Soupçons de conflits d'intérêts, cumul illégal... Comment le cas Delevoye a-t-il pu exister?

Jean-Paul Delevoye à Matignon en septembre 2019. - FRANCOIS GUILLOT / AFP
Soupçons de conflits d'intérêts et cumuls interdits: en plein conflit social, le haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye a fini par démissionner ce lundi, après une semaine chaotique de révélations sur ses activités et mandats non déclarés.
Ce ministre délégué a d'abord reconnu avoir omis de déclarer sa fonction d'administrateur bénévole dans un institut de formation de l'assurance, l'Ifpass, avant de rectifier ce week-end sa déclaration d'intérêts en déclarant 13 mandats, dont 11 bénévoles, soit dix de plus que dans la version initiale. Comment tant de données ont-elles pu passer sous le radar des autorités chargées de la transparence de la vie publique?
La Haute Autorité pour la Transparence "ne vérifie pas"
La Haute Autorité pour la Transparence de la vie publique (HATVP) - créée dans le sillage de l'affaire Cahuzac et chargée de s'assurer via des déclarations de patrimoine et d'intérêts de la probité et de l'exemplarité des élus - "ne vérifie pas", assure sur BFMTV Tris Acatrinei, fondatrice du projet Arcadie, organe de contrôle de la vie parlementaire. "Il y a des déclarations qui sont vierges."
L'année dernière, "j'avais une quarantaine de députés qui n'avaient pas déclaré des entreprises, qui n'avaient pas déclaré des sociétés civiles immobilières, qui n'avaient pas déclaré des portefeuilles d'actions... Tout un tas d'éléments qui depuis n'ont pas été corrigés", assure Tris Acatrinei.
Un poste en particulier pose problème dans la liste de l'ex-haut-commissaire, celui de président d'honneur du groupe de réflexion Parallaxe, pour lequel Jean-Paul Delevoye aurait touché 73.338 euros net en 2018 et 62.216 en 2019, alors qu'il est entré au gouvernement en septembre 2019. "Cumuler cette fonction assimilée à une mission de service public avec une rémunération du secteur privé est interdit par la loi", déclare dans Libération René Dosière, ancien député et fondateur de l’Observatoire de l’éthique publique.
"Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle", est-il inscrit à l'article 23 de la Constitution.
"Les institutions n'ont pas bien fonctionné"
Outre la HATVP, d'après des informations du Monde, le Secrétariat général du gouvernement était au courant de ce cumul et avait toutefois validé le poste et la rémunération du haut-commissaire. L’ex-ministre délégué confirme d'ailleurs au quotidien "n’avoir eu de mise en garde de personne". "Ma situation avait été validée en 2017 (au début de sa mission sur les retraites, ndlr), je n’ai pas pensé qu’il y aurait un problème. J’ai fait preuve d’un excès de confiance, il s’agissait d’activités dans le domaine de l’éducation."
Une information démentie mardi par l'entourage du Premier ministre à l'AFP, qui a assuré que le haut-commissaire aux retraites n'avait pas informé le gouvernement de son activité rémunérée. "Il n'y a eu aucun manquement de la part" des services du gouvernement, a affirmé la source.
"Le cadre juridique était évidemment connu par l'intéressé, mais aussi le secrétariat général du gouvernement", a lancé sur BFMTV Éric Alt, vice-président d'Anticor. C'est le SGG, "destinataire de ces déclarations d'intérêt, qui n'a rien fait, qui n'a pas réagi aussi au fait qu'il percevait 5300 euros par mois, ce qui était contraire à la constitution."
"Juridiquement la déclaration [d'intérêt] doit être faite deux mois après l'entrée au gouvernement", continue le vice-président. "Les institutions n'ont pas bien fonctionné, n'ont pas été respectées, n'ont pas été bien conçues". La HATVP se réunit mercredi 18 décembre pour décider de transmettre, ou non, le dossier à la justice.