"Saut qualitatif et quantitatif": qu'est-ce que la "planification écologique", dont Borne va être chargée?

Elisabeth Borne, deuxième femme nommée au poste de Première ministre, à Matignon, Paris, le 16 mai 2022 - CHRISTIAN HARTMANN © 2019 AFP
"Vous pouvez compter sur moi (...) face aux défis climatiques et écologiques sur lesquels il faut agir plus vite et plus fort". Lundi soir, au micro, debout dans la cour de l'Hôtel de Matignon, sa nouvelle résidence, Élisabeth Borne a eu quelques mots sur la tâche qui l'attend en matière d'environnement.
Nouveauté: elle aura à les traiter directement à son nouveau poste de Première ministre qu'Emmanuel Macron a voulu directement en charge de la "planification écologique".
En meeting à Marseille pendant la campagne, le président-candidat l'avait promis: "La politique que je mènerai dans les 5 ans à venir sera écologique ou ne sera pas (...) Mon prochain Premier ministre sera directement chargé de la planification écologique".
Pour ce faire, le programme du nouveau président est encore vague. Plus vague que celui de Jean-Luc Mélenchon, à qui il a subtilisé le terme pour le mettre dans son programme dès la mi-mars. Après une première rencontre d'Emmanuel Macron avec des experts du GIEC et des scientifiques en début de nouveau mandat, le 4 mai, il revient à Élisabeth Borne de mettre en place cette nouvelle méthode. Mais quelle est-elle exactement?
L'objectif du chef de l'État et de sa Première ministre fraîchement élue va être de faire de la France la première grande puissance écologique mondiale. Emmanuel Macron l'a répété, il veut aller plus vite sur la question écologique. D'ici la fin du quinquennat, il veut doubler la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Soit passer de moins 2% par an à moins 4% par an. Et sortir la France des énergies fossiles. "Le but est que la France devienne la première grande puissance écologique en s’appuyant sur un mix énergétique nucléaire et renouvelable", rappelle l'Élysée.
"Le contexte international a participé à faire du sujet une priorité", ajoute un parlementaire LaREM très au fait des questions environnementales. "Malheureusement, la guerre en Ukraine est un drame qui a largement incité à accélérer l'indépendance énergétique et à se passer des énergies fossiles comme le pétrole et le gaz", nous confie-t-il.
Derrière l'expression de "planification écologique", il y a un changement de méthode. Benoît Leguet, directeur général de l'Institut de l'économie pour le climat et membre du Haut conseil pour le climat, interrogé par Franceinfo, la compare à la rénovation d'une maison: un programme de travaux, un maître d'œuvre pour les piloter, un budget et un contrôle par le propriétaire de la bonne avancée du chantier.
Une méthode en trois points
Léo Cohen, consultant et ancien collaborateur au ministère de la Transition écologique nous résume le processus en trois points: "Il faut d'abord se fixer des grands objectifs -par exemple que la France s'aligne sur la feuille de route de l’UE pour une réduction de 55% des émissions d’ici à 2030. Ensuite, il faut faire un rétroplanning avec la déclinaison sectorielle de chaque objectif. Et enfin, il faut allouer un budget nécessaire à chaque objectif en fonction du temps nécessaire pour y arriver. En parallèle il faut organiser une concertation avec les filières concernées."
"C'est un saut qualitatif et quantitatif dans la transition écologique", se réjouissait début mai Barbara Pompili, auprès de BFMTV.com. Celle qui occupe encore pour peu de temps le siège du ministère, boulevard Saint Germain, demandait cette planification depuis longtemps. "Par essence sur ce sujet, il faut planifier avec une vision dans le temps, sinon ça ne marche pas. On ne peut pas faire du coup par coup seul dans notre coin."
La planification écologique est donc un changement de méthode décisionnelle dans lequel règnent transversalité ministérielle, concertation citoyenne et négociation avec tous les acteurs des filières concernées. L'idée est de faire œuvrer les acteurs publics et privés pour atteindre des objectifs environnementaux. "Personne ne doit être laissé sur le bord du chemin. Il faut absolument entraîner tout le monde", avertissait la ministre.
Aux manettes, Emmanuel Macron veut installer une Sainte Trinité écologique: un Premier ministre - Élisabeth Borne, donc - flanqué de deux autres ministres, l'un pour la planification énergétique, l'autre pour la planification territoriale.
Avec ce dernier ministère, "l'idée est que cette fois-ci ruraux et urbains marchent ensemble", nous précise un député de la majorité. Le souvenir traumatique des Gilets jaunes qui se soulèvent fin 2018 après l'annonce de la hausse des taxes sur les carburants est encore bien vivace.
"On va avoir une transformation très importante de notre économie", estimait encore Barbara Pompili. Et de préciser: "Il faut donc être capable à Matignon d'anticiper plusieurs coups à l'avance pour connaître les conséquences des décisions prises, afin que cette planification soit un éventail d'opportunités de développement sur nos territoires".
Terminée donc l'idée d'un ministère de l'écologie "seul contre tous" qui n'a pas la main sur les leviers fiscaux et budgétaires et ne regarde pas les conséquences économiques de ses mesures. Dans son rapport "100 jours pour organiser l’État afin de réussir la transition écologique" pour le think thank progressiste Terra Nova et ancienne collaboratrice à la Transition écologique, Marine Braud précise que "la transition écologique est par nature transversale à la quasi-totalité des ministères et administrations (...) et ne devrait plus faire l’objet de compromis sur ses objectifs mais uniquement de négociations sur ses modalités."
Pour l'ancien ministre de l'environnement François de Rugy, interrogé par BFMTV.com, "il faut que tous les ministères tournent autour de la priorité écologique. L'Industrie, l'Économie, l'Agriculture rangés derrière la planification menée par l'Intérieur".
"Cela a du sens. Avec Matignon, les ministres récalcitrants à l'écologie vont être mis sous tension", se réjouit Léo Cohen auprès des Échos.
Cela peut fonctionner, si les pilotages des projets et le soutien politique sont constants, insiste l'autrice Marine Braud dans son rapport. Il faut également que cette planification apparaisse dans la loi de programmation écologique prévue pour 2023. "Les grands objectifs de la planification écologique devront y être apposés avec leurs déclinaisons temporelles et sectorielles et les budgets alloués", prévient Léo Cohen.
L'écueil à éviter, selon Barbara Pompili, c'est de perdre de vue l'objectif final: "Quand on rentre dans la planification écologique, on rentre dans la dentelle. Le risque, c'est de perdre la vision d'ensemble. Il faut régulièrement sortir du tableau sur lequel on écrit pour vérifier que l'écriture est bien droite."
Le profil du chef de bord est lui aussi déterminant. À ce poste, il faut être "non seulement clairvoyant, tenace, capable de résister aux inquiétudes, mais aussi avoir une capacité d'écoute et réussir à rassembler autour de la table des acteurs qui n'ont pas l'habitude de se parler", nous faisait valoir la ministre, en résumant les trois qualités nécessaires: "rassembleur, constructif, pragmatique".
Choisie pour son profil écolo, social et technique, Élisabeth Borne pourrait bien remplir les traits de ce portrait-robot. Son aspect "technocrate" épinglé par ses détracteurs, "c'est très bien justement pour mettre en place une planification", nous confie son entourage. Encore faut-il qu'elle ait le poids politique pour la faire, s'inquiète Cécile Duflot, la directrice d'Oxfam passée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
Le prédécesseur et démissionaire au poste de la Transition écologique, François de Rugy, est confiant sur la possibilité d'appliquer une telle méthode: "Ça peut fonctionner parce qu'en écologie, c'est une question de volonté politique. Aujourd'hui, on n'est plus dans une prise de conscience, les décideurs sont davantage prêts qu'il y a cinq ans. Le syndrome dramatique de toujours renvoyer à plus tard en écologie est beaucoup moins prégnant".
Du côté des associations de défense pour le climat, la méfiance est de mise: "Des promesses, on en a eu beaucoup pendant le premier quinquennat, maintenant on juge sur pièce". "On y voit surtout un moyen d'aller séduire l'électorat de gauche avant les législatives", grince-t-on.
Dans un communiqué publié à la suite de la nomination d'Élisabeth Borne, Greenpeace épingle "une nouvelle trouvaille marketing sur l’écologie". "Emmanuel Macron a déjà créé une institution placée sous la tutelle de Matignon chargée de guider l’action générale du pouvoir exécutif en rapport avec la crise climatique: il s’agit du Haut conseil pour le climat, dont les recommandations ont jusqu’ici été méticuleusement ignorées et dont les constats sont sévères à l’égard de l’action du gouvernement", égratigne l'ONG.