"Il y a urgence": prévention en milieu scolaire, prise en charge... Comment vraiment améliorer la santé mentale des jeunes?

Un cours dans le collège privé de Tinténiac (Ille-et-Vilaine), le 23 septembre 2011. - AFP
Que faut-il faire pour améliorer durablement la santé mentale des jeunes? Le gouvernement déclare régulièrement sa volonté d'agir pour la santé mentale, décrétée grande cause nationale de 2025. Un sujet de nouveau évoqué cette semaine, alors qu'un adolescent de 14 ans a tué à coups de couteau une surveillante de son collège à Nogent, en Haute-Marne.
À ce stade, le procureur de la République de Chaumont a indiqué ce mercredi 11 juin que l'adolescent ne présente "pas de signe évoquant un possible trouble mental". Néanmoins quelques heures après les faits, la question se posait compte tenu de la gravité des faits et de la jeunesse de l'auteur. Interrogé sur cette affaire, François Bayrou a de nouveau dit vouloir "travailler à la question de la santé mentale des plus jeunes".
Il souhaite, "à la première alerte, qu'il puisse y avoir examen, diagnostic et proposition de traitement, ou en tout cas de prise de contrôle de ces jeunes", sans préciser comment cette mesure pourrait être mise en place.
Des indicateurs inquiétants
Depuis plusieurs années, des indicateurs alertent sur la santé mentale dégradée des jeunes en France. Réalisée par Santé publique France, une étude montrait qu'en 2021, 20,8% des 18-24 ans avaient connu un épisode dépressif au cours des 12 derniers mois, contre 11,7% en 2017.
Depuis, l'enquête EnCLASS 2022 sur le bien-être des adolescents a montré que 14% des collégiens et 15% des lycéens présentaient "un risque important de dépression". Un quart des lycéens (24%) déclaraient avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, les filles sont nettement plus concernées que les garçons (31% contre 17%). Les indicateurs montrent aussi une "nette dégradation" par rapport à ceux mesurés en 2018.
Sur le terrain, les professionnels du secteur de la santé mentale confirment cette détérioration. Et déplorent des annonces peu suivies d'effets de la part du gouvernement. Plusieurs organisations ont évoqué auprès de BFMTV.com leurs pistes concrètes pour réellement améliorer la santé mentale des jeunes.
Les établissements scolaires en première ligne
Ils appuient tous sur la nécessité d'améliorer la prévention. Pour ce faire, le milieu scolaire paraît tout indiqué: "les jeunes passent presque plus de temps à l'école que chez eux, l'école est un endroit capital pour eux et elle ne va pas bien", souligne Bruno Falissard, président de la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (SFPEADA).
"Les enseignants voient beaucoup d'élèves, dès qu'il y en a un qui ne va pas bien, ils le voient. Beaucoup de nos consultations viennent de conseils d'enseignants à des parents. S'ils sont mieux formés, qu'ils ont plus de temps, ils ont une carte à jouer, et pareil pour la médecine scolaire", ajoute-t-il.
D'où la nécessité, pour le professeur de santé publique à l’Université Paris-Saclay et pédopsychiatre, d'investir réellement dans l'Éducation nationale.
Le syndicat national des psychologues demande de son côté, d'"augmenter largement" le nombre de postes de psychologues de l'Éducation nationale, un corps particulier recruté sur concours.
"Il y en a aujourd'hui très peu et quand ils existent, ils sont sur d'énormes circonscriptions et n'ont pas le temps de voir tous les élèves qu'il faudrait", déplore Florent Simon, secrétaire général du syndicat. Ils sont environ 4.400, selon un rapport de l'Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) datant de mars 2024. Pour plus de 12 millions d'écoliers, collégiens et lycéens.
Autre possibilité pour améliorer la prévention: la formation aux signes qui doivent alarmer. C'est le but de PSSM France (Premiers secours en santé mentale), une association qui propose des formations de secourisme en santé mentale à tous les citoyens qui souhaitent apprendre à aider. Sa directrice, Caroline Jeanpierre, explique qu"environ 4.000 secouristes au sein de l'Éducation nationale" (infirmiers, médecins scolaires, CPE, enseignants…) ont déjà suivi la formation de PSSM dédiée à la santé mentale des jeunes.
L'association veut la déployer dans plus d'établissements scolaires, mais aussi dans des structures qui accueillent des jeunes, comme des clubs sportifs. Avant de pouvoir sensibiliser des adolescents, pour "leur donner des clés et leur apprendre quand ils doivent passer le relais".
Le ministère de la Santé a révélé ce mercredi 11 juin son plan pour améliorer la prise en charge des troubles psychiatriques en France, avec un volet tourné vers les jeunes. Parmi les mesures annoncées la mise en place dès la rentrée 2025-2026 de "personnels repères" chargés d'identifier les signes "précoces" de troubles liés à la santé mentale.
Une prise en charge qui peut attendre des mois
Une fois ces alertes transmises, des structures existent déjà pour prendre en charge les jeunes sur des problématiques de santé mentale. Les centres médico-psychologiques (CMP) sont des structures publiques qui accueillent les personnes en situation de souffrance psychologique et les prennent en charge de manière pluridisciplinaire, avec des psychiatres, des psychologues, des travailleurs sociaux, des psychomotriciens... Mais ils font face à une demande importante et un manque de moyens.
Dans les CMPP, spécialisés dans la prise en charge des enfants et des adolescents, le temps d'attente avant une première consultation était alors de six mois en moyenne en 2022 et avait doublé par rapport à 2010, selon une étude de la DREES. "Qu'est-ce que cela signifie, quand on ne va pas bien, d'attendre des mois avant d'être pris en charge?", s'indigne Florent Simon.
"Avant d'aller réinventer des dispositifs, il faudrait déjà renforcer ce qui existe", ajoute le secrétaire général du Syndicat national des psychologues, qui plaide pour des investissements importants dans les CMP et les CMPP.
Beaucoup de dispositifs mais pas les mêmes accès
Pour contourner l'engorgement de ces centres, la SFPEADA suggère de son côté une réorganisation des circuits de première intention. "Il faut qu'en dessous du CMP, il y ait un autre accès aux soins, qui n'est pas organisé en France. Actuellement, il mélange la médecine scolaire, le médecin généraliste, 'Mon soutien psy'… Selon que vous habitez à Paris, dans la Creuse, que vous ayez de l'argent ou pas, vous n'avez pas les mêmes accès", déplore Bruno Falissard.
Lucas Fugeard, président de Nightline France, une association qui propose un service d'écoute nocturne pour les jeunes tous les soirs de 21 heures à 2h30, estime aussi que s'il est important, dans le domaine de la santé mentale, de "multiplier les portes d'entrée". Mais il reconnaît qu'"en tant que personne concernée, on peut être perdu" devant la "multitude de dispositifs" existants. Numéros verts, associations, CMP, projets territoriaux de santé mentale... Difficile de savoir vers qui se tourner en premier. "Il y a vraiment urgence à fédérer l'ensemble de la chaîne des acteurs de santé mentale, de la prévention primaire au secteur social aux acteurs de soins", alerte Lucas Fugeard, qui demande une "cartographie" claire de ce qui existe.
Un manque de pédopsychiatres
Et en aval, comme l'Éducation nationale, le système de santé n'est pas en mesure de répondre à la dégradation de la santé mentale des jeunes, faute de moyens suffisants. "Le problème numéro un aujourd'hui, c'est le manque de soignants. En psychiatrie, on soigne avec des psychothérapies, des médicaments et des hospitalisations. Or, on manque de médecins pour faire des psychothérapies", explique Bruno Falissard. En 2023, un rapport de la Cour des comptes, chargée du contrôle de la dépense publique, soulignait ainsi que le nombre de pédopsychiatres en France a diminué de 34% entre 2010 et 2022.
Tous les acteurs du secteur soulignent que la dégradation de la santé mentale des jeunes a de nombreuses causes. "Pandémie de Covid-19, conflits armés, attentats, crise climatique, pression scolaire, risques liés à Internet et à l’utilisation des médias sociaux...", énumère aussi Santé publique France. "Ce sont des choses qu'on a sur notre ligne d'écoute", confirme Lucas Fugeard de Nightline, qui cite aussi "la précarité étudiante, l'insécurité alimentaire", "en plus des thématiques habituelles de relations amoureuses, familiales, de stress académique".
Le président de l'association souligne qu'"on ne peut pas uniquement prendre en charge les conséquences, sans prendre en charge à la racine" des problèmes de santé mentale. "Il est donc important d'agir sur la précarité, l'éducation, les conditions de vie de manière générale", plaide-t-il.