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Essais cliniques à l'IHU: l'ANSM enquête sur d'éventuels "manquements à la réglementation"

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Dans son édition de ce mercredi, L'Express passe en revue les travaux produits par le professeur Didier Raoult et son Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille (ou IHU). Selon l'hebdomadaire, de nombreuses recherches impliquant des personnes humaines ne peuvent se prévaloir des autorisations nécessaires.

L'Agence du médicament (ANSM) a indiqué ce mardi à l'AFP mener des "investigations" concernant d'éventuels "manquements à la règlementation des essais cliniques" lors d'études sur le Covid-19 conduites à l'IHU de Marseille, dirigé par Didier Raoult, confirmant une information de L'Express. Deux enquêtes ont ainsi été lancées en interne par l'ANSM.

"L'ANSM a récemment été alertée, dans le cadre de son dispositif pour les lanceurs d'alerte, sur de possibles manquements de l'IHU de Marseille à la règlementation des essais cliniques sur certaines études que l'Institut a conduit", a expliqué à l'AFP le gendarme des médicaments.

L'autorité sanitaire "mène actuellement les investigations et vérifications nécessaires" et "si les investigations mettent en évidence des manquements à la réglementation des essais cliniques" elle "prendra des mesures sanitaires pour garantir la sécurité des participants et, le cas échéant, saisira de nouveau la justice", a-t-elle assuré.

En France, toutes les études répondant à la définition des recherches impliquant des êtres humains (soit RIPH selon le sigle officiel), en particulier les essais cliniques de médicaments, doivent obtenir en amont l'autorisation d'un comité de protection des personnes, voire de l'ANSM elle-même.

La diversité des travaux visés

Dans son article publié à l'occasion de l'édition de ce mercredi, et s'appuyant notamment sur l'analyse de quatre grands spécialistes, l'hebdomadaire L'Express pointe une grande diversité d'études qui n'auraient pas reçu le sésame nécessaire.

Sont listés une thèse de l'IHU portant sur des maladies respiratoires et menée notamment auprès de 41 mineurs - ainsi qu'une étude publiée par le professeur Raoult sur le même sujet ; plusieurs travaux (impliquant des prélèvements fécaux, vaginaux et nasopharyngés) ayant porté sur des étudiants du centre Aix-Marseille ; deux études sur des cas de tuberculose et la prévalence de pathogènes respiratoires parmi une population de sans-domicile fixe ; enfin deux études de 2020 sur l'hydroxychloroquine.

Il faut noter, toutefois, que les soupçons concernant la réalisation de ces deux derniers travaux ont été classés sans suite par le parquet de Marseille. Des chercheurs réclament cependant la réouverture de l'enquête.

Deux dossiers au centre de la controverse

Au début de la pandémie de Covid, plusieurs scientifiques familiers des articles médicaux s'étaient alarmés des conditions de réalisation de ces deux études signées par le professeur Raoult, directeur de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, portant sur l'efficacité de l'hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19.

La première, publiée le 20 mars 2020, avait bien été autorisée par l'ANSM, mais elle incluait deux mineurs et testait aussi un autre médicament, l'azithromycine, ce qui n'était pas prévu dans le protocole autorisé.

La seconde, publiée le 11 avril 2020, a été présentée par l'IHU comme une étude observationnelle n'ayant pas besoin des mêmes autorisations alors qu'il s'agissait bien, selon de nombreux spécialistes, d'une étude interventionnelle puisqu'elle portait sur l'administration d'un médicament dans un autre dosage et pour une autre indication que dans les pratiques médicales courantes - l'hydroxychloroquine étant commercialisée en France pour le traitement de maladies auto-immunes comme le lupus et la polyarthrite rhumatoïde.

Un signalement de ces faits par "un professionnel de santé" a été classé sans suite en novembre 2020 par le parquet de Marseille qui a considéré les infractions dénoncées comme "insuffisamment caractérisées", selon son communiqué.

Or, de nouveaux éléments sont apparus depuis, tel qu'un correctif à la première étude, publié en janvier dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents. Mais pour relancer l'enquête, il faudrait soit que le parquet se saisisse d'office soit que l'ANSM effectue un nouveau signalement, précise l'hebdomadaire, qui souligne que l'IHU "n'a pas donné suite" à ses questions.

Le "crédit de la recherche" en jeu

"Ces manquements" aux règles encadrant la recherche médicale "apparaissent comme une pratique courante" au sein de l'IHU, affirme L'Express qui cite de nombreuses études d'étudiants ou de chercheurs de l'institut ces dernières années qui se sont, selon lui, affranchies des règles encadrant les expériences impliquant des êtres humains, avant même l'épidémie de Covid.

Mathieu Molimard, chef de service de pharmacologie au CHU de Bordeaux, a témoigné auprès de BFMTV des risques comportés selon lui par ces méthodes pour la communauté scientifique s'il s'avérait que l'IHU s'est bien affranchi des règles en vigueur: "Le risque est de perdre toute crédibilité dans la recherche, que les gens ne se prêtent plus à la recherche biomédicale qui est pourtant essentielle pour avancer en médecine."

R.V. avec AFP