BFMTV
Santé

Pourquoi Didier Raoult, interdit d'exercer la médecine, a le droit de produire des produits "anti-âge"

Le Pr Didier Raoult, le 20 avril 2022 à Marseille

Le Pr Didier Raoult, le 20 avril 2022 à Marseille - Christophe SIMON © 2019 AFP

Le professeur Didier Raoult a été condamné en appel à deux années d'interdictions de pratiquer la médecine, à compter du 1er février 2025. Il s'est pourtant lancé dans une activité à la limite de la santé et du bien-être: les produits anti-âge.

L'annonce a fait du bruit. Didier Raoult, passé de star du Covid-19 à figure extrêmement controversée du milieu de la santé, a annoncé il y a quelques semaines avoir cofondé une start-up de cosmétiques: Magnifiscience.

Dans une publication relayée sur Instagram, on aperçoit "l'éminent" Professeur Didier Raoult aux côtés de Nina Basri, la "fondatrice d’un laboratoire cosmétique innovant". Un duo qui propose à la vente des cosmétiques censés avoir des vertus "anti-âge". Une crème de jour et une crème de nuit vendus chacun à 75 euros les 60ml.

Une publication sur Instagram, datée du 6 décembre 2024, montrant Didier Raoult faire la promotion d'une entreprise de produits cosmétiques.
Une publication sur Instagram, datée du 6 décembre 2024, montrant Didier Raoult faire la promotion d'une entreprise de produits cosmétiques. © MAGNIFISCIENCE_PARIS / INSTAGRAM

Dans une vidéo partagée sur son compte YouTube il y a deux semaines, Didier Raoult a justifié sa participation par son travail au sein de l'IHU de Marseille, où il avait "déjà eu des rapports avec une société de cosmétologie pour laquelle (il travaillait) sur l'acné (...) pour essayer de comprendre quelle est la part du microbiote dans l'acné".

Cette nouvelle activité tombe à pic pour Didier Raoult qui, à partir du 1er février prochain, ne pourra plus exercer la médecine.

Le fervent défenseur de l'hydroxychloroquine durant la crise du Covid-19 a été sanctionné par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins pour diverses transgressions du code de santé publique, dont la mise en avant dudit traitement sans données scientifiques tangibles et suffisantes.

La réponse de l'Ordre des médecins

Mais le "chercheur de renommée mondiale" peut-il légalement se lancer dans la production et l'étude des produits cosmétiques, tout en étant interdit de pratiquer la médecine pendant deux ans? La réponse n'est pas si simple.

Questionné par BFMTV.com sur la possibilité ou non pour Didier Raoult de se lancer dans cette affaire malgré son interdiction, le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) s'est penché sur la question. Il en ressort que ces deux données ne sont pas incompatibles, avec malgré tout un point d'attention.

"Le professeur Raoult a été sanctionné d’une suspension disciplinaire d’exercice pour une période de deux ans à partir du 1er février 2025. Il ne pourra avoir aucune activité médicale durant ce temps car l’appel qu’il a pourvu devant le Conseil d’État n’est pas suspensif", explique le Cnom avant de préciser:

"Il ne peut faire référence à sa profession de médecin" dans sa nouvelle activité.

Une logique qui s'explique par la séparation nette entre médecine, pharmacie et cosmétique. Ce dernier secteur répond à des conditions très spécifiques. Il ne peut s'agir que d'un produit utilisé "principalement ou exclusivement, de nettoyer, parfumer, modifier l’aspect, protéger ou maintenir en bon état ces parties du corps humain, ou de corriger les odeurs corporelles", selon la page dédiée du ministère de l'Économie.

"Contrairement aux médicaments où l'on est sur du curatif, du préventif ou du diagnostic, le cosmétique relève de l'apparence et n'est pas de la médecine ou du soin. Voilà comment il (Didier Raoult, NDLR) peut s'inscrire dans cet espace", explique à BFMTV.com une source renseignée.

"Il s'inscrit dans le cosmétique, pas dans le soin, pas dans l'activité médicale", ajoute cette source. L'entreprise inscrit bel et bien sur son site que son activité est la "fabrication de parfums et de parfumerie et de produits pour la toilette".

Par ailleurs, en suivant cette même logique, Didier Raoult est également libre de faire de la recherche pharmaceutique. Un secteur toutefois beaucoup plus encadré, avec des contrôles plus formels, un parcours scientifique et réglementaire strict jusqu'à la mise sur le marché d'un produit pharmaceutique.

Des mentions ambiguës?

Si les cosmétiques répondent à une régulation moindre, ils doivent tout de même respecter un certain cadre. Et notamment veiller à ne pas faire d'écarts sur les diverses mentions apposées sur les produits à des fins marketing: allégations de santé, environnementales, ou sur l'absence de tests sur les animaux, etc.

Une mention sur le site de la start-up est cependant pour le moins ambiguë:

"Nos formules, basées sur des principes actifs rigoureusement testés, sont validées par des recherches biomédicales menées dans des instituts d’Expertise Clinique indépendants, autorisés par l’ANSM", peut-on lire sur le site de Magnifiscience.

Or, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), n'est plus chargée de la régulation des cosmétiques depuis le 1er janvier 2024, comme l'a reconfirmé l'agence à BFMTV.com le 15 janvier 2025. Cette mission de surveillance et de contrôle est désormais dans le giron de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Sollicitées sur ce dossier, les deux agences n'ont pas répondu à BFMTV.com.

Que risque Didier Raoult, accusé d'avoir mené des essais sauvages ?
Que risque Didier Raoult, accusé d'avoir mené des essais sauvages ?
17:04

Une autre mention fait lever un sourcil chez un bon connaisseur du secteur. "Dans la vidéo où il explique sa démarche, il parle de molécules issues des cellules-souches qui auraient une propriété de régénération des cellules. Il présente ça comme quelque chose de très innovant (...) les cosmétiques à base de placenta, qui sont précisément dans cette idée de cellules-souches, c'est quelque chose qu'on étudiait déjà en 1930!"

Tom Kerkour