des barrières chez moi." Il y a quelques mois encore, Logan ne connaissait pas le "chemsex". Jusqu'à ce que son nouveau petit ami ne lui propose de la 3-MMC (parfois présentée comme une alternative moins chère à la cocaïne) pendant un rapport.
Depuis cette découverte en septembre dernier, la vie du jeune homme de 21 ans est rythmée par les sessions "chemsex", des relations sexuelles sous produits stimulants ou euphorisants - une pratique fortement médiatisée après l'accident de la route de Pierre Palmade.
Dans ces conditions, "le sexe est 10 fois mieux", affirme Logan. "Dès que j'en prends, mon désir est décuplé", décrit le jeune Alsacien. "J'ai envie de sauter sur la personne en face de moi. Et puis je ressens un profond bien-être, je n'ai plus aucune douleur."
"On ne voit plus le temps passer"
Il y a quelques années, son petit ami Hugo a été initié de la même façon, à 19 ans. "J'étais avec un homme plus âgé à l'époque, qui m'a proposé de tester pour être plus à l'aise, parce que je suis quelqu'un d'assez réservé et qu'il trouvait que j'avais du mal à m'ouvrir au monde", décrit-il.
"Et ça a tout changé: d'un coup je n'avais plus peur, plus mal, le sexe pouvait durer des heures et des heures", raconte-t-il. "On ne voit plus le temps passer."
"C'est souvent un point de départ: on se tourne vers le chemsex parce qu'on cherche du plaisir et qu'on veut rompre la solitude", analyse Fred Bladou, en charge de la prévention et de la réduction des risques liés au "chemsex" au sein de l'association Aides, qui lutte contre le VIH et les discriminations à l'encontre des personnes séropositives.
Désinhibition
"Les substances donnent l'impression d'être surpuissant, l'envie de communiquer avec les autres et de faire la fête", explique le spécialiste à BFMTV.com, qui précise que les adeptes du chemsex sont très majoritairement des hommes ayant des relations avec les hommes.
Quelque 14% d'entre eux ont pratiqué le chemsex durant l'année précédente, selon le rapport de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies publié en 2019.
"Les personnes vont alors se sentir très vivantes: tout sentiment de fatigue disparaît et tout ce qu'on pourrait s'interdire d'habitude pour un tas de raisons, on va se les autoriser."
Les substances consommées durant une session chemsex ne sont toutefois pas sans danger pour la santé, souligne Sida info service, qui rappelle que celles-ci peuvent provoquer des problèmes cardiovasculaires ou cardiorespiratoires, des surdoses, des pertes de connaissance, attaques de panique, troubles dépressifs et idées suicidaires... Sans compter les risques de transmission d'IST.
De l'usage occasionnel à l'addiction
À 23 ans, Hugo admet avoir "un rapport ambivalent" au chemsex. D'un côté, il estime avoir une consommation "raisonnée", qui l'a "beaucoup aidé" vis-à-vis de sa sexualité. "Avec des doses modérées, on est pas totalement à la ramasse", assure-t-il. "Moi je n'ai quasiment pas d'effet secondaires: mes descentes (phases de baisse des effets de la substance psychoactive, NDLR) ne sont pas violentes, rien", confie le jeune homme.
Si "les études montrent que 3 chemsexers sont 10 peuvent rencontrer des difficultés (psycho-sociales, financières, sexuelles) liées à leur pratique", Fred Bladou tient à rappeler que "60 à 70% d'entre eux ont aussi une consommation contrôlée et qui ne se sont pas laissés déborder par leur consommation"
"Comme il y a des gens qui boivent un verre d'alcool de temps en temps, il y a des chemsexers qui font une session de quatre heures tous les trimestres et ils n'auront jamais de problèmes", assure-t-il.
Dans le même temps, d'"autres vont basculer dans ces conduites addictives, développer des addictions très sévères, au point peut-être de sombrer".
Hugo appelle d'ailleurs à "la prudence". Lui essaie d'espacer les sessions au maximum, avec une limite de deux ou trois consommations par mois pour "laisser son corps un peu tranquille" et lui "laisser le temps de revenir à un état normal". Il évite aussi les mélanges à l'alcool et s'interdit de passer le cap du slam - la consommation de psychostimulants en intraveineuse.
Des limites que son petit ami Logan a plus de mal à se fixer. Depuis septembre, le jeune homme consomme plusieurs fois par semaine, voire tous les jours. Ses descentes sont plus violentes que celles de son ami: ponctuées d'"angoisses", de "nervosité" et de "frustration".
"Après quelques jours sans, je n'ai qu'une seule hâte: aller acheter pour avoir à nouveau le plaisir de me sentir moi-même, de me sentir libre", confie Logan, qui exerce en tant que voyant dans la région alsacienne.
Il reconnaît que ces sessions représentent "un sacré budget": de 180 à 200 euros par semaine.
Sur le fil de "la consommation heureuse"
Les deux hommes sont conscients du côté addictif de ces rapports sexuels sous substances. "Sexuellement, j'arrive encore à faire sans mais c'est vrai que ça n'est clairement pas aussi bien", admet Logan.
Il sait également que ces sessions lui ont plusieurs fois fait rater des obligations, amicales, familiales ou professionnelles. "Ça m'arrive d'annuler mes rendez-vous chez le médecin ou avec des clients ou des réunions de famille parce que je n'ai aucune envie de sortir... Ça risque juste de me gâcher ce moment d'euphorie ou de descente."
Nicolas* avait 18 ans quand il a découvert le chemsex par le biais des applications de rencontre homosexuelles, à son arrivée à Paris pour les études. Six ans plus tard, il ne veut plus en entendre parler.
"J'ai eu une consommation modérée et heureuse pendant un an, et le reste ça a été trois ans de galères", explique le jeune homme, qui avait pour habitude de mêler alcool, extasy et GHB.
"Au début, j'ai eu l'impression d'avoir trouvé un truc qui m'allait bien", se souvient-il. "Un très beau garçon me propose, je me laisse tenter parce que j'ai l'impression d'avoir accès à quelque chose d'exclusif. Et puis ça n'avait pas d'impact négatif sur ma vie: je me le faisais offrir, ça m'aidait à compenser mes études stressantes."
Un accès aux substances qui pose question
Aujourd'hui cadre dans le secteur public, il se souvient avoir "perdu la maîtrise assez vite". "J'ai commencé à accroître la fréquence et plus rien n'existait autour. À la fin, j'ai commencé à me piquer et là la dépendance était beaucoup plus frontale. Je pouvais me réveiller le samedi matin, 8h, et avoir envie de me défoncer", raconte Nicolas, qui a réussi à sortir de cette spirale grâce à des groupes de paroles de narcotiques anonymes.
Cette spirale, c'est précisément la raison pour laquelle Fred Bladou refuse de tomber dans l'"angélisme".
"Dire que ces pratiques sont sans risque, ce serait mentir aux gens", explique-t-il. "À partir du moment où on dépasse une limite qu'on s'était fixé, ça peut aller très vite.
Au quotidien, ce spécialiste de chez Aides veille ainsi à "travailler sur une réduction des risques plutôt que sur leur annulation". Pour cela, il recommande aux chemsexers de bien connaître les produits qu'ils consomment, de les consommer dans des dosages corrects. "Mais surtout", insiste-t-il, "n'oubliez pas d'avoir une vie à côté. Le chemsex ne doit pas prendre le pas sur tout le reste".
"C'est l'accessibilité à ces substances dont il faut parler", estime de son côté Loïc Michaud, ancien adepte interrogé sur le plateau de BFMTV. "Aujourd'hui vous pouvez les commander très facilement sur Internet et elles arrivent dans vos boîtes aux lettres. C'est possible car elles sont conçues en Asie, aux Pays-Bas, en Pologne et les concepteurs ont toujours un temps d'avance sur le législateur: ils arrivent à faire en sorte de changer la molécule du produit pour qu'elle soit dans les clous".
Jean-Luc Roméro, adjoint à la mairie de Paris dont le mari est mort en 2018 lors d'une session de chemsex, salue le fait que le sujet soit enfin abordé publiquement. Il regrette toutefois qu'il ait ressurgi en lien avec quelque chose de "malsain et moralisateur", à l'occasion de l'accident provoqué par Pierre Palmade. "Dans le chemsex, ce ne sont pas des gens qui en tuent d'autres", conclut-il.
* Le prénom a été modifié, à la demande de l'intéressé.
Pour se faire aider, il est possible de contacter le numéro d'appel "chemsex urgences" de Aides au 01 77 93 97 77 (numéro non surtaxé) ou Drogues info service au 0 800 23 13 13 (service et appel anonymes et gratuit, 7j/7 de 8h à 2h).