Atteindre 10.000 lits de réanimation: une promesse sous condition de renforts et déprogrammations

Proclamant une mobilisation extraordinaire de l'intégralité du secteur de la Santé, Emmanuel Macron a dit, mercredi soir lors de son allocution, son intention de "porter dans les prochains jours nos capacités de réanimation à un peu plus de 10.000 lits." L'engagement est allé droit aux oreilles des soignants.
Commentant au micro de BFMTV ce qu'elle venait d'entendre, Laura Klich, infirmière du service réanimation de Tourcoing, a pointé avec amertume: "Ça me fait juste rire. C’est annoncer un gros chiffre de capacités mais ce n’est pas ce qu’on appelle des lits armés. Des lits sans respirateur, sans infirmier, sans médecin pour s’en occuper, bah c’est juste un lit."
"Théoriquement faisable"
Plus optimiste mais tout de même un peu dubitatif, le consultant santé de BFMTV, le médecin Alain Ducardonnet, a d'abord estimé ce jeudi matin: "Théoriquement, c’est faisable, mais pour le réaliser concrètement il faudrait au moins trois semaines ou un mois."
Les hôpitaux français disposent actuellement de 7665 lits de réanimation, dont 7053 sont déjà occupés.
"Il y a d’abord les lits de réanimation, c’est-à-dire les patients lourds qui ont besoin d’assistance respiratoire, cardiaque, néphrologique. C’est en gros 5400. Vous avez ensuite les unités de soins intensifs. C’est un organe, le cardio-infarctus, l’AVC, ceux-là sont à part. Il y a les unités de soins continus – ce sont des gens qui sont sortis de quelque chose de lourd ou pas encore rentrés dans quelque chose de lourd et là il y a une réserve de 8000 lits", a détaillé le docteur Ducardonnet.
Le temps manque pour former des réanimateurs
Mais augmenter le contingent de lits ne va pas sans exigence. Il faut avant tout avoir le personnel pour que cet équipement trouve son emploi.
"Quand on dit 'armer des lits' ça veut dire qu’il faut trouver des hommes et des femmes: c’est pour ça qu’il y a la réserve sanitaire - qui a bien fondu d’ailleurs -, il y a les militaires en effet, les étudiants en fin d’étude, les médecins retraités", a ainsi listé Alain Ducardonnet.
Il y a un premier souci: les facultés d'un ranimateur ne s'obtiennent pas facilement ni rapidement. "Le niveau de compétence pour la réanimation ne s’acquiert pas en huit jours, c’est le problème", a insisté Alain Ducardonnet. "En temps normal, on peut prendre des gens moins formés et les encadrer. Là on ne peut pas, tout le monde est au maximum de ce qu’il peut faire. Donc il faut des gens efficaces dès demain et on ne les a pas", a averti Nicolas Bruder, chef du pôle réanimation de l’hôpital de La Timone à Marseille, au micro de BFMTV.
Les regards se tournent vers le privé
On bute sur un autre problème. Tout le monde n'est pas d'accord - à commencer par les soignants - sur les profils à recruter. "Des formations d'étudiants, de retraités sont déjà lancées. Nous remplirons notre mission jusqu'au bout", a par exemple fait valoir dans Le Parisien Rémi Salomon, président de la Commission Médicale d'Etablissement de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
Dans le même temps, Benjamin Davido, infectiologue à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches, contrait auprès de France Info: "Ça ne peut, bien évidemment, pas être des étudiants qui n'ont pas terminé leur cursus et des médecins retraités".
"Il va falloir peut-être une meilleure collaboration entre les différents hôpitaux, le privé et le public", a-t-il prôné.
Jean-François Timsit, chef du service réanimation médicale et infectieuse à l'Hôpital Bichat à Paris, a quant à lui remis en cause la possibilité de faire davantage en Île-de-France, région où la circulation du virus est particulièrement forte. "Ça ne me parait pas faisable d’augmenter de 30% le nombre de lits c'est-à-dire de passer de 70 à 100%. Notre marge de manœuvre est quasiment nulle à l'heure actuelle", a-t-il dit au micro de France Info. Et lui aussi demande des mesures très volontaristes permettant d'enrôler les forces du privé au service du salut public:
"Il ne nous reste plus qu'à fermer complètement les cliniques privées qui font de la chirurgie programmée pour récupérer un tout petit peu de personnel qualifié, d'infirmiers-anesthésistes et d'anesthésistes pour faire tourner quelques lits de réanimation dans des blocs opératoires fermés."
Une promesse moins ambitieuse?
Admettons cependant qu'après avoir mis la main sur les lits et le matériel, on arrive encore à rassembler des troupes de médecins et soignants en nombre suffisant. Subsisterait encore un dernier inconvénient: les conséquences sur les déprogrammations.
"C’est vrai que ça se fera au détriment de déprogrammations d’opérations chirurgicales. On en est à 40%, j’espère qu’on n’aura pas à aller plus loin", s'est inquiété Bruno Megarbane, chef du service réanimation à l’hôpital Lariboisière sur notre antenne mercredi soir.
L'exécutif a-t-il lui-même intégré ces gageures? Le 27 août dernier, Olivier Véran, ministre de la Santé, garantissait l'ouverture de 12.000 lits de réanimation en cas de nécessité. Force est de constater que le président de la République a déjà réduit la voilure de cette promesse.
